Des plantes virtuelles pour relever les défis d’une horticulture durable

Gerhard Buck-SorlinMickaël Delaire

La modélisation, qui consiste en une représentation simplifiée d’une réalité complexe, constitue une voie d’avenir pour la filière horticole. Gerhard Buck-Sorlin et Mickaël Delaire nous présentent la « modélisation fonction-structure des plantes » (FSPM). Il s’agit de la combinaison de deux types de modélisation : le premier, adapté pour prédire la productivité de toutes les grandes cultures ; Le deuxième, basé sur l’architecture de la plante avec pour but de simuler sa structure et sa forme.

La MSM permet, ici, un aperçu d’une canopée simulée de roses fleurs-coupées cultivées sous serre (Buck-Sorlin, non publiée) - © D.R.
La MSM permet, ici, un aperçu d’une canopée simulée de roses fleurs-coupées cultivées sous serre (Buck-Sorlin, non publiée) – © D.R.

Les filières horticoles sont confrontées à d’énormes défis, notamment environnementaux, avec des conditions climatiques variables et une législation plus restrictive pour limiter les intrants, incitant au développement d’une horticulture plus respectueuse de l’environnement, tout en maintenant les produits à hauts niveaux de qualité. Une analyse critique des systèmes de productions existants est donc nécessaire afin d’identifier leurs points faibles et forts. Elle mobilise différentes disciplines (agronomie, physiologie, écologie, botanique, sciences physiques,…) et différents niveaux d’échelles (du gène à l’agrosystème). Dans ce contexte, la modélisation, qui consiste en une représentation simplifiée d’une réalité complexe, constitue une voie d’avenir. Parmi les différents types existants, la modélisation fonction-structure des plantes (FSPM) qui dans le passé a été appliqué à un certain nombre d’espèces de plantes cultivées, semble être l’outil de choix pour une analyse plus intégrative des systèmes horticoles.

Une combinaison intéressante pour l’horticulture

La modélisation fonction-structure des plantes (FSPM) s’est développée depuis les années 1990 par la combinaison de deux types de modélisation. Le premier se veut simuler d’une manière simplifiée les processus décrivant la croissance et la production de biomasse des cultures agricoles. Ce type de modèle, conçu à l’université de Wageningen au Pays-Bas depuis les années 60, a été globalement adapté pour prédire la productivité de toutes les grandes cultures. Le deuxième type est basé sur l’architecture de la plante avec pour but de simuler la structure et la forme de la plante. Ce type de modèle, utilisant l’infographie pour une représentation réaliste en 3D, a été (et l’est toujours) fortement utilisé par les paysagistes en tant qu’outil de planification, les plantes et plus particulièrement les arbres et arbustes constituant en effet des éléments clés du paysage. L’approche FSPM réunit donc ces deux types de modélisation avec une description assez précise, à l’échelle de l’organe, des processus physiologiques (photosynthèse, croissance, transport, respiration, transpiration…) et une représentation infographique de l’architecture de la plante. C’est cette combinaison qui rend l’approche FSPM si intéressante pour l’horticulture, avec sa diversité de systèmes de production et surtout l’importance de la forme de la plante, notamment en horticulture ornementale et arboriculture fruitière. Différents modèles FSPM ont ainsi été développés chez différentes espèces telle que la rose avec le projet « Virtual Rose » que j’ai développé[1] avec des chercheurs de l’université Wageningen et visant à optimiser la production de roses fleurs-coupées cultivées sous serre (voir figure).

Un exemple : le « FSPM pommier »

Quelques aperçus du modèle visuel du développement de la charpentière du pommier, montrant la floraison et le développement des fruits. Le modèle dynamique et disponible à https://www.youtube.com/watch?v=PNUdLlA3jFw (travail par Florian VILLARD, étudiant en horticulture, niveau M1, Agrocampus Ouest Angers, juillet 2013) - © D.R.
Quelques aperçus du modèle visuel du développement de la charpentière du pommier, montrant la floraison et le développement des fruits. Le modèle dynamique et disponible à https://www.youtube.com/watch?v=PNUdLlA3jFw (travail par Florian VILLARD, étudiant en horticulture, niveau M1, Agrocampus Ouest Angers, juillet 2013) – © D.R.

Une des principales problématiques de la production de pommes qui intéresse les producteurs, les sélectionneurs ainsi que les chercheurs, est son hétérogénéité en quantité et qualité au sein d’un arbre, du verger, et surtout d’une année à l’autre. Cette hétérogénéité est influencée par une interaction forte entre génétique (liée à la variété produite) et environnement (lié à la fois au climat mais également aux relations trophiques et hormonales entre les organes de l’arbre). L’expérience pratique montre que la charpentière, branche fruitière insérée directement sur le tronc de l’arbre, s’avère être un niveau d’échelle intéressant pour étudier les processus et les interactions impliqués même si l’échelle organe ainsi que l’échelle de l’arbre entier ne doivent pas être négligées. Ainsi, un modèle de la charpentière d’un pommier est en cours de développement à Angers (UMR IRHS-équipe FruitQual), combinant le modèle « Fruit Virtuel » (UR PSH, INRA-Avignon) et un modèle statique de la structure de la charpentière. La partie « Fruit Virtuel » de notre modèle prend en considération des processus physiologiques et biophysiques contribuant à la masse sèche et fraîche du fruit ainsi que des paramètres de qualité à l’échelle de l’organe (fruit), tandis que le modèle structure décrit la topologie et la géométrie de toutes les organes (entre-nœuds, bourgeons, feuilles, fleurs, fruits). Le modèle commence avec la nouaison (formation du fruit après fécondation) et s’arrête à la récolte des fruits (maturité). Grace à la description explicite de la topologie (insertion de chaque organe à un autre, et donc sa connectivité) et géométrie (forme, dimension et orientation) de chaque organe, la simulation du transport de sucre des feuilles (sources) aux fruits (puits) est réalisée en parallèle. D’abord développé sur une variété type, le modèle sera ensuite paramétré pour être applicable à différentes variétés à l’architecture et qualité de fruits contrastées.

Un outil scientifique et pédagogique

Chaque modèle dédié à décrire les systèmes de production en horticulture ou agriculture doit se mesurer à un catalogue de critères dont le plus important est l’applicabilité. Un nombre important des modèles développés par les chercheurs dans ce domaine reste trop souvent théorique. Or, c’est souvent à partir de ces modèles théoriques que des outils d’aide à la décision (OAD) utilisables par les professionnels de la filière peuvent être développés soit en rajoutant des passerelles infographiques[2], soit en les simplifiant et ainsi les rendant plus « empiriques ». De tels modèles peuvent également servir pour l’enseignement en participant à l’acquisition par les étudiants d’une démarche systémique et intégrée pour comprendre les systèmes horticoles. Ainsi, le modèle charpentière, avec son interface graphique, a vocation à remplir ces différents objectifs en étant à la fois un outil scientifique et pédagogique. Enfin, il peut permettre le développement d’OAD pour simuler et prédire la qualité du produit en testant de nouveaux itinéraires techniques, contraintes climatiques ou nouvelles variétés dans l’objectif d’une production plus durable.

[1] Gerhard Buck-Sorlin

[2] Une passerelle infographique est l’ensemble des logiciels et applications qui grâce à l’infographie rendent un modèle plus accessible et compréhensible à l’utilisateur ; par exemple, un menu contenant des boutons et potentiomètres pour modifier les valeurs des paramètres.