Mécanismes de défense des plantes : Une boîte à outils bien remplie et complexe

Les plantes disposent de moyens discrets mais efficaces pour se protéger.

Épines déployée
Épines déployées par le chardon-marie, Silybum marianum, pour dissuader les herbivores © F. Villeneuve

Les mécanismes statiques ou structurels

Les mécanismes statiques ou structurels font appel à des barrières physiques ou à des composés chimiques. Les structures végétales constituent une première ligne de défense. Dans le cas des insectes et acariens, elles interfèrent sur leur mouvement, leur alimentation, leur ponte et leur reproduction. Elles sont très diverses : épines (spinescence), soies, trichomes (1*) (pubescence) glandulaires ou non, feuilles durcies (sclérophylisme) ou coupantes (menant à la réduction de l’appétence et de la digestibilité). On peut également observer différentes concrétions dans les tissus végétaux comme des raphides, fins cristaux d’oxalate de calcium ou de carbonate de calcium, des phytolithes, composés à base de silice. La meilleure illustration de ce mécanisme est représentée par les poires pierreuses.

La cuticule joue aussi son rôle si elle a un caractère glissant, limitant de nombreux insectes non spécialisés à peupler les feuilles. Elle est également impliquée dans la cascade de signaux permettant l’installation des mécanismes de défense secondaire. L’analyse des types et des quantités de cire sur le feuillage d’oignon a mis en évidence l’importance de leur composition dans le niveau des dommages dus aux thrips, Thrips tabaci. D’autres facteurs interviennent, tels que l’épaisseur de la paroi cellulaire, la quantité et la forme des cristaux de la cire, et le nombre des stomates, leur taille et l’angle que forme l’ouverture. La pubescence, couche de poils de l’épiderme des tiges, feuilles, racines et même des fruits, se présente sous plusieurs formes : droite, spiralée, étoilée, crochetée ou glandulaire. Son importance peut interférer sur les mouvements des ravageurs tout comme sur le comportement alimentaire et de ponte.

Les trichomes glandulaires développent un effet protecteur par la sécrétion de composés volatils. L’architecture des racines, avec des épidermes riches en callose, lignine, silice ou subérine, constitue des barrières physiques à la pénétration des bio agresseurs tels les nématodes à kyste et les pucerons. Parmi les autres mécanismes statiques de défense, citons l’aposématisme (capacité à émettre un signal d’avertissement visuel, olfactif ou lié à des mouvements), le camouflage, le mimétisme, ou encore les effets de masse pouvant provoquer une satiété chez les consommateurs de graines.

Gales
Les gales sont une expression de la réaction des plantes aux agressions, ici sur feuille de chêne, Neuroterus numismalis © F. Villeneuve
Panachure blanche
La panachure blanche zébrée des feuilles, lorsqu’elle est naturelle, peut servir de coloration défensive, par exemple chez le Silybum marianum que l’on trouve dans des habitats méditerranéens ouverts et bien éclairés © F.Villeneuve

Les mécanismes de défense liés au métabolisme secondaire

Le métabolisme primaire comprend les composés organiques qui ont des fonctions directes dans la croissance et le développement de la plante. Le métabolisme secondaire aboutit à d’autres composés préformés avant l’arrivée des bioagresseurs (les phytoanticipines) ou induits par les agressions : sécrétions de résines, de latex, de gommes, de tanins, d’huiles… Ces métabolites, divers et très nombreux (plus de 200 000 molécules décrites à ce jour) sont des phénols, des saponines, des inhibiteurs de protéinase, des alcaloïdes, des terpènes, des amines, des glucosides cyanogènes, des quinones, des peptides, des polyacétylènes et des glucosinolates. Ceci inclut les phytoalexines, substances produites en réponse à l’attaque d’un ravageur ou d’un pathogène. Ces composés antimicrobiens synthétisés par les plantes s’accumulent rapidement dans les zones d’infection.

