Le Cavitron fait tourner la tête des plantes

Sylvain DelzonHervé Eric Cochard

Figure 1. A gauche le premier prototype de Cavitron issu des laboratoires de l’INRA de Clermont-Ferrand (© H. Cochard). A droite, le premier Cavitron “sécurisé” développé à partir d’une centrifugeuse à l’INRA de Bordeaux - © S. Delzon).
Figure 1. A gauche le premier prototype de Cavitron issu des laboratoires de l’INRA de Clermont-Ferrand (© H. Cochard). A droite, le premier Cavitron “sécurisé” développé à partir d’une centrifugeuse à l’INRA de Bordeaux – © S. Delzon).

Les dépérissements forestiers récents, observés aux quatre coins du monde, ainsi que les pertes sévères de rendement agricole, dues à des sécheresses intenses, ont amené les scientifiques à rechercher les mécanismes physiologiques sous-jacents afin de mieux prédire ces évènements et repérer des espèces plus adaptées. Dans leurs laboratoires, ils ont identifié un dysfonctionnement physiologique majeur lors d’un stress hydrique intense : la cavitation, évènement qui conduit à l’embolie des vaisseaux conducteurs de sève ascendante.

La cavitation correspond à la formation d’une bulle d’air dans les vaisseaux des plantes (le xylème), qui vient rompre la colonne d’eau et rend ainsi l’appareil vasculaire impropre au transport de la sève. La cavitation se produit lors d’épisodes de sécheresse sévère et conduit à la mort de la plante lorsqu’elle atteint des taux importants (Delzon et Cochard 2014).

Prototype sécurisé

Les outils disponibles au début des années 2000 pour caractériser la vulnérabilité à la cavitation, et donc à la sécheresse des plantes, ne permettaient pas de mesurer rapidement un grand nombre d’échantillons. Nous étions limités à l’étude de quelques individus et donc dans l’incapacité de conduire des analyses exhaustives concernant, par exemple, toutes les espèces d’un écosystème ou plusieurs populations et génotypes au sein d’une même espèce. Pour remédier à ce problème, le premier Cavitron a vu le jour dans le laboratoire de l’INRA de Clermont-Ferrand en 2001. De confection artisanale (Figure 1),  ce Cavitron pouvait s’avérer quelque peu dangereux lorsqu’une branche était fixée au sommet de la perceuse tournant à pleine vitesse. Les bases théoriques ont toutefois pu être établies et ont été publiées en 2002 (Cochard 2002). Quelques années plus tard, un prototype plus sécurisé a été développé dans nos laboratoires (Figure 2) grâce à l’utilisation d’une centrifugeuse.

Mesurer la conductance hydraulique

Le Cavitron est un prototype capable de caractériser la vulnérabilité à la cavitation des plantes via la mesure de la conductance hydraulique d’un rameau sous tension (sa capacité à transporter de l’eau). Le principe de fonctionnement du Cavitron est basé sur l’utilisation de la force centrifuge pour générer à la fois une tension (pression négative) dans le xylème (qui simule une sécheresse) et un gradient de pression hydrostatique entre les deux extrémités. Chaque extrémité de l’échantillon est immergée dans une cuve d’eau de niveau différent. Le niveau maximal de chaque cuve étant déterminé par un trou dans la cuve (schéma en haut à gauche). Cette différence de niveau crée un gradient hydrostatique qui génère un flux d’eau à travers le rameau, depuis le réservoir amont vers le réservoir aval. En effectuant des mesures à différents paliers (différentes vitesses induisant différentes tensions), on peut obtenir une courbe de vulnérabilité en moins de 20 minutes (courbe en bas à droite) et ainsi comparer des espèces ou des génotypes pour leur vulnérabilité à la cavitation et donc leur tolérance à la sécheresse. Le couplage de cette méthode à des outils d’analyse tridimensionnelle de la structure du bois par nanotomographie à rayon X, nous permet de progresser dans la compréhension du mécanisme de formation de la cavitation, voire dans l’identification des bases génétiques et moléculaires de ce processus.

