La production française de lavande et lavandin

Bert Candaele

Les lavandes et de nombreuses autres labiées aromatiques (thym, romarin, sarriette…) se sont développées spontanément dans le milieu sauvage depuis des siècles dans toutes les zones de montagnes sèches de Provence. En effet, les huiles essentielles sont des métabolistes secondaires de ces plantes dont le rôle est notamment de repousser les herbivores et, le surpâturage aidant, ces plantes se sont développées considérablement dans les milieux sauvages.

Récolte de lavandin et remorque de distillation sur le Plateau de Valensole, Juillet 2014, machine à trois rangs – © B. Candaele / CRIEPPAM

La distillation de la lavande est attestée dès le XVIe ; la distillation de pleins champs exécutée par les bergers de Provence et du Languedoc est décrite à la fin du XVIIIe. Les alambics, en cuivre fonctionnent à feu nu et sont transportés à dos de mulet d’un site à un autre, en suivant la maturité des fleurs, en fonction de l’altitude. La fin du XVIIIe est l’époque de prospérité pour les herboristes et marchands droguistes ayant récolté les plantes, dont la lavande, dans les montagnes arides de Haute Provence. Les montagnes de Lure et du Mont Ventoux sont alors le centre de ces activités. Le XIXe siècle verra une exploitation croissante de cette ressource naturelle, du fait du développement important de l’industrie des parfums à Grasse. Ainsi, à la fin du XIXe, la production d’huile essentielle de lavande, uniquement issue de cueillette sauvage, est estimée à 60 tonnes, soit l’équivalent de la production actuelle nationale de lavande (hors lavandin). Dans les communes, des arrêtés sont pris pour règlementer les dates autorisant le début de cueillette afin de ne pas compromettre la récolte de miel, déjà renommé à cette époque.

Une vague de créations nouvelles

Au début du XXe siècle, des essais sont faits pour améliorer la distillation, et les premières mises en culture sont testées. Ces plantations sont constituées de plants arrachés dans la montagne. L’entretien et le labour avec le cheval dans les lavanderaies sauvages seront aussi mis en œuvre. La forte demande en huile essentielle et les besoins en produits de qualité poussent les parfumeurs à s’investir dans la production et à encourager les mises en culture. Des usines modernes de distillation sont implantées au cœur des zones de production. Dès les années 1925, certains industriels commencent aussi à s’intéresser au lavandin, l’hybride naturel entre la lavande vraie et la lavande aspic, conduisant à quelques essais de mise en culture, et en 1935, le professeur Abrial trouve un nouveau cultivar qui portera son nom et sera le moteur du développement du lavandin après la deuxième guerre mondiale. Parallèlement, la production issue de cueillette sauvage est en voie de disparition au profit des cultures. Après la deuxième guerre mondiale, le développement de l’industrie de la lessive va créer une explosion de la demande, car l’huile essentielle de lavandin est utilisée pour parfumer les lessives et masquer certaines odeurs. Ce développement va entraîner une vague de créations de nouvelles distilleries modernisées, à bain marie. Dans les années 60, les premières machines à couper sont mises au point et remplacent les faucilles. Elles permettent de faire des gerbes de fleurs, mises à sécher contre les plantes, quelques jours avant d’être amenées à la distillerie. Elles serviront de combustible après la distillation, pour la production de vapeur. La mécanisation entraînera avec elle un nouveau mode de plantation passant de la plantation dite au carré (même distance entre plantes dans les deux sens), à des plantations en ligne, où chaque plante doit toucher la suivante pour permettre la récolte à la machine. Ce mode de production prévaudra jusque dans les années 90.

Une production compétitive sur le marché mondial

Aujourd’hui, la production d’huile essentielle de lavande et de lavandin est mécanisée. La lavande, destinée à la parfumerie fine devra faire l’objet d’un séchage avant la distillation, pour une meilleure qualité. Il existe en France différentes qualités d’huile essentielle de lavande parmi lesquelles la fameuse Appellation d’Origine Protégée huile essentielle de lavande de Haute Provence. Le lavandin, destiné principalement à des usages dans l’industrie des détergents, est récolté et coupé en vert, et directement introduit dans des remorques qui serviront d’alambic une fois arrivées à la distillerie. En effet, la vapeur produite par une chaudière séparée est injectée par le bas de la remorque et un chapeau posé sur la remorque permet la collecte des vapeurs chargées d’huile essentielle. Les vapeurs sont condensées et refroidies dans des échangeurs. Le condensat, constitué de l’huile essentielle et d’une partie aqueuse (l’hydrolat, eau distillée chargée d’huile essentielle), sera séparé par décantation gravitaire dans ce qui est appelé l’essencier (la densité de l’huile essentielle de lavande se situe vers 0.89) ; l’huile essentielle remonte donc à la surface, où elle sera recueillie.

Les enjeux rencontrés pour ces cultures

Ces cultures font face à une concurrence internationale importante. La lavande doit faire face aux pays à coûts de main d’œuvre faibles (Bulgarie, Chine), le lavandin est quant à lui concurrencé par les produits de synthèse. Afin de rester compétitive et leader sur ces productions, la filière française a donc dû en permanence, se moderniser, chercher et mettre au point des techniques de production économes en main d’œuvre, faire face aux problèmes sanitaires tout en maintenant la production dans une démarche de développement durable.

