Promenade avec George Sand

Emmanuelle Royon

« Excellent ami, je vous avais promis une étude sur les squares et jardins de Paris, autrement dit sur la nature acclimatée dans notre monde de moellons et de pous­sière. […] C’est une impression rétrospective que je dois avoir la conscience et l’humilité d’intituler simplement : La Rêverie à Paris. « . Voici les premiers mots couchés par George Sand en ouverture du chapitre « Les promenades dans Paris » du Paris-Guide paru en 1867. Que George Sand rédige cette intro­duction n’est en rien surprenant tant la présence du jardin, de la nature est omniprésente dans son œuvre, romanesque ou autobiographique. Cinq ans avant la parution de cet ouvrage, elle écrivait dans une lettre adressée à Victor Hugo « Je cultive pour mon compte mon petit jardin littéraire, comme dit Dumas, et l’expression me plaît beaucoup à moi qui suis éprise de botanique. Mes romans sont des pages d’herbier […] » Nous proposons ici, une promenade avec George Sand, un parcours dans ses mots pour découvrir sa vision, ses impres­sions, ses rêveries.

Paris, place de la rêverie

À la parution du Paris-Guide, les transformations de Paris par le baron Haussmann étaient presque achevées, que ce soit les changements urbanistiques de la capitale ou encore les métamorphoses de ses parcs et jardins. George Sand nous livre une vision poétique et enthousiaste de ces aménagements. Avant de pousser les grilles des parcs, elle nous emmène dans les artères de la capitale et nous fait revivre l’ambiance de la ville durant ce second Empire. Les nouveaux aménagements de Paris permettent, nous dit-elle, de laisser l’esprit vagabonder. « Aujourd’hui que de grandes percées […]. C’est une béné­diction que de cheminer le long d’un large trottoir, sans rien écouter et sans rien regarder, état fort agréable de la rêverie qui n’empêche pas de voir et d’entendre. ». Le promeneur de la capitale, s’il suit ces nouvelles allées droites au plaisir de la flânerie, découvrira les nouveaux parcs et jardins de Paris. « […] nous voici, nous autres gens distraits, dans les nouveaux jardins publics et, tout à coup, nous devenons attentifs […] ».

Que sont ces nouveaux jardins ? George Sand attire l’attention du lecteur sur l’artifice qu’ils comportent. Ils ne sont pas la nature laissée à son état, ils en sont la ressemblance « en ce sens qu’on a multiplié les mouvements et les accidents afin de réussir à réaliser l’aspect du paysage naturel dans un espace limité […] ». Ces « jardins décoratifs », George Sand les loue autant que la nature qu’elle aime. Ils sont à la fois œuvre d’art et œuvre de science.

Des jardins décoratifs, du voyage à l’apprentissage

La découverte de nouvelles espèces « exotiques » est pour elle une source d’émerveillement. Ayant eu la possibilité de visiter les serres de la ville, notamment avec Édouard André, elle confie au lecteur : « je n’oublierai jamais ce que j’ai vu là comme dans un rêve des Mille et un Nuits ». Les jardiniers ont implanté ses végétaux dans les parcs et tous les curieux jouiront de cette richesse végétale. La mode, le progrès, le luxe dit-elle, ont contribué à accroître la diversité des végétaux disponibles. Leur présence sert l’apprentissage. « Le passant apprend l’emploi ancien du papyrus et, de là, lui viennent mille notions sur le passé […]. Mille autres plantes éveillent les notions géographiques, d’où découlent toutes les autres notions scientifiques, sociales, économiques, historiques, religieuses, politiques et industrielles. […] La France n’est pas encore assez riche pour donner l’instruction gratuite. Des mil­lions sont dépensés en détails pour la donner indirectement : n’y a-t-il pas là de quoi rêver ? » Se retrouve bien là le goût de la connaissance, de l’apprentissage chers à George Sand. Nous entrevoyons ses convictions républicaines et socialistes. Pour elle, l’éducation rendra possible les réformes du pays. Elle a défendu l’accès à l’éducation des classes ouvrières et pay­sannes. Il n’est pas rare de retrouver ses convictions dans ses textes. Les jardins sont, pour elle, une porte d’accès à l’éduca­tion, au voyage.

