Apprécier la dangerosité des arbres d’ornement : une approche complexe

Pierre Aversenq

Évaluer la dangerosité d’un arbre fait appel à des méthodologies d’investigation bien spécifiques. La présence sur le marché d’outils de mesure, le développement de nouveaux procédés ainsi que de récents acquis scientifiques tendent à préciser et à affiner cette pratique professionnelle en constante évolution1.

 

Une importante pourriture du bois profond a permis la rupture de cet arbre au niveau de son collet - © D.R.

 

En présence « d’écorce incluse », une fourche est fragilisée et une des charpentières mal ancrée peut s’arracher - © D.R.

En présence « d’écorce incluse », une fourche est fragilisée et une des charpentières mal ancrée peut s’arracher - © D.R.


Les différents cas de rupture

Au cours de sa croissance, l’arbre élabore ses tissus de soutien et son ancrage racinaire en rapport avec la forme et les dimensions de sa partie aérienne et il les adapte en fonction des contraintes extérieures auxquelles il est soumis. Ainsi, un arbre fabrique, tout au long de sa vie, des tissus lui permettant de résister aux charges de vent… et normalement, il est « solide ». Pourtant, il lui arrive de s’effondrer ! Dans certains cas, des conditions climatiques exceptionnelles en sont la cause (les tempêtes Lothar en 1999, Klaus en 2009 ou encore Xynthia en 2010). Mais le plus souvent, un défaut développé au sein même de la structure de l’arbre est responsable de sa rupture : un ancrage racinaire défectueux, une pourriture du bois interne, une fourche défectueuse... autant de points de fragilité qu’il faut détecter précocement. C’est l’objet du diagnostic de tenue mécanique.

 

Une démarche spécifique

Les investigations sont entièrement orientées vers l’évaluation de l’état des tissus de soutien de l’arbre. La grande difficulté réside dans le fait que les critères habituels de vigueur ne permettent pas d’apprécier l’état mécanique d’un sujet. En effet, bien que cohabitant au sein d’une même entité, les tissus de soutien profond constitués de bois mort (bois de cœur) et les tissus vivants périphériques suivent des destinées différentes. Ainsi, un arbre très vigoureux n’exprimant aucun symptôme maladif peut être porteur d’une importante cavité interne laissant envisager un risque élevé de rupture.

 

L’analyse visuelle ou méthode V.T.A.

Certains défauts, comme des cavités largement ouvertes, se repèrent facilement ; d’autres restent enfouis dans les tissus de l’arbre ou localisés sur les racines et doivent se déceler à partir d’indices spécifiques. La fructification d’un champignon lignivore à l’extérieur d’un arbre est révélatrice de la présence d’une pourriture interne du bois. Mais attention, tous les champignons n’ont pas la même activité destructrice à l’intérieur : une fistuline hépatique (Fistulina hepatica) sur un vieux chêne est peu dommageable alors qu’un ganoderme européen (Ganoderma adspersum) sur un tilleul met en péril sa stabilité. Des rejets de sciure au pied d’un arbre laissent envisager le développement d’insectes xylophages pouvant fragiliser les branches ou les charpentières attaquées. Grâce à l’approche de C. Mattheck, la symptomatologie des défauts mécaniques est aujourd’hui plus complète et mieux connue. Elle est basée sur l’hypothèse séduisante que tout défaut mécanique survenant à l’intérieur d’un arbre génère à l’extérieur un symptôme visible (méthode V.T.A. : Visual Tree Assesment). Ainsi, une palette de symptômes spécifiques est proposée : les « bosses », les « renflements » ou les empâtements excessifs révèlent la présence d’une altération du bois ou d’une cavité interne ; les nervures (parfois appelées « gélivures ») sont l’expression d’une fissuration interne...

Cette méthode permet d’évaluer les capacités de l’arbre à se défendre et à corriger ses points de fragilité mais également à identifier les situations d’échec laissant envisager une rupture proche. L’observation visuelle par un œil averti reste, en fait, le moyen incontournable pour détecter les défauts de structure sur un arbre. Parfois, des fouilles sont réalisées pour accéder et vérifier l’état du système racinaire.

 

1: Une pourriture de type blanche fibreuse occasionnée par un champignon lignivore s’est développée dans la partie centrale de la charpentière - © D.R.
2: Des fructifications de champignons développés sur le tronc d’un arbre signent bien souvent la présence d’une pourriture du bois profond (fructification du polypore soufré, Laetipo (porus sulfureus) - © D.R.

 

Des investigations approfondies

Quand cela se justifie, les défauts identifiés et localisés peuvent être quantifiés à l’aide d’appareils qui permettent de mesurer l’importance d’une pourriture interne et l’épaisseur de bois sain restant. Deux types d’outils sont actuellement disponibles. Certains enregistrent la résistance à la pénétration d’une vrille ou d’une aiguille lors de son cheminement dans le bois : les pénétromètres mieux connus sous l’appellation de « RESISTOGRAPH® ».

