Biodisponibilité des phytomicronutriments : caroténoïdes, polyphénols et composés soufrés

Marie-Josèphe Amiot-CarlinEmmanuelle Reboul

Les poivrons doivent leur couleur aux caroténoïdes qu’ils contiennent - © J.-F. Coffin
Les poivrons doivent leur couleur aux caroténoïdes qu’ils contiennent – © J.-F. Coffin

La biodisponibilité d’un nutriment est la fraction de cette substance qui arrive au niveau du tissu où elle va exercer une fonction biologique après avoir été ingérée. Pour être biodisponible, un phytomicronutriment doit donc être libéré de l’aliment consommé, absorbé par la cellule intestinale, puis transporté jusqu’à son tissu cible.

La biodisponibilité des phytomicronutriments est très variable selon les composés, la composition du repas et selon les individus. Il est néanmoins admis que l’étape clef de la biodisponibilité est l’absorption par la cellule intestinale.

Cette biodisponibilité est généralement faible du fait que ce sont des micronutriments dits non-essentiels et donc considérés comme des substances étrangères dont l’organisme essaie de se débarrasser. C’est pourquoi, une fois qu’ils sont absorbés ils sont en grande partie métabolisés et conjugués pour donner des métabolites hydrosolubles qui seront ainsi facilement éliminés dans les urines.

La biodisponibilité des micronutriments est principalement conditionnée par la solubilité soit dans l’huile – comme les caroténoïdes, soit dans l’eau – comme les glucosinolates. Les polyphénols suivent des voies métaboliques croisées du fait qu’ils peuvent circuler sous forme lipophile ou hydrophile.

Biodisponibilité des caroténoïdes

Les fruits et légumes sont des sources importantes de caroténoïdes provitaminiques A (principalement le b-carotène, l’a-carotène et la b-cryptoxanthine), qui peuvent être métabolisés en rétinol après absorption par les cellules intestinales, et de caroténoïdes non-provitamininiques A comme la lutéine et le lycopène, qui présentent des propriétés spécifiques pour la santé. En particulier, les xanthophylles lutéine et zéaxanthine se sont révélées protéger contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Tous ces caroténoïdes ont des voies de digestion et d’absorption semblables.

Les micronutriments liposolubles, dont les caroténoïdes, suivent le devenir des lipides dans le tractus gastro-intestinal. La première phase du processus de digestion / absorption est la dissolution des caroténoïdes dans la phase grasse du repas. Cette phase est émulsifiée en gouttelettes lipidiques dans l’estomac et le haut de l’intestin grêle.

Du foie aux tissus cibles

Au cours de la digestion, les caroténoïdes sont ainsi incorporés avec d’autres lipides dans de petites structures solubles que l’on appelle micelles mixtes. Cette étape est vraisemblablement nécessaire pour leur absorption par la cellule intestinale. Les micelles mixtes sont un mélange de phospholipides, de cholestérol, de produits de digestion des lipides et des sels biliaires. Le transfert de micronutriments liposolubles à des micelles mixtes pendant la lipolyse alimentaire peut être affecté par plusieurs facteurs, dont la structure moléculaire des micronutriments, le pH, la concentration en sels biliaires, et la présence d’une quantité minimale de graisse alimentaire. On suppose qu’en règle générale, plus le pourcentage de micronutriments lipidiques incorporés dans les micelles est élevé, plus son efficacité d’absorption est élevée.

Les micelles mixtes sont ensuite isolées du reste du contenu intestinal dans la couche d’eau non agitée qui tapisse les cellules intestinales. Les composants sont alors captés par divers systèmes plus ou moins spécifiques qui assurent leur absorption par la cellule intestinale. L’efficacité d’absorption du β-carotène varie de 3 % à 90 % selon les études. Dans la période postprandiale, on suppose que la majeure partie des caroténoïdes captés par la cellule intestinale sont incorporés dans les chylomicrons sous forme libre ou sous forme de rétinol. Les chylomicrons[1] rejoignent alors la circulation sanguine par le biais de la lymphe puis sont captés par le foie. Les caroténoïdes se retrouvent ensuite dans les différentes classes de lipoprotéines (LDL, HDL) qui assurent leur transfert entre foie et tissus cibles.