Son introduction se clôt avec « les jouets hydrauliques ». Elle rapporte leur intérêt en tant que citation de la nature, non une reproduction réelle, mais une évocation. Certains, rappelle-t-elle, fustigent ces jeux, au sens où l’imitation ne peut pas être la nature elle-même et n’entrevoient donc pas la nécessité de ces installations. Mais dit-elle, « il y a entre le réel et le convenu, entre l’art et la nature, un milieu nécessaire à la jouissance sédentaire du grand nombre ». Une possibilité de découverte du monde, de la nature à ceux qui n’en auraient pas l’accès.

Le parc Monceaux par Lalanne et Trichon. Extrait de l’ouvrage Paris-Guide par les principaux écrivains et artistes de la France. Deuxième partie. La Vie. Paris : Librairie internationale. A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie Éditeurs, 1867. Bibliothèque de la SNHF. Fonds ancien

La botanique et la connaissance

La nature habite l’œuvre et la vie de George Sand. Dans « La Forêt de Fontainebleau », texte éminemment fort, aux réso­nances écologiques actuelles, elle explique l’impérieuse néces­sité de la nature, « le respect religieux du beau dans la nature. Il y a là une source profonde de jouissance calme et durable, une immersion de l’être dans les sources mystérieuses d’où il est sorti, une notion à la fois pieuse et positive de la vie […] ». « Connaître, c’est reconnaître » et la botanique est l’une des sciences naturelles permettant de toucher cette connaissance. La botanique revêt une importance toute particulière pour elle. Dans Les lettres à un voyageur, elle évoque Jules Néraud et souligne leur amour partagé pour la nature et la botanique. Elle écrit « Un matin qu’il passait auprès d’une plate-bande du Jardin des Plantes, il vit une fougère exotique qui lui semble si belle dans son feuillage et si gracieuse dans son port, qu’il lui arriva ce qui m’est arrivé souvent dans ma vie : il devint amou­reux d’une plante et n’eut plus de rêves et de désirs que pour elle. ». Elle avait une très belle connaissance de la botanique et des noms latins. Cela se retrouve dans tous ses écrits, qu’ils soient autobiographiques ou romanesques. Elle avait une envie, un besoin de connaître cette science.

Le jardin : une évasion

Elle cultiva toute sa vie son jardin au domaine de Nohant, où elle introduisit de très nombreuses espèces. Elle se faisait envoyer des espèces qui l’intéressaient par des horticulteurs ou botanistes de premier plan, en atteste notamment sa corres­pondance avec Édouard André. Mais l’activité en elle-même était aussi d’une grande importance. Elle s’inscrit ainsi dans la lignée de Jean-Jacques Rousseau et son travail d’herborisation. Pour elle, le jardin était un besoin en tant que travail manuel, une sorte d’échappatoire, une activité réconfortante. « J’avoue que les lettres ne me donnent pas moitié tant de plaisir que la bêche et que j’aspirerais à avoir de l’argent ou pas de charges, ce qui reviendrait au même pour moi. Et alors, je voudrais oublier que j’ai été auteur, et me plonger dans la vie physique, avec une vie morale de rêverie, de contemplation, de lecture modérées et choisies. »*

Nous ne pourrions ici rendre-compte de la richesse et de la poésie des mots de Sand pour les jardins tant ils sont riches dans son œuvre. Nous espérons, par cette promenade littéraire, avoir suscité l’intérêt et la curiosité du lecteur et lui avoir donné une invitation à redécouvrir la plume de cette auteure.

*Extrait d’une lettre à David Richard datée du 12 juin 1839 in Reid, Martine. George Sand. Paris Gallimard, 2013. P. 251

Portrait de George Sand. Eau-forte et pointe sèche de 1878 par Marcelin Gilbert Desboutin (1823-1902). Bibliothèque numérique de l’INHA
Portrait de George Sand. Lithographie par Adolphe Lafosse (1810 ?-1879) d’après une photographie de Nadar (1820-1910). Bibliothèque numérique de l’INHA – Service des collections de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts