Planter des arbres en zone tempérée : tendances, peuplements, essences

Emmanuel Bajard

Que signifie aujourd’hui planter des arbres en zone tempérée ? Quelles évolutions pouvons-nous décrire et supposer des essences plantées ? L’optique et les réponses évoluent sensiblement avec le temps.

 

Une des tendances est de favoriser des arbres à floraison abondante comme cette avenue plantée de Lagerstroemia - © D.R.

 

Le statut de l’arbre connait deux tendances divergentes. D’une part, l’arbre des forêts comme celui des villes est devenu emblématique du développement durable. D’autre part, nous assistons au développement du « prêt à planter » qui fait craindre une uniformatisation et une fragilisation du patrimoine.

 

L’expert : un rôle indispensable à parfois bien articuler sous peine de disqualification

Les points techniques à défendre pour la pérennité des plantations d’arbres nécessitent l’intervention d’un expert aux  connaissances reconnues en biologie et de physiologie végétales. Certaines idées ont la vie dure…Parmi celles-ci, il s’agit souvent de convaincre que l’élagage ne répond qu’à des contraintes d’espace aérien disponible ou de sénescence du houppier et qu’il n’est pas une solution durable contre le volume de feuilles, le risque de cassure par le vent ou la présence d’oiseaux… et que les repousses sur plaies de taille ne sont pas le signe d’une vigueur retrouvée.
Les arbres urbains et de bords de routes cristallisent parfois les passions car ils représentent à la fois une symbolique forte, une fonction écologique et une masse de nuisances vraies ou supposées. Le discours savant de l’expert doit pouvoir s’adapter aux objectifs et aux interlocuteurs (riverains, promoteurs, élus, commerçants, entreprises de travaux…), sous peine d’être disqualifié... suspecté d’être excessif et technocratique.

 

L’avenir de l’arbre urbain : diversification et sélection des essences adaptées

Le port érigé du Pyrus calleryana est intéressant, autant que sa floraison de fleurs blanches - © D.R.

Dans la plupart des villes, l’élargissement et la densification de l’urbanisation sont réfléchies avec un développement du patrimoine arboré qui inclue l’introduction de nouvelles essences choisies en fonction des contraintes et un souci de variété des paysages. Le principe est également de diversifier pour lutter contre la propagation des maladies. La tendance est de privilégier la gestion en forme libre par l’introduction d’arbres de petit à moyen développement et à port étroit. Elle est également de favoriser des arbres à floraison abondante plus ou moins spectaculaire et des persistants. Prunus maackii ‘amber beauty’ Pyrus calleryana ‘chanticleer’ et Lagerstroemia et  Parrotia persica sont  emblématiques de ces tendances.
L’adaptation au risque d’épisode caniculaire est également une préoccupation : micocoulier de Provence, noisetier de Byzance, poirier de Chine, olivier de Bohème et chêne vert sont introduits. Dans le but de continuité écologique, la place d’espèces indigènes régionales, en particulier mellifères, dans les parcs et jardins est renforcée.
Le département de l’Eure faisant référence à des simulations qui prévoient dans quelques décennies un climat comparable à celui de Bordeaux, expérimente de nouvelles essences d’arbres comme le pin laricio de Corse. Le programme de replantation de Rouen de 2014 fait état de cyprès de Provence, de magnolia de Kobé, de liquidambars  et d’arbres à feuillage persistant.
Selon les principes précédemment exposés et le réchauffement climatique attendu, des essences telles que l’Eucalyptus gunnii, le mimosa (Acacia dealbata), Morus kagayamae sont développées en fonction des caractéristiques autoécologiques locales.
Pour remplacer le platane voué à disparaitre le long du canal du Midi, Voies Navigables de France  expérimente Liquidambar, Quercus montana, Quercus canariensis, tilleul argenté pour les tronçons majeurs. Les itinéraires intercalaires pourraient accueillir peupliers, micocoulier, chêne chevelu, tamaris, olivier de bohème et pin parasol.

 

Du bon arbre au bon endroit : modélisation/adaptation des essences aux sites

La densification des villes, l’encombrement extrême des sous-sols par les réseaux divers, le rapport  social aux nuisances, les problèmes d’allergie… ont renforcé la nécessité d’une meilleure intégration physique des arbres dans leur environnement. L’idée fondatrice est d’éviter les élagages, de mieux tenir compte des données pédoclimatiques, et surtout du volume occupé à l’âge adulte.
Ainsi, la méthode modélisation « VECUS » développée au CAUE 77 consiste à effectuer des sélections en fonction du volume, de l’esthétique, du climat, de l’usage et du sol. Le programme SCIENCIL mené par le la Mission Arbre du Grand Lyon s’est concrétisé par une plantation expérimentale d’un  millier d’arbres…
En termes de modélisation, nous pouvons citer la méthode d’analyse architecturale des arbres ARCHI développée par le Centre National de la Propriété Forestière ou le modèle mathématique GREENLAB conçu par l’Unité Mixte de Recherche « Botanique et bioinformatique de l’architecture des plantes ».
Le principe « du bon arbre au bon endroit » ne doit pas être mal interprété. Un archétype idéal se dessine déjà chez les promoteurs : petit, port élancé, sans développement racinaire, sans fruits, sans feuilles qui tombent, coloré … et qui sent bon !
Il serait vain d’imaginer que l’on puisse mener une politique de l’arbre sans se confronter  à des intérêts contraires. La capacité de répondre de façon intelligente et variée est nécessaire, le maintien de politiques volontaristes l’est tout autant.

