La pollinisation des Aracées : des «histoires» d’amour

Marc GibernauAngélique Quilichini

La famille des Aracées, petite présentation botanique

Calla palustris en fleur pousse les « pieds dans l’eau ». La spathe est sous forme un étendard plus ou moins érigé blanc-verdâtre. Le spadice est constitué de fleurs bisexuées, chacune étant formée d’un gynécée vert protubérant entouré d’étamines jaunes- © M. Gibernau
Calla palustris en fleur pousse les « pieds dans l’eau ». La spathe est sous forme un étendard plus ou moins érigé blanc-verdâtre. Le spadice est constitué de fleurs bisexuées, chacune étant formée d’un gynécée vert protubérant entouré d’étamines jaunes- © M. Gibernau

Les Aracées représentent une famille de plantes monocotylédones de près de 3 800 espèces réparties dans au moins 118 genres. Elles sont principalement tropicales mais aussi représentée en milieux tempérés. Le feuillage souvent luxuriant et des inflorescences colorées en font des plantes courantes de nos jardins et de nos intérieurs. En jardins, nous croisons fréquemment des Zantedeschias (Z. aethiopica), originaires du Sud-est de l’Afrique, improprement nommés Calla ou Arum d’Ethiopie. En intérieur ou en serre, les flamants roses ou langues de feu (Anthuriums), les fleurs de lune (Spathiphyllums) ou les Philodendrons côtoient d’autres plantes tropicales. Dans les plans d’eau et zones humides, on admire souvent l’arum des marais (Calla palustris), la laitue d’eau (Pistia stratiodes), l’arum bananier blanc ou jaune selon qu’il provient d’Asie (Lysichiton camtschatcensis) ou d’Amérique (L. americanus) ou les lentilles d’eau[1].

Une spathe et un spadice

Détail de l’inflorescence de Zantedeschia aethiopica. La spathe blanche en forme de cornet entoure le spadice. Les étamines jaunes sont situées au sommet du spadice et les gynécées verts à la base - © M. Gibernau
Détail de l’inflorescence de Zantedeschia aethiopica. La spathe blanche en forme de cornet entoure le spadice. Les étamines jaunes sont situées au sommet du spadice et les gynécées verts à la base – © M. Gibernau

Les Aracées possèdent une structure florale caractéristique, sous la forme d’une inflorescence constituée d’une spathe et d’un spadice. La spathe est une bractée[2] plus ou moins développée et colorée qui peut, chez certaines espèces, entourer le spadice et former une chambre de pollinisation. Le spadice est un axe vertical portant les fleurs de petite taille. Il existe deux grands types de spadice chez les Aracées. Les espèces à fleurs bisexuées, telles que les anthuriums, les spathiphyllums, présentent un spadice homogène sur toute sa longueur portant un seul et même type de petite fleur bisexuée. Les espèces à fleurs unisexuées, telles que les zantedeschias ou les arums, présentent un spadice spatialement hétérogène. Des fleurs femelles, constituées seulement d’un gynécée, se développent à la base du spadice, constituant la zone dite femelle. Au-dessus, des fleurs mâles, formées seulement d’étamines constituent la zone mâle. L’emplacement exact de cette zone est situé à l’apex du spadice chez les zantedeschias ou au milieu du spadice chez les arums. L’évolution des fleurs unisexuées s’accompagne de la disparition des tépales[3] et de l’apparition de fleurs (mâles) stériles. La zone stérile est située soit au milieu du spadice soit à l’extrémité, on parle alors de massue ou d’appendice.

Une pollinisation principalement par les insectes

Détail d’une inflorescence de Dieffenbachia seguine. La spathe verte entoure complètement le spadice et forme à sa base une chambre de pollinisation dont l’ouverture apicale est réduite par une zone de restriction de la spathe. Coléoptère Cyclocephala accroché au spadice au niveau des étamines au-dessus de l’ouverture de la chambre de pollinisation - © M. Gibernau
Détail d’une inflorescence de Dieffenbachia seguine. La spathe verte entoure complètement le spadice et forme à sa base une chambre de pollinisation dont l’ouverture apicale est réduite par une zone de restriction de la spathe. Coléoptère Cyclocephala accroché au spadice au niveau des étamines au-dessus de l’ouverture de la chambre de pollinisation – © M. Gibernau

