Des plantes de services pour lutter contre les ravageurs : Protéger le poivron du puceron vert

Le recours aux plantes de services en lien avec des plantes cultivées a pour objectif de lutter contre les ravageurs de ces dernières en créant un contexte défavorable pour l’agresseur. Le couple puceron vert-poivron en est un exemple. Cependant, de nombreux facteurs peuvent atténuer l’efficacité de ce type de lutte, d’où l’intérêt d’en comprendre les mécanismes. Des travaux effectués entre 2010 et 2018 mettent en évidence l’intérêt des plantes de services en cultures maraîchères.

La nécessité de diminuer les intrants phytochimiques pour optimiser les équilibres écologiques, limiter les contaminations de l’environnement et la perte de biodiversité, et protéger les humains et les pollinisateurs de leur toxicité implique de réfléchir à de nouveaux modes de protection des végétaux. Ainsi, la recherche agronomique s’investit dans de nouvelles approches plus écologiques. Une possibilité est la mise en pratique de la stratégie de détournement « push/ pull »1 (Figure n° 1). Elle permet notamment de repousser les pucerons perturbés loin de la culture, vers des plantes pièges plus attractives que la culture à protéger. Ces actions peuvent être assurées par des plantes dites « plantes de services » (PDS) (en anglais, companion plants).

Les PDS, les plantes hôtes et les COVs.

L’unité Inrae-PSH s’intéresse depuis plusieurs années à la stratégie de répulsion (« push »). La présence des plantes de services, en association avec des plantes hôtes, rendrait l’environnement défavorable dès l’installation du ravageur et limiterait le développement de sa population, grâce aux composés organiques volatils qu’elles émettent (COVs). C’est du moins ce que rapportent diverses agricultures traditionnelles, quelques sites de jardinage et les essais en laboratoire réalisés directement avec les COVs. Néanmoins, il existe peu de résultats fiables au champ. Or, si on veut voir ce modèle cultural se développer, il paraît essentiel de l’étudier et d’apporter des éléments objectifs sur sa pertinence et son application.

Figure n° 2 : Poivron seul © R. Ben Issa 2014
Figure n° 2 : Poivron associé au basilic (plante de service testée) © R. Ben Issa 2014
Figure n° 2 : Poivron associé à la ciboulette (plante de service testée) © R. Ben Issa 2014

Pour comprendre ces interactions, l’unité PSH a réalisé des études en conditions contrôlées (enceintes fermées et COVs isolés) (Figure n° 2), puis en conditions semi-contrôlées (tunnel) (Figure n° 3) sur des couples hôte-ravageur, comme Myzus persicae (puceron vert du pêcher) et poivron, mais aussi Aphis gossypii et courgette. Le puceron vert n’a pas été choisi par hasard (Figure n° 4), puisqu’il peut s’alimenter de la sève élaborée des plantes de plus de quarante familles et transmettre ainsi plus d’une centaine de virus dont celui de la sharka (Plum pox virus).

Le poivron Capsicum annuum (la plante cultivée) © T. Dardouri 2018
Le basilic Ocimum basilicum © T. Dardouri 2018
L’oeillet d’Inde Tagetes patula (2 plantes de service testées) © T. Dardouri 2018

Choix des plantes de services

En s’appuyant sur la bibliographie et les connaissances profanes, treize plantes ont été sélectionnées : romarin, lavande, basilic, œillet et rose d’Inde, géranium horticole, souci, thym, sarriette, menthe poivrée, ciboulette, safran des teinturiers et inule visqueuse. Il a été montré que romarin, œillet et rose d’Inde, géranium, basilic, lavande, et ciboulette affectent de façon significative la survie et la reproduction des pucerons (Figure n° 5).

Figure n° 4 : Le puceron vert du pêcher à différents stades de développement © R. Ben Issa 2014

Le romarin
Le romarin est le plus efficace dans une première série d’expériences (Figure n° 5). Quand les essais sont réalisés sous tunnel, le romarin reste aussi le plus intéressant, mais son influence diminue avec l’éloignement de la plante à protéger (0,5 mètre à 2,50 mètres) (Figure n° 6). Dans une seconde série d’expériences, menées dans des conditions légèrement différentes et avec un clone différent, tout en restant efficace, le romarin l’est moins que le basilic.

Figure n° 5 : Nombre de larves de pucerons verts comptabilisées sur les plantes de service pendant dix jours en pourcentage du témoin (poivron seul). Les plantes de service sont de gauche à droite : carthame, sarriette, thym, souci, inule visqueuse, menthe poivrée, ciboulette, lavande, basilic, géranium, oeillet d’inde, rose d’Inde, romarin (R. Ben Issa, 2014).
Figure 6 : Nombre de pucerons, après 4, 11 et 18 jours sur les poivrons placés en tunnel, à 0,5 mètre, 1,5 mètre ou 2,5 mètres de la plante de service (romarin), en comparaison du témoin cultivé seul (R. Ben Issa 2014)

En outre, si l’on compare quatre clones de romarins (‘Voltz Splindler’, ‘Nonza’, ‘Pigette’, ‘Sudbery Blue’ et ‘Esselte’), même si tous montrent une certaine efficacité répulsive, seul ‘Voltz spindler’ a un effet significatif sur la limitation du nombre de pucerons.

La composition en COVs émis par les variétés peut-elle expliquer ce résultat ? Sur quinze COVs majeurs identifiés, cinq ont un effet répulsif significatif (bornyl acetate, camphor, α-terpineol, terpinene-4-ol et geranyl acetone) et se retrouvent dans le bouquet de COVs de chaque variété. Cependant, l’efficacité répulsive ne résulte pas de l’accumulation des COVs puisque Nonza cumule 50 % de composés répulsifs alors que Voltz Spindler, plus efficace, en cumule seulement 48 %. Il faut plutôt imaginer l’efficacité comme le résultat du mélange, de la proportion relative de certains composés et probablement d’effets synergiques.

