L’origine des agrumes : leur évolution et la naissance des espèces cultivées

François Luro


Parmi les six genres botaniques de la famille des Rutacées représentant les agrumes, les plus connus sont originaires du Sud-Est asiatique: Citrus, Fortunella et Poncirus. Les agrumes des genres Poncirus et Fortunella sont originaires de zones septentrionales de l’Est de la Chine, tandis que ceux du genre Citrus ont une origine méridionale entre l’Inde et l’Indonésie.


Les agrumes représentent une grande diversité – © F. Luro INRA

La diversité du genre Citrus se concentre sur quatre entités taxonomiques à l’origine de la grande majorité des espèces cultivées : Citrus maxima (les pamplemoussiers), C. reticulata (les mandariniers), C. medica (les cédratiers) et les papedas, regroupant plusieurs espèces. Les trois premières, qualifiées d’espèces ancestrales, ont évolué séparément dans trois zones géographiques distinctes (respectivement l’archipel Malaisien, le sud de la Chine et le nord-est de l’Inde). C’est lors de cette phase d’évolution séparée que les trois espèces ont acquis des caractéristiques spécifiques comme la taille et la couleur du fruit, la reproduction asexuée, la résistance à des contraintes environnementales et même la taille du génome (tout en maintenant un nombre identique de 18 chromosomes). Plus tardivement dans l’évolution, des croisements sexués se sont produits dans les zones mixtes de peuplement et des formes hybrides interspécifiques, élevées au rang d’espèce, sont apparues : l’oranger (C. sinensis) et le bigaradier (C. aurantium), produits de croisements entre pamplemoussiers et mandariniers, le citronnier (C. limon), hybride de cédratier et de bigaradier et le limettier (C. aurantifolia) produit d’un croisement entre un papeda (C. micrantha) et un cédratier.

L’épopée de la conquête de l’Ouest : diffusion des agrumes à travers le monde.

La domestication et la culture des agrumes se sont développées en Asie dans l’aire d’origine de ces arbres. La première grande migration des agrumes a eu lieu au premier millénaire avant notre ère, en direction de l’ouest, vers la Mésopotamie. De là, ils atteignirent les rivages de la Méditerranée, l’Égypte et la Grèce entre le VIIIe et le IVe siècle av. JC. Théophraste, botaniste contemporain d’Alexandre le Grand, fit une description détaillée de l’agrume que l’on nomme aujourd’hui cédratier (appelé dans l’ancien temps par les grecs « Pomme de Médie »). Les restes archéologiques sont très rares et quelques fresques murales découvertes à Pompéi (73) représentent des agrumes portant des fruits ressemblant aux citrons et cédrats. Le cédratier a probablement été présent dans tout le pourtour méditerranéen avant le début de notre ère. On attribue l’introduction en Méditerranée du bigaradier, du pamplemoussier et du citronnier aux Maures, aux Génois et aux Portugais (X-XIIe siècles). L’essor du commerce maritime au XVe siècle permit la diffusion des agrumes à travers le monde. Christophe Colomb les introduisit dans les Caraïbes (1493). Au XVIe siècle, les agrumes sont présents dans de nombreuses régions du continent américain. L’oranger (orange douce) ne fut connu en zone méditerranéenne qu’au XVe siècle et le mandarinier seulement au XVIIIe siècle, tous deux en provenance de Chine. En Méditerranée, la culture en zones rapprochées de ces différentes espèces d’agrumes, fut propice à l’émergence de nouvelles formes hybrides, comme la bergamote, le clémentinier et le cédrat Corse. De nombreuses variations naturelles sont aussi apparues dont les variétés d’oranges sanguines. Le pomelo (C. paradisi) naquit lui vers la fin du XVIIIe siècle, dans les Caraïbes d’une rencontre fortuite entre un pamplemoussier et un oranger.

Diversification des espèces et systèmes de reproduction … et rôle de l’homme ?