 

La forêt française : la bonne essence pour la bonne station

La gestion des forêts devient multifonctionnelle. Nous assistons au même phénomène que pour l’arbre d’agrément : son  rôle environnemental dans le maintien des grands équilibres écologiques est affirmé et pris en compte.
L’une des grandes questions est l’adaptabilité aux évolutions climatiques dont les principales conséquences seraient des sécheresses plus intenses et récurrentes entrainant des dépérissements  et une  vulnérabilité accrue aux agents biotiques et aux gels tardifs ou précoces1.
Les orientations sont essentiellement une gestion raisonnée des risques et la diversification : rotations plus courtes sur stations sensibles, réduction des densités, maîtrise des sous-étages pour limiter la compétition pour l’eau, retour à un état naturel pour les zones les moins productives, création d’ilots de vieillissement au titre de la biodiversité, développement du bois énergie en tant qu’objectif de production.
La chênaie traditionnelle pourrait ainsi voir le chêne sessile, le pin sylvestre, le pin maritime et le chêne pubescent être développés au détriment du chêne pédonculé en production de qualité tandis que des taillis à courte rotation de bouleau, peuplier grisard, alisier torminal seraient réservés aux stations les moins productives. Dans d’autres massifs, cèdre de l’Atlas, sapin de Nordmann, sapins méditerranéens, variétés hybrides de pins maritimes, pin laricio, Eucalyptus gunnii, robinier faux acacia  pourraient être des solutions de diversification.

 

L’arbre et la haie : essences locales et traçabilité

Le principe de choix des essences préconisés par les acteurs de la filière représentés par l’AFAC2 est très clair : diversification génétique et soutien des espèces locales pour une bonne adaptation aux conditions pédoclimatiques.
On citera également l’action de l’INRA d’Orléans pour le maintien du peuplier noir ou celle du CEMAGREF et du département du Calvados pour l’introduction d’ormes résistants à la graphiose en partenariat avec la Mission Bocage.

Planter des arbres aujourd’hui signifie : répondre à des différents enjeux. D’une part, il faut  convaincre nos interlocuteurs des éléments les plus fondamentaux de biologie et de physiologie de l’arbre. D’autre part, un large champ d’exploration est devant nous en termes de modélisation de la croissance (à l’échelle des individus et des peuplements), de l’autoécologie des essences et de leur fonction écologique. Autant d’outils pour une appréhension plus fine et durable de la place de l’arbre dans les pratiques d’urbanisme, la prise en compte des évolutions climatiques et l’appui à des politiques volontaristes en faveur de l’arbre.


À lire…

- Agriculture, forêt, Climat : vers des stratégies d’adaptation - Centre d’études et de prospective – Clément Villien ; Noémie Schaller -  Analyse n° 62 – septembre 2013
- Changement climatique : quelle forêt en 2100 ? - CRPF Bourgogne – Université d’été de la Forêt de Bourgogne – 29 août 2013
- Le changement climatique et la Forêt : une réalité. Philippe Riou-Nivert ; Christelle Moussu Forêts de France n°509 – décembre 2007
- La gestion des arbres des rues et des espaces verts – Paris.fr (2015)
- 231 arbres plantés à Rouen - France3-regions.francetvinfo.fr/Haute-Normandie/2014/10/31 (2014)
- L’arbre à Nantes : SEVE – direction de la communication de la ville de Nantes (2006)
- « Nouvelles essences d’arbres plantées dans les forêts de l’Eure face au changement climatique », journal Paris Normandie du 29 octobre 2014
- Arbres champêtres : www.afahc.fr  (2014)
- La charte de l’arbre du Grand Lyon – Communauté Urbaine Direction de la voirie Unité
- Arbres et Paysage - novembre 2011
- Des arbres « exotiques» pour remplacer les platanes du canal du midi – thepot.blog.lemonde.fr – 2012
- Programmes de recherche en modélisation -  Chaire sur le contrôle de la croissance des arbres – CRSNG/UQAM/HYDRO-QUEBEC) -2014
- ISA – Arboriculture & Urban forestry (www.isa-arbor.com)
- Modèle GREENLAB - Unité Mixte de Recherche – Botanique et bioinformatique de l’Architecture des plantes (UMR-AMAP)
- Méthode « VECUS »  Augustin Bonnardot, forestier arboriste au CAUE 77

 



[1] Voir aussi le dossier n° 632 de Jardins de France sur le réchauffement climatique…

[2] Association Française des Arbres Champêtres - agroforesterie

 

> télécharger

 

 

1 thoughts on “Planter des arbres en zone tempérée : tendances, peuplements, essences”

  1. Bonjour,

    Existe t’il un organisme permettant de réfléchir d’une façon collégiale aux différentes essences pouvant assurer des plantations viables pour les décennies à venir. Ce que vous décrivez semble intéressant mais ce sont des solutions éparses réalisées par les collectivités en pointe. Ce qui n’est pas le cas sur l’ensemble de la France or les plantations d’aujourd’hui sont nos jardins de demain et l’absence d’anticipation pourrait être dommageables aussi bien en terme de santé publique qu’en terme patrimoniale.
    Merci pour votre article clairvoyant

Les commentaires sont fermés.