L’œillet d’Inde
Les essais réalisés avec l’œillet d’Inde montrent, d’une part, l’importance du stade phénologique, puisque l’œillet d’Inde n’est répulsif qu’au stade floral et, d’autre part, confirment l’effet génétique, puisque seul un des deux cultivars testés est efficace (‘Nana’). Si le romarin et le basilic ont un effet direct sur les pucerons, l’œillet d’Inde au contraire a un effet indirect sur le puceron (Figure n° 7) via une modification du poivron qui n’est plus reconnu par le puceron. Ainsi des poivrons préconditionnés avec des œillets d’Inde ont induit un comportement de fuite des pucerons, ceux-ci n’acceptant plus leur plante hôte. Ce résultat a été confirmé lorsque le conditionnement a été réalisé directement avec les COVs de l’oeillet d’Inde (Figure n° 8). Deux modes d’action sont évoqués : soit les COVs de l’œillet d’Inde adhèrent à la surface du poivron et sont relargués ultérieurement, soit ils entraînent une modification chimique du poivron. Les résultats donnent un avantage au premier mécanisme.

Conclusions

Ces expérimentations complexes confirment l’intérêt des plantes de services (romarin, basilic, oeillet d’Inde) pour limiter la population de pucerons sur le modèle puceron vert poivron. De plus, les résultats positifs obtenus en conditions semi-contrôlées laissent présager des applications possibles dans les systèmes horticoles comme au potager ou au verger (5*). Cependant les résultats montrent aussi l’importance du choix de la plante de services et de son cultivar, de la distance entre plante de services et plante à protéger, du stade phénologique (stade végétatif ou floral).

 

Noëlle Dorion
Membre de la SNHF, professeure honoraire à Agrocampus Ouest

Sincères remerciements à Hélène  Gautier et Laurent Gomez de l’unité Inrae-PSH où ont été réalisés ces travaux, pour leur relecture bienveillante et attentive : www6.paca.inrae.fr/psh/Accueil/Presentation-de-l-unite-PSH et https://tersys.univ-avignon.fr/membres-sfr-tersys/psh-ur-1115/

 

(1*) Voir aussi : www.jardinsdefrance.org/le-gis-picleg-construiredes-systemes-legumiers-multi-performants/
(2*) PSH : Plantes et Systèmes de culture Horticoles (Avignon, France)
(3*) Refka Ben Issa. Étude de l’effet de plantes de services (PdS) sur l’installation d’une population du puceron Myzus persicae (Hemiptera Aphididae) : mise en évidence du rôle des composés organiques volatils (COVs). Agronomie. Université d’Avignon, 2014. Français. NNT : 2014AVIG0658. Tel-01079443
(4*) Tarek Dardouri. Implication des composés organiques volatils dans la capacité des plantes de services à perturber le comportement et les performances de Myzus persicae (sulzer) le puceron vert du verger.
(5*) Voir l’article de T. Dardouri et S. Simon dans ce dossier.

RETROUVEZ DANS JARDINS DE FRANCE

Communication chimique, une stratégie du biocontrôle par Catherine Regnault-Roger (Jardins de France n° 648 décembre 2017)
À une époque où règne l’idée répandue que tout ce qui est chimique est pour le moins risqué, voire inquiétant, rappelons que la communication entre les organismes vivants, par exemple les plantes entre elles ou les plantes avec les insectes, passe par des signaux chimiques. Ces signaux sont des composés chimiques fabriqués par un organisme, émis, transmis et reçus par un autre organisme. Cette communication chimique est indispensable
au cycle de la vie. C’est avec l’essor d’une discipline nouvelle, l’écologie chimique, impulsée en 1970 par deux chercheurs américains, Sondheimer et Simeone, que l’on a compris que la communication intra- et inter-espèces impliquait des médiateurs chimiques. À leur suite, Whittaker et Feeny définirent en 1971 le concept de composés sémiochimiques. Ce sont des composés chimiques, synthétisés par des organismes, qui affectent la physiologie ou le comportement d’autres organismes au sein d’une espèce ou entre espèces différentes, sans impliquer de phénomènes
nutritionnels… Pour lire l’article complet : www.jardinsdefrance.org/communication-chimique-strategie-biocontrole/

Arômes et parfums, le dilemme des plantes à fleurs par Jean-Claude Caissard (Jardins de France n° 635, août 2015)
Plantes à fleurs et insectes sont, parmi les eucaryotes, les deux groupes qui présentent le plus de diversité sur l’ensemble de la biosphère. Un des moteurs de cette biodiversité a certainement été la co-évolution de ces deux taxons depuis l’époque du Jurassique. L’apparition des fleurs au Crétacé a probablement amplifié et accéléré la compétition et donc la sélection naturelle. De nombreuses plantes ont dû, dès lors, survivre face aux herbivores et aux parasites tout en attirant efficacement les pollinisateurs nécessaires à leur reproduction. Il existe de nombreux points communs entre les mécanismes de défense face aux insectes phytophages et les mécanismes d’attraction des insectes pollinisateurs. Qu’il s’agisse de repousser ou d’attirer, la plante émet des composés organiques volatils ou COVs. Il s’agit de molécules passant spontanément à l’état gazeux sous pression atmosphérique et température ambiante. Ces molécules sont produites par tous les êtres vivants et sont principalement impliquées dans la communication entre les organismes.
Pour lire l’article complet : www.jardinsdefrance.org/aromes-et-parfums-le-dilemme-des-plantes-a-fleurs/