Fig1 : aires d'origine et de diversification des espèces ancestrales du genre Citrus
Fig1 : aires d’origine et de diversification des espèces ancestrales du genre Citrus

La diversité des variétés d’agrumes est souvent le résultat de modifications ou de croisements dus au hasard. Ces variétés sont apparues spontanément et se sont maintenues et propagées grâce à la capacité de reproduction non sexuée (apomixie). Chez ces espèces, l’apomixie se manifeste par le développement dans la graine d’embryons supplémentaires (polyembryonie) à celui issu de la fécondation. Ces embryons, provenant de cellules non reproductrices, ont tous la même constitution génétique et reproduisent à l’identique les caractères morphologiques de l’arbre initial. L’apomixie est inexistante chez les cédratiers et les pamplemoussiers mais est présente dans la majorité des variétés cultivées sauf chez le clémentinier. Jusqu’au XXe siècle, le rôle de l’homme se limite à la détection fortuite et à la culture des formes nouvelles d’agrumes, apparues spontanément. Ainsi, les variations de couleur, de forme et de goût du fruit des variétés d’oranges, de citrons, de pomelos sont quasiment toutes issues de modifications naturelles (mutations) des gènes impliqués dans l’expression de ces caractères. La polyembryonie a permis de maintenir et d’amplifier ces formes nouvelles tout en limitant l’apparition de nouvelles formes hybrides.

D’autres particularités reproductives ont également modelé la diversité des espèces comme l’incapacité à l’autofécondation – le pollen ne peut pas féconder un ovule de même origine génétique. Ce caractère biologique est de rigueur chez tous les pamplemoussiers et favorise donc la diversité de l’espèce. Cette barrière génétique à l’autofécondation est présente aussi chez le clémentinier et est utile pour produire des clémentines sans pépin en vergers de production.

Fig2 : arbre phylogénétique des espèces du genre Citrus

L’origine de la clémentine

La clémentine est aujourd’hui l’agrume phare de la zone méditerranéenne où elle naquit vers la fin du XIXe du côté d’Oran en Algérie. Son histoire commença précisément dans les vergers de l’orphelinat de Misserghin, où le père Clément (Vincent Rodier, 1829-1904) fit des semis de graines de mandariniers. Quelques années plus tard, parmi les arbres issus de ces semis, on attira son attention et celle probablement des enfants de l’orphelinat sur les fruits de l’un d’entre eux remarquables par la qualité acidulée et la précocité de maturité.

Le clémentinier est une combinaison unique de deux géniteurs qu’il est peu probable de reproduire. Ici, un verger de production – © F. Luro INRA

Plus tard au début du XXe, en hommage à son découvreur cet arbre fut nommé Clémentinier et ses fruits clémentine. Si l’origine maternelle du clémentinier était certifiée en revanche l’identité du pollinisateur fut longtemps méconnue. Grâce aux outils de la biologie moléculaire à la fin du XXe siècle, l’intrus fut découvert : l’oranger est le parent mâle du clémentinier ! Bien que ses parents soient tous deux doués de reproduction non sexuée (polyembryonie), le clémentinier ne produit des graines qu’avec un seul embryon, celui résultant de la fécondation. Comme par ailleurs ses parents sont génétiquement diversifiés, le clémentinier est une combinaison unique des deux géniteurs qu’il est peu probable de reproduire. Par conséquent la seule manière de préserver le clémentinier et de le multiplier, est la pratique du greffage ou une autre technique horticole (bouturage et marcottage).

A lire …

  •  Luro F. and P. Ollitrault « Organisation évolutive de la diversité dans le genre Citrus ; Implications pour la conservation des ressources génétiques » In : Hamon, P., Seguin, M., Glaszmann, J.C., Perrier, X. Eds., La diversité génétique des plantes tropicales cultivées. Editions CIRAD. Montpellier (edited in 1999)
  •  Luro F., Jacquemond C. et Curk F. 2013. La clémentine dans la diversité génétique des     agrumes, dans : Les clémentiniers et autres petits agrumes. Jacquemond C., Curk F. Heuzet M. coord., Quae Éditions Collection Savoir-Faire Versailles, France. 17-36.

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3 thoughts on “L’origine des agrumes : leur évolution et la naissance des espèces cultivées”

  1. Merci mille fois par cet acticle extraordinaire. Depuis Chile, au sud du monde… merci.

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