Résistance et agroécologie, des fleurs pour ‘Margot’ le melon

Alexandra SchoenyNathalie Boissot

L’agroécologie a le vent en poupe et ses principes perfusent dans toutes les strates de notre société : agriculture, espaces verts de nos villes et villages, jardins des particuliers, et même industrie agroalimentaire où elle devient un argument marketing. Le melon charentais bénéficie de cette démarche.

À l’instar de la viticulture ou de l’arboriculture, les grandes cultures et le maraîchage s’intéressent également à cette nouvelle voie qu’est l’agroécologie pour concevoir des systèmes de production conciliant les enjeux socio-économiques et environnementaux. De nombreux projets de recherche sont en cours.

Faisons le point des avancées en ce qui concerne la culture de melon (Cucumis melo).

Apprécié pour sa chair orangée et sucrée, le melon de type charentais est cultivé en France entre mars (tunnel) et septembre (plein champ) dans trois principaux bassins de production : Sud-Est, Sud-Ouest et Centre Ouest. Avec 100 000 tonnes produites sur 5 000 hectares, le Sud-Est représente 40 % de la production nationale.

Figure 1 – Culture de melon bordée par une infrastructure agroécologique de type bande fleurie © Alexandra Schoeny, INRA

Le puceron ravageur

Le puceron Aphis gossypii est un ravageur majeur des cultures de melon. En s’alimentant sur la plante, ce piqueur-suceur provoque ralentissement de croissance, nanisme, voire mort de la plante lorsque l’attaque est sévère [figures 2 et 3]. Il est par ailleurs un vecteur efficace de nombreux phytovirus parmi lesquels le CMV (virus de la mosaïque du concombre) et le WMV (virus de la mosaïque de la pastèque) qui altèrent également le rendement de la culture [figure 4].

Figure 2 – Plants de melon fortement infestés par le puceron Aphis gossypii. Croissance et développement sont stoppés.  © Alexandra Schoeny, INRA
Figure 3 – Apex de melon déformé par le puceron Aphis gossypii. Un œuf de chrysope (insecte névroptère prédateur de pucerons) est pondu dans le foyer d’infestation.  © Alexandra Schoeny, INRA
Figure 4 – Fruit de melon infesté par le virus de la mosaïque de la pastèque (WMV). Son épiderme marbré et son faible taux de sucre le rendent invendable.  © Alexandra Schoeny, INRA

Un gène résistant

Découvert au cours des années 1970 en explorant la diversité naturelle de l’espèce Cucumis melo, le gène de résistance Vat confère au melon une résistance à la colonisation par Aphis gossypii ainsi qu’une résistance aux virus (notamment CMV et WMV) lorsqu’ils sont transmis par ce puceron. La première variété porteuse de cette résistance, Margot, a été inscrite au catalogue français en 1987. Depuis, plus d’une centaine de variétés résistantes ont été ajoutées à ce catalogue. Actuellement, on estime que plus de 80 % des melons cultivés dans le sud-est de la France sont porteurs de cette résistance. Si le risque puceron est maîtrisé en cultivant une variété ayant Vat (le niveau de colonisation sera plus faible), le risque virus reste quant à lui bien réel puisque les différents virus qui affectent la culture peuvent être transmis par plusieurs espèces de pucerons non contrôlées par Vat. Il convient donc de chercher des méthodes qui permettent de renforcer l’efficacité de la lutte génétique. Les traitements phytosanitaires ciblant les pucerons vecteurs sont inefficaces pour lutter contre le CMV et le WMV car ces virus sont transmis en moins de temps qu’il n’en faut pour tuer leurs vecteurs.

L’agroécologie à la rescousse

Une approche alternative basée sur les principes de l’agroécologie a donc été lancée en 2010 à l’Inra d’Avignon. L’hypothèse testée est que l’implantation de bandes fleuries en bordure de culture peut réduire à la fois le risque de colonisation par Aphis gossypii en favorisant le développement des auxiliaires et le risque d’épidémies virales en augmentant la probabilité qu’ont les pucerons vecteurs de se décharger des virus qu’ils portent sur des plantes autres que celles de la culture.

