Forêts tropicales – La face cachée des lianes

Sandrine IsnardGildas Gâteblé

Le mythe de Tarzan, se balançant de liane en liane dans la jungle tropicale nous renvoie l’image d’une forêt envahie par les plantes grimpantes. Pourtant, les lianes en forêts tropicales passent bien souvent inaperçues, et pour cause leur feuillage s’étale au-dessus de la canopée et ne se voit pas du sol. Seules leurs longues tiges transperçant le sous-bois laissent présager leur important feuillage.

Pandorea pandorana (Bignoniaceae), délicate liane indigène des forêts humides de Nouvelle-Calédonie – © J-P Rossignol
Pandorea pandorana (Bignoniaceae), délicate liane indigène des forêts humides de Nouvelle-Calédonie – © G. Gateblé

Contrairement aux épiphytes, qui poussent sur d’autres plantes, et dont les racines aériennes pendulent dans le sous-bois, les lianes germent au sol et y restent enracinées toute leur vie. Il faudrait croire que Tarzan se saisissait plutôt de ces racines d’épiphytes pour se déplacer en forêt.

Une ascension vers la canopée

Les lianes ont une très large répartition systématique : on en trouve chez les fougères, les bambous, les palmiers, les gymnospermes (qui incluent les conifères). Plus de 130 familles végétales comptent des espèces grimpantes. Au début de leur existence, les plantules des plantes grimpantes ne se distinguent pas des plantules d’arbres. Il suffit néanmoins d’une mince trouée de la canopée laissant passer un peu de lumière pour qu’elles se transforment aussitôt en plantes grimpantes, produisant une tige avec de longs entre-nœuds. Pour leur ascension vers la canopée, progressant d’arbre en arbre, les lianes sont souvent équipées d’organes spécialisés dans l’accrochage (vrilles, racines crampons, crochets, axes volubiles…)[i].

Contrairement aux arbres dont le bois est bâti pour la rigidité, le bois des lianes est bien plus flexible. Bénéficiant du soutien structurel des autres végétaux et de leurs systèmes d’accrochage variés pour leur ascension vers la canopée, les lianes s’affranchissent d’un investissement mécanique coûteux et allouent une grande partie de leur ressource à l’allongement rapide de la tige. Ainsi, leurs tiges de fins diamètres sont souvent douées d’une vitesse de croissance remarquable (2,25 mm/h chez Dioscorea bulbifera). Par contre, leur croissance en diamètre est lente, ce qui concoure à assurer une certaine flexibilité des axes.

Anatomies originales

La liane Bauhinia guianensis de la forêt humide de Guyane. La tige enroulée dans le vide évoque le fantôme de l’arbre support aujourd’hui disparu – © D.R.
La liane Bauhinia guianensis de la forêt humide de Guyane. La tige enroulée dans le vide évoque le fantôme de l’arbre support aujourd’hui disparu – © D.R.

Les lianes se déforment, s’affaissent, chutent puis repartent à l’assaut de la canopée. Les nombreuses perturbations de la forêt laissent des empreintes, des tiges de lianes enroulées dans le vide, déformées, traversant le sous-bois horizontalement ou verticalement et évoquant les fantômes des arbres aujourd’hui disparus. Pour survivre à ces chutes et aux déformations de leurs tiges, les lianes ont développé des anatomies très originales au cours de leur évolution. Elles concentrent la plus importante diversité d’organisations anatomiques de tout le règne végétal. Leur construction anatomique est souvent comparée à une structure en câble, susceptible de se diviser en toron sous l’effet des contraintes de torsion et de flexion.

Les lianes produisent un feuillage impressionnant dans la canopée, ce qui demande beaucoup d’eau ! A diamètre égal, une tige de liane porte une surface de feuilles bien plus importante qu’un arbre. Pour répondre à la forte demande en eau, elles développent des conduits longs et larges, augmentant ainsi considérablement la conduction vers les feuilles. Les canaux vasculaires sont souvent visibles à l’œil nu, chez les palmiers grimpants ils peuvent atteindre 0,5 cm de diamètre !

Des marqueurs physionomiques majeurs

Si les lianes sont relativement discrètes dans le sous-bois, elles n’en sont pas moins des marqueurs physionomiques majeurs des forêts tropicales. Leur distribution en forêt est en réalité très inégale et il peut être très difficile de pénétrer dans certaines forêts tellement la lisière représente un mur cimenté par les lianes. C’est dans les milieux perturbés, lumineux, où les trouées sont nombreuses et les supports abondants, que l’on rencontre le plus de lianes. Au cœur des forêts, elles s’établissent dans les trouées engendrées par la chute des arbres puis se maintiennent lorsque la forêt se referme. L’héritage des trouées dominées par les lianes, enchevêtrement impénétrable, persiste souvent plusieurs années après l’achèvement de la régénération locale. Les chablis[1] sont des phénomènes fréquents en forêt tropicale. Il n’est pas rare, en arpentant les forêts, d’entendre le craquement du bois qui se fend, la chute d’un arbre mort entraînant d’autres arbres alentour, et les tiges de lianes tels des câbles qui s’étirent, craquellent et entraînent d’autres arbres dans leur chute. Les lianes pourraient même inciter la chute de leurs hôtes pour favoriser leur expansion, la trouée laissée par le chablis est ainsi très rapidement colonisée.