 

 

D’autres mesurent la vitesse de propagation d’une onde sonore à travers les tissus ligneux (marteau à impulsion ou tomographe). Les progrès de l’imagerie et de l’informatique permettent d’obtenir une image des différences de densité rencontrées et de bien visualiser l’étendue d’une pourriture interne.

 

L’utilisation de ces outils d’aide au diagnostic ne doit pas être systématique. Elle résulte d’une démarche raisonnée (localisation du sondage, nombre de mesures, choix du type d’outil...). Leur mise en œuvre reste complexe et l’interprétation des données collectées souvent délicate. Ces instruments ne servent qu’à mesurer un défaut qui a été préalablement détecté par le praticien spécialisé. Celui-ci doit ensuite se prononcer sur le risque de rupture de l’arbre.

 

1: Les pénétromètres permettent de détecter la présence de cavités internes et de mesurer l’épaisseur de bois sain restant autour - © D.R.
2: Mise en place d’un tomographe (Système PICUS®) avec ses différents capteurs pour cartographier la pourriture interne - © D.R.

 

Un verdict délicat

Face à un sujet porteur de défauts mécaniques, de nombreux éléments vont participer à le déclarer dangereux ou pas. S’il est creux, les « seuils de risque acceptable » habituellement utilisés par les professionnels (voir encadré) sont calculés à partir des mesures effectuées sur le terrain. Le type d’arbre est à prendre en compte (un marronnier ou un saule est réputé plus « cassant » qu’un chêne ou un platane). Ses dimensions (hauteur et forme du houppier) doivent être également appréciées car un même défaut fragilise davantage un grand sujet qu’un autre trapu régulièrement taillé. Il est par ailleurs nécessaire de considérer l’exposition de l’arbre aux vents. Enfin, l’appréciation personnelle du consultant permet toujours d’affiner cette décision.
La probabilité de rupture de l’arbre ou d’une de ses parties étant définie, des travaux de mise en sécurité doivent être préconisés. Plusieurs choix sont envisageables mais la conservation de l’arbre dans un site fréquenté ne sera possible que si le défaut peut être supprimé (une branche cariée par exemple), corrigé (mise en place d’un système de haubanage souple) ou sa prise au vent limitée. Parfois, il est préconisé une réduction de couronne. Elle permet de diminuer la « voilure » de l’arbre et donc la charge reçue.

 

Les seuils de « risque acceptable »

Plusieurs formules sont proposées pour l’évaluation des arbres creux. Elles ne calculent pas des « seuils de rupture » (valeur à partir de laquelle la rupture survient) mais des « seuils de risque acceptable » (valeur à partir de laquelle le risque de rupture est important).

d : diamètre du bois altéré
D : diamètre du tronc
t : épaisseur du bois sain
r : ouverture de la cavité/circonférence totale
R : rayon du tronc

 

Une méthode originale : le test de traction

Apprécier la qualité de l’ancrage d’un arbre est très difficile en raison de l’inaccessibilité du système racinaire rendant impossible toute observation des racines. Le test de traction consiste à simuler une charge de vent en tirant sur l’arbre - de façon contrôlée bien entendu - et en analysant sa déformation à l’aide de capteurs extrêmement sensibles. Les mouvements enregistrés sont comparés aux valeurs de références pour l’espèce. Une déformation trop importante révèlera une fragilité de l’ancrage de l’arbre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Réalisation d’un test de traction sur un platane dont les racines ont été fortement endommagées lors de travaux de voirie - © D.R.

 

 

À lire…

Mattheck C. and Breloer H. The body language of trees. A handbook for failure analysis. H.M.S.O. 1994. 240 p
Mattheck C. Field Guide for Visual Tree Assessment. Forschungszentrum Karlsruhe. 2007. 170 p
Cellule technique Hainaut Développement. Dynamique de dégradation des arbres par des champignons lignivores. Hainaut Développement. 2004. 112 p.

 


[1] Voir dans ce dossier l’article d’Alain Vallette

 

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1 thoughts on “Apprécier la dangerosité des arbres d’ornement : une approche complexe”

  1. bonjour

    j’ai un chêne attaqué il y a six ans environ par un polypore marginé. nous avons curé la base de cet arbre. Depuis se succèdent divers champignons et insectes, traités avec tous les moyens : produits de jardinerie, bouillie bordelaise, chaux, etc… j’ai écrit à l’onf et à un autre organisme sans qu’aucune solution ne me soit proposée. Aujourd’hui je découvre à la base de ce chêne des champignons blanchâtres accolés au tronc et sur deux d’entre eux, des goutellettes translucides.
    que faire??
    ds l’espoir de votre réponse et avec mes remerciements

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