Les plantes à fleurs sont principalement entomophiles, pollinisées par des insectes (80 % des espèces). Ceux-ci visitent les fleurs à la recherche d’une ressource qui peut être de nature alimentaire (nectar, pollen) ou liée à leur reproduction (partenaire sexuel, site de ponte). Ceci explique pourquoi les fleurs pollinisées par des insectes arborent de si belles couleurs, formes et parfums, qui sont très souvent des signaux indiquant aux pollinisateurs la présence de la ressource recherchée. Plus ces signaux sont efficaces, plus la plante qui les présente aura de chance d’être pollinisée et donc de se reproduire. Les Aracées peuvent être pollinisées par des insectes appartenant aux ordres des coléoptères (scarabées), des diptères (mouches) ou des hyménoptères (abeilles) et sont impliquées dans des interactions allant du mutualisme à l’antagonisme[4]. Le nectar, une substance végétale riche en énergie, n’est pas produit chez les Aracées qui synthétisent plutôt des fluides (exsudats) stigmatiques, correspondant à une version pauvre en énergie du nectar. Ceci expliquerait pourquoi la pollinisation par les papillons n’est pas connue chez les Aracées.

Les interactions honnêtes, ou mutualismes, Aracées – pollinisateurs

Infructescence d’Anthurium bakeri, résultat de la pollinisation de l’inflorescence. Chaque gynécée s’est transformé en une baie charnue rouge renfermant de minuscules graines. Les tépales entourant les fleurs sont encore visibles (petits triangles blancs). La spathe ressemble à un bractée verte (floue en haut à gauche) - © M. Gibernau
Infructescence d’Anthurium bakeri, résultat de la pollinisation de l’inflorescence. Chaque gynécée s’est transformé en une baie charnue rouge renfermant de minuscules graines. Les tépales entourant les fleurs sont encore visibles (petits triangles blancs). La spathe ressemble à un bractée verte (floue en haut à gauche) – © M. Gibernau

Dans la majorité des cas d’interactions, la plante assure sa reproduction et le pollinisateur obtient la ressource recherchée. L’interaction étant bénéfique pour chacun des partenaires, on parle alors de mutualisme. Chez les Aracées, la spécialisation de l’inflorescence au(x) pollinisateur(s), augmente l’efficacité de l’interaction. Souvent elle est réciproque, allant jusqu’à une synchronisation des cycles de reproduction de la plante et de l’insecte. On parle alors de coévolution entre les deux protagonistes, qui peut produire à l’extrême des interactions obligatoires. Nous présentons une partie de la diversité des modes de pollinisation des Aracées au travers de trois types d’insectes : des hyménoptères, des coléoptères et des diptères.

Hyménoptères, des mâles attirés par l’odeur

Contrairement aux abeilles qui, dans nos prairies, visitent les fleurs principalement à la recherche de pollen, en Amérique tropicale, les mâles des abeilles euglossines visitent les inflorescences d’Aracées pour un tout autre butin. Attirés par l’odeur, les abeilles mâles se posent sur les inflorescences et les parcourent longuement de bas en haut. Tels des parfumeurs pratiquant la technique de l’enfleurage, ils mélangent la cire odorante recouvrant le spadice à la sécrétion de leur glande labiale à l’aide d’une brosse située sur les tarses antérieurs. Ils transfèrent ensuite cette pâte dans un réservoir situé sur les tibias postérieurs et reprennent leur collecte. Cette pâte odorante permettrait de parfumer le nid qu’ils construisent afin de favoriser la pontes des œufs par les femelles, d’attirer les femelles lors de la danse nuptiale, et/ou de repousser les mâles rivaux. C’est en frottant leur abdomen contre les parties mâles et femelles des fleurs, que les insectes assurent la pollinisation.

