Les Ribes, à voir et déguster

Bernard Lantin

Cassis © B. Lantin
Cassis © B. Lantin

Les Ribes (prononcer « ribesse ») appartiennent à l’ordre des Saxifragales et demeurent aujourd’hui, après quelques tribulations, les seuls hôtes de la famille des Grossulariaceae. 194 espèces holarctiques et andines ont été récemment validées par la communauté botanique internationale. Ribes cucullatum Hook. et Arn. bat tous les records d’altitude avec une présence signalée à plus de 4 700 mètres dans la « Cordillera blanca » au Pérou.

En France, seulement 5 espèces sauvages sont présentes, en montagne ou dans les plaines et sous-bois humides au nord de la Loire. Ce sont Ribes alpinum L., Ribes petraeum Wulf., Ribes uva-crispa L., Ribes nigrum L. et Ribes sativum (Rchb) Syme[1].

Groseille rouge - © B. Lantin
Groseille rouge – © B. Lantin

De nombreux hybrides interspécifiques de Ribes ont été réalisés au siècle dernier, souvent avec succès et sans difficultés particulières. Bon nombre de cultivars de Groseillier à grappes ou à maquereaux en sont issus. En ornement, Ribes x gordonianum résulte de l’hybridation entre Ribes aureum et Ribes sanguineum.

Les plants obtenus, diploïdes, sont vigoureux, très florifères mais stériles, ce qui importe peu pour une espèce essentiellement décorative par sa floraison. Il n’en est pas de même, bien sûr, pour une espèce fruitière. Généralement on restaure la fertilité de l’hybride diploïde par traitement mutagène des bourgeons en début de croissance, à la colchicine. Au bout de quelques semaines on isole les mutants tétraploïdes obtenus et le tour est joué. On obtient des fruits, encore faut-il qu’ils soient suffisants et de bonne qualité gustative. À noter, qu’aucun Ribes connu n’a de fruits toxiques.

Une nouvelle espèce, la Caseille

Dans les années 50-70, un scientifique du Max Planck Institut de Cologne, Rudolf Bauer, a beaucoup travaillé sur le sujet et obtenu nombre d’espèces nouvelles plus ou moins intéressantes. L’hybride entre Cassis et Groseille à grappes s’est révélé peu productif et de qualité médiocre. Par contre, un autre entre un Cassis et une Groseille épineuse résistante à l’oïdium, maladie principale des Cassis (R. nigrum x divaricatum) s’est révélé original et digne d’intérêt à l’état tétraploïde. Le premier cultivar fut dénommé ‘Josta’ et la nouvelle espèce introduite en France vers 1970 fut baptisée Caseille. Les quelques variétés proposées par les pépiniéristes diffèrent peu entre elles.

La Caseille se présente comme un buisson vigoureux, non épineux avec un bois trapu, érigé, résistant à l’oïdium et autofertile. Les bourgeons sont gros, mixtes, recouverts d’écailles herbacées. Les feuilles sont grandes, vert clair, arrondies. Le limbe est gaufré, grossièrement denté ; la face inférieure porte quelques rares glandes essentielles. Les grappes courtes n’ont pas plus de 3 à 5 fleurs aux sépales pourpres. Les baies noires sont plus grosses que le Cassis, de saveur acidulée, mais dépourvues de parfum. La maturité, en juillet, s’échelonne sur 2 à 3 semaines. La plante se prête difficilement aux exigences d’une culture commerciale mécanisée malgré sa forte productivité sur bois de 3 à 4 ans. Le fruit est destiné surtout à la confiture, la pâtisserie, les jus ou coulis.

Des cultivars résistants

En France, les cultures commerciales de Ribes sont relativement marginales, estimées à quelques milliers d’hectares de Cassis et Groseillier à grappes pour les industries alimentaires ou médicinales. Mais, à cette production recensée, s’ajoutent (hors statistiques) des millions de jardins privés, ornementaux ou potagers, plantés très fréquemment de groseilliers à fleurs ou de petits fruits autoconsommés.

Les groseilles à maquereaux sont surtout appréciées dans le nord et l’est du pays. Elles ont bien failli disparaître de nos jardins à cause de l’oïdium. Ce champignon recouvre feuilles et fruits d’un duvet blanchâtre jusqu’à rendre ces derniers inconsommables. La découverte de quelques cultivars résistants et parfois sans épines a contribué à leur sauvegarde.

Salades de fruits

Les groseilles à grappes seules ou en mélange avec d’autres fruits rouges de saison constituent une matière première idéale pour la confection de salades de fruits, de confitures, gelées, coulis et même la fabrication de vin. En verger, elles se prêtent mal à la récolte mécanique, les baies se détachant difficilement. Les fruits écrasés doivent être traités très rapidement par cuisson ou congélation sous peine de fermentation et dégradation irréversible. Au jardin on dispose d’un grand choix variétal pour la couleur, l’acidité, le goût, la date de maturité… Quelques vieux cultivars du XIXe siècle sont encore disponibles tels ‘La Turinoise’, ‘Versaillaise’ rouge ou blanche, ‘Wilder’. Plus récemment se sont imposés ‘Junifer précoce’ très appréciée pour sa qualité et sa capacité à être « dessaisonnée » sous abri et ‘Mulka’, hybride de R. multiflorum à maturité tardive.