Une recherche active qui travaille sur tous les fronts

Distillation de lavande en Haute Provence, illustration dans La Parfumerie Moderne, 1908
Distillation de lavande en Haute Provence, illustration dans La Parfumerie Moderne, 1908

Depuis une vingtaine d’années, les organismes techniques de la filière ont contribué à résoudre des problèmes majeurs. Outre le travail sur la modernisation des chantiers de récolte et distillation qui se poursuivent aujourd’hui dans le but d’économiser de l’énergie lors de ces opérations, les principaux enjeux sont d’ordres sanitaires. Pour toutes les cultures, lorsque les surfaces sont fortement concentrées dans des zones géographiques restreintes, des problèmes de maladies, ravageurs apparaissent et peuvent devenir préjudiciables, voire remettre en cause la production. Depuis de nombreuses années, la lavande et le lavandin font face à une maladie appelée le dépérissement. C’est une maladie à phytoplasme (bactérie sans paroi), transmise par une minuscule cigale (cicadelle), dénommée Hyalesthes obsoletus, qui, lors de ses piqures nutritionnelles, contamine les plantes. Dans les années 70, cette maladie avait fait de gros dégâts sur le lavandin Abrial. A l’époque, par chance, une nouvelle variété, Grosso avait été trouvée et avait permis de régler le problème. Mais depuis la fin des années 90, cette maladie s’est développée sur la lavande bleue, – variété qui sert à faire les bouquets secs et les fleurs mondées pour les pots pourri -, puis s’est développée à toute la lavande et au lavandin. Les causes de cette propagation sont encore mal connues, mais le changement climatique et surtout les aléas climatiques (sécheresse, canicule, …) jouent certainement un rôle important.

Des programmes de sélection

Le dépérissement de la lavande est une maladie à phytoplasme transmise par la cicadelle. Ici, adulte de Hyalesthes obsoletus - © Jonathan Gaudin
Le dépérissement de la lavande est une maladie à phytoplasme transmise par la cicadelle. Ici, adulte de Hyalesthes obsoletus – © Jonathan GaudinDes programmes de sélection

Des recherches importantes ont été enclenchées et ont permis tout d’abord de connaître l’insecte vecteur et le phytoplasme responsables de ces ravages, puis de chercher des solutions de lutte ou de régulation. Rapidement, des programmes de sélections variétales et de production de plants indemnes ont été mis en place.

Lavande de population locale dépérissante et envahie par l’herbe – A droite variété Rapido – © CRIEPPAM

Sur la lavande de population (multipliée par graines), la sélection variétale a permis de mettre à disposition des pépiniéristes et des producteurs des variétés plus tolérantes comme Rapido et Carla qui sont aujourd’hui très largement cultivées. Dans le même temps, des individus ont été triés dans ces populations (plusieurs milliers) et certains cultivars sont aujourd’hui cultivés par bouturage.

Sur le lavandin, les programmes de sélection sont plus complexes, du fait que c’est un hybride stérile. Les améliorations génétiques réalisées ont permis de mettre au point des cultivars plus productifs, mais l’augmentation de la tolérance au dépérissement semble difficile à obtenir.

Parallèlement à ces travaux, une filière de plants sains certifiés a été mise en place. Aujourd’hui, plus de 60 % de la production de plants est ainsi certifiée et garantie indemne de phytoplasme.

Lutte indirecte contre la cicadelle

La lutte directe contre cette maladie bactérienne n’est pas envisageable. La lutte directe contre la cicadelle, est également compromise. En effet, celle-ci vit sur un grand nombre d’espèces de plantes sauvages et affectionne particulièrement la lavande, où elle fait son cycle complet. La lutte directe avec des insecticides ne fonctionne pas. Les structures techniques travaillent donc sur des itinéraires de lutte indirecte contre cette cicadelle : par la pulvérisation d’argile blanche au moment où les adultes vont piquer les lavandes et par la création d’écrans végétaux l’année de plantation (année la plus sensible aux attaques) en semant dans les interlignes une céréale qui aura comme effet de masquer les plants de lavande et de perturber la cicadelle lors de ses déplacements aériens. Ces expérimentations donnent des résultats encourageants et commencent à être adoptées sur des surfaces conséquentes.

Création d’un fonds de sauvegarde

La lavande et le lavandin sont aujourd’hui des cultures qui malgré les problèmes climatiques et sanitaires continuent à se développer. Toutefois, en Provence, où la quasi-totalité de ces plantes sont cultivées, les producteurs restent inquiets, face aux aléas climatiques et au dépérissement. Un fonds de sauvegarde a été créé pour aider la recherche à financer d’avantages de programmes techniques, www.sauvegarde-lavandes-provence.org

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One thought on “La production française de lavande et lavandin”

  1. Bonjour Messieurs,
    Merci pour ces informations.
    Pouvez-vous me dire s’il vous plaît Où, quand et comment se déroulent les cueillettes de lavande, lavandin, thym et sarriette en France?
    (Je me présente : Cécile Devers, artiste peintre et dessinatrice, illustratrice et décoratrice, j’anime aussi des ateliers d’arts plastiques auprès de groupes d’enfants et d’adultes dans des associations tels que des centres d’animation de quartiers parisiens.
    Je réalise des carnets de voyages, dont une partie a été publiée…)
    J’aimerai de tout coeur revenir voir de plus près ces paysages sensationnels de Provence, peut-être réaliser quelques oeuvres, & pourquoi pas, participer du mieux que je pourrai, à une promotion originale de votre activité. (sous forme d’expositions, d’illustrations, de diffusions d’informations, de communication visuelle…).
    Merci d’avance de votre (ou vos) réponse (s)
    Avec mes salutations distinguées. A bientôt! Cécile Devers

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