Biodisponibilité des glucosinolates

Radis et oignons sont source de glucosinolates - © J.-F. Coffin
Radis et oignons sont source de glucosinolates – © J.-F. Coffin

Les glucosinolates sont présents dans plusieurs plantes mais particulièrement chez les crucifères (Cruciferae ou Brassicaceae) tels que radis, navet, chou, brocoli, chou-fleur, cresson, moutarde, raifort, etc. Leur consommation quotidienne est estimée à quelques dizaines de mg. Une telle consommation contribuerait à l’effet protecteur contre le processus de cancérogenèse grâce à leurs dérivés d’hydrolyse, les isothiocyanates, qui augmentent la détoxification des cancérogènes chimiques et exercent une action cytotoxique sur les cellules cancéreuses.

Lors de la préparation des crucifères (découpage, hachage, mixage) ou de leur mastication, les glucosinolates sont hydrolysés par une enzyme hydrolytique, la myrosinase pour donner un composé instable, le thiohydroximate-O-sulfonate. Celui-ci va subir une succession de réactions chimiques qui aboutiront à la formation d’isothiocyanates pouvant être absorbés par l’intestin grêle. La cuisson des végétaux tend à dénaturer la myrosinase. Si cette dénaturation reste relativement limitée lors d’opérations telles que le blanchiment ou la cuisson à l’eau, elle est totale lors d’une cuisson aux micro-ondes. Dans ces conditions, les glucosinolates seront métabolisés en isothiocyanates au niveau du côlon par le microbiote intestinal. Après absorption intestinale, les isothiocyanates sont conjugués au glutathion au niveau du foie puis excrétés dans l’urine sous forme d’acides mercapturiques.

Biodisponibilité des polyphénols

La pomme possède de la de la quercétine, un polyphénol - © J.-F. Coffin
La pomme possède de la de la quercétine, un polyphénol – © J.-F. Coffin

Les polyphénols existent dans les plantes sous des formes conjuguées avec différents sucres et, sous forme de polymères, comme les tanins. Les polyphénols les plus abondants dans notre alimentation ne sont pas nécessairement ceux qui sont retrouvés majoritairement dans notre organisme, soit parce qu’ils sont mal absorbés au niveau intestinal, soit parce qu’ils sont fortement métabolisés et rapidement éliminés après absorption.

Si certains glucosides de polyphénols peuvent être absorbés au niveau de l’intestin grêle, en revanche les polyphénols liés à d’autres sucres (rhamnose, arabinose, xylose …) ne peuvent être déconjugués que par des glycosidases bactériennes dans le côlon. Ainsi, la biodisponibilité de la quercétine, est décroissante selon qu’elle est apportée par l’oignon (glucosides de quercétine), la pomme (divers monosaccharides de quercétine) ou le thé (rhamnoglucoside de quercétine).

Le site de métabolisation le plus important est le foie. Aussi, sauf exception, les formes circulantes des polyphénols sont des métabolites conjugués, qui conservent une potentialité biologique, mais peuvent présenter des activités biologiques différentes de celles des molécules natives que l’on trouve dans nos aliments.

Une bonne connaissance de la biodisponibilité et du métabolisme des phytomicronutriments est donc essentielle pour appréhender l’étude des effets « santé » associés à ces composés.

A lire …

– Borel P. Biodisponibilité des phytomicronutriments : mécanismes impliqués et stratégies d’amélioration. Carrefours de l’Innovation Agronomique Inra (CIAg), 2014, Avignon

– Reboul E. Absorption of vitamin A and carotenoids by the enterocyte: focus on transport proteins. Nutrients 2013, 5(9):3563-81.

– Reboul E. Absorption intestinales des vitamines liposolubles. OCL 2011, 18(2): 53-58.

[1]Les chylomicrons sont des lipoprotéines qui se forment en période de digestion. Elles sont responsables du transport des lipides exogènes de l’intestin grêle

 

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