De nombreuses vertus

Les cassis méritent aussi une attention particulière, compte tenu de leurs multiples débouchés alimentaires ou médicinaux. Ils ont été longtemps intégrés au « jardin des simples ».

Aujourd’hui les plus gros producteurs mondiaux sont la Russie et la Pologne. Les fruits particulièrement riches en vitamine C sont transformés en jus, purées, confitures, gelées, coulis, intégrés à des laitages et yaourts, macérés dans l’alcool pour la fabrication de crèmes et liqueurs. Les colorants (anthocyanes) du fruit sont reconnus pour avoir une action bénéfique sur la circulation sanguine, ils renforcent la résistance et la perméabilité des capillaires. Les pépins contiennent une huile rare riche en oméga 6 et oméga 3 (acide alpha-linoléique et acide stéaridonique). Les extraits de bourgeons, grâce aux huiles essentielles, soulageraient certaines allergies, au même titre que la cortisone, sans présenter d’effets secondaires. Enfin les feuilles, utilisées en tisane, ont la réputation de soulager les rhumatismes.

La production commerciale de cassis s’est maintenue en France grâce aux techniques de mécanisation, de la plantation à la récolte, empruntées à d’autres espèces. L’exemple des vendangeuses équipées d’un kit particulier pour la récupération des fruits en plateaux, caisses ou palox est remarquable. Les baies sont propres, entières, non écrasées. Une conduite sur tige a été expérimentée sur plusieurs dizaines d’hectares pour limiter les pertes de fruits au sol. Un logiciel intégrant les températures minimales et maximales journalières relevées depuis la floraison permet de prévoir la date de récolte optimale pour chaque cultivar.

Une nouvelle gamme

En Europe, l’offre variétale est importante. Il existe plus d’un millier de cultivars, mais bien peu sont capables de satisfaire nos besoins qualitatifs et de s’adapter à nos conditions pédoclimatiques sachant que nous sommes à la limite sud des possibilités culturales et que le réchauffement climatique, apparemment inexorable, ne va rien arranger.

Les variétés traditionnelles ‘Noir de Bourgogne’ et ‘Royal de Naples’ répondent à nos exigences qualitatives les plus élevées mais présentent quelques défauts majeurs, autostérilité, sensibilité à l’oïdium, besoins en froid hivernal élevés. Une nouvelle gamme, corrigeant ces insuffisances, est aujourd’hui proposée avec ‘Andega’, ‘Blackdown’, ‘Bigno’, ‘Tradimel’…

Petite classification des Ribes

Ribes speciosum - © D. Lejeune
Ribes speciosum – © D. Lejeune

La classification proposée par Alfred Rehder vers 1940 semble la plus récente. Il range la centaine d’espèces connue à l’époque en 4 sections d’importance inégale. BERISIA regroupe les espèces dioïques telles Ribes alpinum L., à feuilles caduques ou Ribes laurifolium Jancz. à feuilles persistantes. RIBESIA compte sept sous-sections de plants tous hermaphrodites et sans épines. Les plus importantes rassemblent les Groseilliers odorants, Ribes aureum Pursh., les Groseilliers à fleurs, Ribes sanguineum Pursh., les Groseilliers à feuilles cireuses, Ribes cereum Dougl. Les Groseilliers noirs (Cassissiers), tous à fruits noirs et porteurs de glandes essentielles, Ribes nigrum L., Ribes americanum Mill. ou Ribes bracteosum Dougl. aux longues grappes dressées. Citons encore dans cette grande section les Groseilliers à grappes, Ribes sativum Syme, Ribes petraeum L., Ribes multiflorum Kitt. ou Ribes longiracemosum Franch. Ce dernier originaire de Chine porte des grappes pendantes de 40 cm et plus. Les groseilliers épineux appartiennent à la section GROSSULARIOIDES pour les quelques-uns à grappes longues et à la section GROSSULARIA pour les plus nombreux à grappes courtes. On y trouve les Groseilles à maquereaux et quelques espèces ornementales dont le Ribes speciosum Pursh. original par son bois rouge très épineux, ses petites feuilles vernissées et ses longues fleurs rouges précoces à étamines saillantes rappelant celles du Fuchsia.

[1]Je préfère utiliser ce nom plutôt que Ribes rubrum L. préconisé par « Flora gallica » qui relance et pérennise l’ambigüité et la confusion séculaire entre les « Gardencurrants » et les « Northerncurrants ». La plupart des auteurs anglo-saxons et soviétiques considèrent Ribes rubrum comme un groseillier du nord de l’Europe et de Sibérie au phénotype et caractéristiques biologiques très différents de celui que nous côtoyons quotidiennement dans les Basses Vallées Angevines.

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