De tels aménagements ne doivent toutefois pas être conçus à l’aveuglette. Il est important de bien choisir les espèces végétales à mettre en mélange afin d’optimiser les effets régulateurs tout en minimisant les effets non intentionnels. Pour une culture annuelle à cycle court comme le melon, la première contrainte est de sélectionner des espèces végétales qui, semées quelques semaines avant la plantation des melons, fleuriront suffisamment précocement pour stimuler le développement des auxiliaires dès le début de la culture. Des fleurs à la récolte ne serviraient à rien ! Des contraintes d’approvisionnement et de coût peuvent également apparaître. Mais surtout, les espèces végétales candidates doivent impérativement remplir deux conditions : être non-hôtes du puceron Aphis gossypii ; être non-hôtes des principaux virus du melon véhiculés par les pucerons. Ces deux conditions sont à remplir pour éviter la création de foyers de pucerons ou de sources de virus à proximité de la culture ce qui produirait l’effet inverse à celui recherché.

LES PRINCIPES FONDATEURS DE L’AGROÉCOLOGIE

L’accroissement de la biodiversité et le renforcement des régulations biologiques, via les chaînes alimentaires, sont les principes fondateurs de l’agroécologie. La gestion d’un ravageur pourra par exemple être facilitée en favorisant la présence de ses ennemis naturels (les auxiliaires) à proximité des parcelles. Les initiatives se multiplient grâce notamment à l’implantation d’infrastructures agroécologiques (haies, enherbement des inter-rangs, mélanges fleuris…) pour rendre les systèmes agricoles plus résilients et gérer les bioagresseurs avec moins de pesticides.

Un mélange de cinq fleurs

Figure 5 – Les cinq espèces végétales composant le mélange fleuri testé par l’Inra d’Avignon  © Alexandra Schoeny, INRA

La conception du mélange a donc été la première étape de notre travail. Des tests en conditions contrôlées ont été réalisés pour caractériser le statut hôte/non-hôte de 18 espèces candidates et d’éliminer les espèces les plus à risque. Au final, cinq espèces ont été retenues : bleuet, gesse, marjolaine, pimprenelle et sainfoin [figure 5] et les proportions relatives des espèces dans le mélange ont été définies grâce à l’expertise d’un grainetier.

Des expérimentations ont ensuite été menées pendant cinq ans afin d’évaluer le potentiel de ce mélange au champ. Semé fin mars, soit deux mois avant la plantation des melons, il permet un continuum de floraison tout au long de la culture. En fournissant des sources de nourriture variées (nectar, pollen, proies alternatives), les bandes fleuries attirent significativement plus d’auxiliaires que l’enherbement spontané des bordures. En particulier, les prédateurs spécifiques des pucerons (coccinelles, névroptères, syrphes) y sont plus nombreux. Ces prédateurs vont diffuser, dans une certaine mesure, dans la culture. Ils seront globalement plus fréquents dans la parcelle entourée de bandes fleuries que dans la parcelle témoin sans aménagement.

Une association bénéfique

Quel impact des bandes fleuries en termes de régulation biologique ?

Si la résistance permet à elle seule de réduire le niveau de colonisation des melons par Aphis gossypii de 31 % en moyenne, l’implantation de bandes fleuries permet de renforcer légèrement cette efficacité [figure 6]. Au final, l’association des deux méthodes permet une réduction moyenne de 38 %, pouvant atteindre 65 % certaines années. Cette association apparaît également bénéfique pour limiter les épidémies virales. C’est particulièrement vrai pour le WMV, virus principalement transmis par des espèces de pucerons non contrôlées par la résistance et pour lequel la présence de bandes fleuries permet souvent de retarder et de réduire les dynamiques virales [figure 7]. Ces deux méthodes apparaissent donc complémentaires pour réduire les risques pucerons et virus et espérer protéger au maximum le rendement et la qualité des récoltes.

Bonheur sucré

Alors, si vous prévoyez de cultiver des melons dans votre jardin, pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable en semant une petite bordure fleurie avec les espèces proposées ? Elle vous procurera du plaisir visuel, de nombreux auxiliaires et des plants de melon moins attaqués par les pucerons et les virus. Les melons n’en seront que plus nombreux et plus sucrés…

Bref, que du bonheur !