Un lieu de rencontre pour les coléoptères

Les coléoptères associés à des Aracées viennent chercher deux types de ressource, d’abord alimentaire sous forme de fleurs stériles riches en glucides et protéines, et/ou sous forme de pollen. De plus, les coléoptères cherchent à se reproduire, les inflorescences étant alors le lieu de rencontre et d’accouplement des partenaires sexuels. De nombreuses Aracées d’Amérique tropicale (philodendrons, caladiums, dieffenbachias,…) mais aussi d’Asie tropicale (homalomenas) sont ainsi pollinisées par des coléoptères crépusculaires (Scarabéidés ou Nitidulidés). Dans la nuit, les inflorescences produisent de la chaleur et émettent de fortes odeurs qui indiquent aux coléoptères où trouver « le lit et le couvert ». Les coléoptères s’accouplent dans la chambre de pollinisation formée par la base de la spathe et se nourrissent de fleurs stériles. S’ils portent du pollen, il sera déposé sur les fleurs femelles, qui sont alors réceptives. Les insectes restent dans l’inflorescence jusqu’au lendemain soir, lors de l’émission de filaments de pollen. Les coléoptères mangent le pollen, qui se colle alors en partie sur leur corps, puis s’envolent à la recherche d’une nouvelle inflorescence réceptive.

Stigmates réceptifs pour les diptères

Inflorescence de Piptospatha grubowski, dont la spathe rose-violacé entoure complètement le spadice. Les pollinisateurs, des mouches Colocasiomyia, entrent dans la chambre de pollinisation en se faufilant entre les rebords de la spathe (non visibles sur la photo) - © M. Gibernau
Inflorescence de Piptospatha grubowski, dont la spathe rose-violacé entoure complètement le spadice. Les pollinisateurs, des mouches Colocasiomyia, entrent dans la chambre de pollinisation en se faufilant entre les rebords de la spathe (non visibles sur la photo) – © M. Gibernau

Les mouches pollinisent diverses Aracées d’Amérique du Nord (peltandres) et d’Asie tropicale (alocasias, colocasias, schismatoglottis,…). Ces diptères (Drosophilidés ou Chloropidés), attirés à l’intérieur de l’inflorescence réceptive qui produit de la chaleur et émet une odeur, se nourrissent de sécrétions liquides plus ou moins sucrées produites par les stigmates ou la spathe. Si ces mouches transportent du pollen, elles assurent la pollinisation des stigmates réceptifs. De plus, les mouches s’accouplent et les femelles vont pondre leurs œufs sur le spadice. Lorsque l’inflorescence libère son pollen, la spathe se referme autour du spadice ou tombe, et les mouches chargées de pollen s’envolent à la recherche d’une autre inflorescence réceptive. Les larves éclosent sur le spadice et se nourrissent des bactéries qui dégradent les parties florales inutiles (stigmates, styles, étamines), accomplissant leur cycle sur l’inflorescence. Contrairement aux modes de pollinisation connus chez les figuiers, les yuccas ou les trolles, les larves des pollinisateurs ne font pas de dégâts à l’infrutescence, ni aux graines.

À Lire…

  •  Chartier M., Maia A.C.D. et Gibernau M. 2009. La pollinisation des Aracées. Insectes 155 (4): 3-5.
  •  Gibernau M. et Barabé D. 2012. Des fleurs à « sang chaud ». Pour la Science, Dossier N°77, Octobre-Décembre : 74-80.
  •  Gibernau M. et Chartier M. 2010. Les Aracées: une diversité d’arômes ou les différentes stratégies de la séduction. Les Courriers de la Nature 260: 26-32.
  •  Gibernau M., Chartier M. et Quilichini A. 2014. Evolution des systèmes de pollinisation chez les Aracées. Espèces n°11 (Mars) : 20-29.
  •  Quilichini A. et Gibernau M. 2013. Leurre et chaleur : la pollinisation par duperie chez les Aracées. Stantari 31: 34- 43.

[1] Actuellement famille des Lemnaceae, mais sous-famille des Lemnoidées chez les Aracées

[2] Les bractées sont des feuilles modifiées

[3] Tépales : ensemble des sépales et des pétales de structure identique chez les monocotylédones

[4] On parle de pollinisation par duperie, mais cela fera l’objet d‘un autre article.

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One thought on “La pollinisation des Aracées : des «histoires» d’amour”

  1. Bonjour,
    On m’a offert un spathiphyllum qui est actuellement en fleurs et semble prodiire beaucoup de pollen, je souhaitais savoir s’il était possible de polliniser soi-même la plante.

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