Trichomes
Trichomes non glandulaires de la tomate qui peuvent intervenir dans les mécanismes de défense © F. Villeneuve
piéride de la rave
Ponte de la piéride de la rave, Pieris rapae, on peut entrapercevoir la réaction d’hypersensibilité. © F. Villeneuve

Véritable barrière contre les bioagresseurs, ces métabolites peuvent être des molécules de signalisation, attractives, stimulantes, dissuasives, mais aussi inhibitrices de différents mécanismes, ou enfin responsables de mortalité directe. La chimie de synthèse a largement copié la nature dans la mise au point de pesticides (par exemple les néonicotinoïdes). Des extraits naturels de plantes ayant la même action, comme les pyréthrines ou les azadirachtines, provoquent la mort d’insectes et disposent aujourd’hui d’autorisations de mise sur le marché (AMM). Ce métabolisme secondaire est également sollicité par les stimulateurs des défenses naturelles (SDN ou SDP) qui jouissent aussi d’AMM, par exemple les extraits de fenugrec, qui tend à induire et/ou amplifier les moyens naturels des plantes à se protéger.

La détection des bioagresseurs par les plantes peut se faire au travers des composés volatils qu’ils émettent, appelés effecteurs, mais aussi par des signaux d’ordre mécanique, comme des vibrations de forte amplitude. Ainsi, la reconnaissance par la plante hôte peut se faire dès la ponte, sans qu’il y ait de dommages aux tissus. Par exemple, la ponte d’œufs de piérides, Pieris spp, sur des feuilles de moutarde noire aboutit à la formation de tissus nécrotiques générant une dessiccation des œufs. Ce type de réponse, dite d’hypersensibilité, peut se retrouver pour certains pathogènes (hypersensibilité à la tavelure du pommier, conférée par le gène Rvi7) (voir Tableau n°1).

Tableau 1
Tableau n°1 : Les différents effets négatifs des substances issues du métabolisme secondaire sur les insectes ravageurs

Le recours à des « aides » extérieures pour se défendre

On observe des processus d’autoprotection grâce à une collaboration d’ordre mutualiste, symbiotique ou opportuniste avec d’autres organismes : fourmis, champignons, bactéries, oiseaux, arthropodes parasitoïdes et/ou prédateurs, plantes nourricières… À la suite d’une ponte ou aux premières altérations, les plantes peuvent émettre des substances volatiles qui alertent les parasitoïdes des larves de ces prédateurs. Ce type de réponse est très spécifique du ravageur. À titre d’exemple, les substances émises à la suite d’une ponte de piéride du chou, Pieris brassicae, sur une feuille de moutarde noire, Brassica nigra, vont attirer l’hyménoptère parasitoïde spécifique, Trichogramma brassicae. Ce ne sera pas le cas avec la noctuelle du chou, Mamestra brassicae.

Les plantes sécrètent de nombreuses substances de natures diverses qui vont induire une communauté microbienne plus ou moins favorable à leur santé dès la germination et la colonisation de la coiffe racinaire par les bactéries. Les effets de ces micro-organismes sont multiples : compétition pour les nutriments, colonisation des sites de pénétration, sécrétion de substances à effets divers (antibiotiques, toxines, sidérophores (2*), enzymes ou composés antimicrobiens volatils…) ou encore stimulation des défenses naturelles des plantes…

En conclusion, les plantes développent un vaste arsenal de défenses et font preuve d’une large adaptation face aux agressions des maladies et ravageurs afin d’en réduire les impacts et, surtout, afin de survivre. En réaction, les bioagresseurs ont su bien entendu s’adapter. C’est particulièrement le cas des bioagresseurs spécifiques, qui ont développé des moyens pour déjouer les stratégies des plantes, comme la capacité à se détoxifier. Ces différents mécanismes ont, jusqu’à aujourd’hui, été sous-exploités. Ils offrent de belles perspectives de progrès aussi bien pour l’amateur que pour le professionnel, notamment dans le contexte de réduction de l’emploi des pesticides.

 

François Villeneuve
Membre du Comité de rédaction de Jardins de France

(1*) Fines excroissances sur l’épiderme.
(2*) Molécules sécrétées par les bactéries capables de chélater le fer ferrique.