Un rôle important dans les systèmes forestiers

Les cyclones ou les perturbations anthropiques (déforestation, exploitation forestière) favorisent également la présence des lianes. L’aptitude écologique à coloniser rapidement certains milieux est à l’origine du maintien local de leur diversité. Ainsi, au Panama, sur l’île du Barro Colorado, il a été montré que la richesse en lianes est significativement plus importante dans les trouées que dans les sites dépourvus de trouées. Les lianes jouent un rôle important dans les systèmes forestiers où elles renforcent la cohérence mécanique de la canopée en liant les couronnes d’arbres entre-elles. Par ce biais, elles forment également des connexions entre les arbres facilitant le déplacement de la faune. Elles fournissent une source de nourriture non négligeable via les processus de pollinisation et de dispersion. Les lianes sont également un fardeau pour les arbres, créant ombrage et poids. Elles ralentissent leur croissance, réduisent leur fertilité ou augmentent leur taux de mortalité. Ainsi, après de longue décennie de négligence, les lianes sont aujourd’hui reconnues comme des composants essentiels des forêts tropicales où elles participent activement aux dynamiques forestières.

Sensibles aux embolies

Dans de nombreuses forêts tropicales, les lianes contribuent à hauteur de 25 % de la densité des tiges et de la diversité en espèces. Dans certains écosystèmes tropicaux, leur importance est telle qu’elles peuvent représenter jusqu’à 45 % de la richesse, soit presque une espèce sur deux ! Dans les forêts tempérées, elles sont beaucoup moins présentes et excèdent rarement plus de 10 % de la diversité forestière.

L’accroissement de la diversité biologique vers l’équateur est une tendance générale. Mais ce phénomène est exacerbé pour les lianes dont l’abondance et la diversité augmentent bien plus rapidement que les autres formes de vie (arbuste, arbres..) lorsque l’on se rapproche de la ceinture intertropicale. Par exemple, la proportion d’espèces de lianes est cinq fois plus importante entre les forêts tempérées et les forêts tropicales de plaines alors que les arbres sont seulement deux fois plus représentés dans les flores. L’explication la plus répandue est que les lianes ne tolèrent pas le gel en raison de leurs longs et grands vaisseaux vasculaires sensibles aux embolies[2] hivernales.

Formation de bulles d’air engendrant un arrêt de la conduction de la sève dans le conduit. Les gaz dissous dans la sève gèlent et au printemps, les bulles d'air persistent et bloque la circulation de la sève dans les branches ou dans les feuilles
2 Formation de bulles d’air engendrant un arrêt de la conduction de la sève dans le conduit. Les gaz dissous dans la sève gèlent et au printemps, les bulles d’air persistent et bloque la circulation de la sève dans les branches ou dans les feuilles

Lianes ornementales indigènes des différents habitats de la Nouvelle-Calédonie

 

Turbina inopinata (Convolvulaceae), rare liane endémique des forêts tropicales sèches de Nouvelle-Calédonie – © G. Gateblé (à gauche). Artia balansae (Apocynaceae), liane raffinée, du genre endémique Artia, des maquis miniers et paraforestiers de Nouvelle-Calédonie – © G. Gateblé (à droite)

 

Canavalia favieri (Fabaceae), rare liane endémique des forêts tropicales sèches de Nouvelle-Calédonie – © G. Gateblé (à gauche). Tristellateia australasiae (Malpighiaceae), vigne d’or australienne des jardins néo-calédoniens dont le statut d’indigénat est douteux – © G. Gateblé (à droite)

A lire …

– Darwin C. 1893. The movements and habits of climbing plants. New York, USA, Appleton.

– Isnard S, Silk WK. 2009. Moving with climbing plants from Charles Darwin’s time into the 21st century. American Journal of Botany, 96 : 1205 – 1221.

– Putz FE, Mooney HA. 1991. The biology of vines. Putz FE, Mooney HA eds., Cambridge University Press.

– Schnitzer SA, Bongers F. 2002. The ecology of lianas and their role in forests. Trends in Ecology & Evolution, 17 : 223-230.

 

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1 thoughts on “Forêts tropicales – La face cachée des lianes”

  1. Je recherche des informations: nom.. des lianes tropicales dont il est possible de boire la sève après section?

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