Figure 2. En haut : schéma décrivant le fonctionnement du Cavitron avec son rotor de 27 cm, ces deux réservoirs d’eau et sa caméra (gauche) et photo d’une branche de conifère placé au sein d’un rotor standard de Cavitron. En bas : vue d’ensemble d’un Cavitron à gauche et d’une courbe de vulnérabilité à droite - © S. Delzon
Figure 2. En haut : schéma décrivant le fonctionnement du Cavitron avec son rotor de 27 cm, ces deux réservoirs d’eau et sa caméra (gauche) et photo d’une branche de conifère placé au sein d’un rotor standard de Cavitron. En bas : vue d’ensemble d’un Cavitron à gauche et d’une courbe de vulnérabilité à droite – © S. Delzon

Pistes pour l’adaptation aux changements climatiques

A l’heure actuelle, seule une poignée de laboratoires dans le monde possède un Cavitron leur permettant d’étudier la vulnérabilité à la cavitation à haut débit. L’INRA possède deux plates-formes équipées de plusieurs prototypes (sylvain-delzon.com/caviplace/) et accueillant un grand nombre de chercheurs étrangers tous les ans. Les Cavitrons actuellement en service dans nos plates-formes ont été améliorés et automatisés (Figure 2) en en faisant toujours un instrument unique au monde. Au cours des cinq dernières années, ces plates-formes ont permis d’étudier un grand nombre d’espèces forestières à travers le monde mettant en évidence une grande variabilité de la vulnérabilité à la cavitation entre les arbres vivant dans des milieux froids (forêt boréale) et très arides (forêt méditerranéenne). L’espèce la plus résistante au monde a notamment été identifiée dans nos laboratoires en juin 2015. En enquêtant sur les conifères du genre Callitris adaptés aux sécheresses extrêmes, nous avons démontré, grâce au Cavitron, que l’espèce Callitris tuberculata, issue de régions extrêmement arides d’Australie occidentale, est la plus tolérante du monde à la sécheresse (Larter et al. 2015). Au sein de ces arbres, le transport de la sève (circulation de l’eau) est toujours possible, même à des pressions proches de la limite de l’équilibre instable de l’eau, ce qui suggère que l’appareil vasculaire qui transporte la sève a évolué sous l’effet de la contrainte hydrique pour atteindre sa limite absolue. Ces travaux ont donc permis d’identifier la limite de l’adaptation à la sécheresse chez les arbres. Ce résultat ouvre de nouvelles pistes pour l’adaptation des arbres aux changements climatiques futurs.

Nouveau prototype

Plus récemment, nous avons modifié le rotor d’un de nos Cavitrons afin de l’adapter à des tiges d’herbacées (non ligneuses). Nous avons pu caractériser la résistance à la cavitation d’une trentaine d’espèces herbacées provenant de prairies humides et sèches. Ce rotor de petite taille (15 cm) permet également d’obtenir des courbes de vulnérabilité à la cavitation sur les hampes florales d’Arabidopsis thaliana (espèce utilisée comme organisme modèle dans les laboratoires du monde entier) et de rechercher les gènes impliqués dans ce caractère.

Figure 3. Le dernier-né des Cavitrons dessiné pour mesurer des espèces à vaisseaux très longs: le CAVI1000 – © R.Ségura
Figure 3. Le dernier-né des Cavitrons dessiné pour mesurer des espèces à vaisseaux très longs: le CAVI1000 – © R.Ségura

Nos Cavitrons ont toutefois des limites et ne permettent pas de mesurer les espèces à vaisseaux très longs comme les espèces tropicales ou la vigne. En effet, lorsque la longueur des vaisseaux dépasse le diamètre du rotor (27 cm), il n’est plus possible de mesurer correctement la conductivité hydraulique de la branche qui possède des vaisseaux ouverts de part en part. Nous avons développé un nouveau prototype, appelé CAVI1000 ou MEGA-Cavitron possédant un rotor d’un mètre de diamètre et pesant environ 1,5 tonne (Figure 3). De nouvelles perspectives de recherche ont ainsi pu être lancées depuis son arrivée au laboratoire en début d’année 2015, notamment sur la résistance à la sécheresse des différents cépages de vigne.

Savoir-faire unique au monde

Grâce au Cavitron, la recherche française détient un savoir-faire unique au monde qui la place à la pointe des travaux sur les mécanismes de résistance à la sécheresse des plantes. La diffusion de cette technologie vers les laboratoires avec lesquels nous collaborons permettra des avancées scientifiques décisives qui aideront à la gestion à la préservation des écosystèmes naturels, cultivés et horticoles face aux effets adverses du changement climatique.

A lire …

– Cochard, H. (2002). A technique for measuring xylem hydraulic conductance under high negative pressures. Plant, Cell & Environment, 25: 815-819.

– Delzon S. and H. Cochard (2014) Recent advances in tree hydraulics highlight the ecological significance of the hydraulic safety margin. New Phytologist 203: 355–358.

– Larter M., Brodribb T., Pfautsch S., Burlett R., Cochard H. and S. Delzon (2015) Extreme aridity pushes trees to their physical limits. Plant Physiology 168: 804-807.

 

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