Mécanismes de défense des plantes : Une boîte à outils bien remplie et complexe

1ʳᵉ PARTIE : QUELQUES NOTIONS À CONNAITRE

Les plantes développent des stratégies de protection face aux bioagresseurs, qui tentent, de leur côté, de les contourner. Ces « chassés-croisés » d’adaptations ont donné des mécanismes passionnants.
En deux articles, Jardins de France vous en propose une synthèse.

Au fil du temps, les plantes, les maladies et les ravageurs (bioagresseurs) ont co-évolué : les plantes pour se défendre, les bioagresseurs pour contourner les stratégies de protection mises en œuvre par les plantes elles-mêmes. Ces bioagresseurs peuvent être des virus, des bactéries, des champignons, des oomycètes, des insectes, des acariens, des mollusques, des oiseaux et des mammifères. Pour ceux-ci, on parle plutôt de nuisibles (1*). Ainsi les plantes ont développé un ensemble complexe de mécanismes de défense pour contrer les stratégies d’« attaque » employées par les bioagresseurs. Cet ensemble comprend des moyens soit constitutifs, soit induits. Ces mécanismes peuvent être structurels, chimiques (par exemple olfactifs), visuels et même biotiques.

Le solanum
Le Solanum pimpinellifolium a été largement utilisé comme fournisseur de résistances aux maladies et ravageurs de la tomate © F. Villeneuve
Les épines du Solanum
Les épines du Solanum dasyphyllum peuvent être particulièrement impressionnantes © F. Villeneuve
Tableau n°1
Tableau n° 1: Relations entre les plantes et les bioagresseurs

Des relations plantes-bioagresseurs complexes

Aborder ces mécanismes revient à aborder les différentes relations que les plantes entretiennent avec les bioagresseurs. Ainsi distingue-t-on d’une part les plantes dites « non hôtes », pour lesquelles aucun génotype de l’espèce végétale considérée n’est attaqué et, d’autre part, les plantes hôtes pour lesquelles l’infestation est possible à des niveaux divers (Tableau n° 1). La réalité est en fait plus complexe : la situation intermédiaire, dite peu compatible, où on se trouve dans une zone plus floue, comprend des mécanismes divers. On emploie différentes expressions selon les comportements observés : variétés rustiques, variétés tolérantes, résistance intermédiaire, résistance partielle… Les mécanismes mis en œuvre portent tout autant sur les capacités de détection que sur les réactions aux agressions, mais aussi sur l’émission de « signaux » permettant d’informer les plantes non encore atteintes.

LA RECHERCHE DES QTL : UN ENJEU POUR L’AVENI

Un Quantitative Trait Loci (QTL ou locus de caractères quantitatifs, LCQ) est une région chromosomique plus ou moins grande où sont localisés un ou plusieurs gènes à l’origine d’un caractère considéré. Une résistance dite partielle (ou « intermédiaire » ou « quantitative ») est le plus souvent liée à plusieurs facteurs de résistance situés sur différentes régions chromosomiques et donc plusieurs QTL. Le sélectionneur cherchera à les associer afin d’obtenir un niveau suffisant de résistance pour être significatif sur le bioagresseur considéré. Les avancées de la biologie moléculaire, en particulier la sélection assistée par marqueurs moléculaires, rendent plus faciles et rapides l’introduction et le cumul de résistances. On comprend aisément que l’identification des QTL de résistance associée à celle de leur(s) marqueur(s) moléculaire(s) chez les végétaux cultivés revêt un caractère stratégique.

Résistance versus tolérance aux différents bioagresseurs : des mécanismes de réaction mal délimités

Une résistance complète est relativement facile à décrire, contrairement à une résistance partielle, qui nécessite de considérer le retard dans le développement ou la moindre efficacité dans l’infestation. Dans les deux cas, il y a un impact sur la dynamique de développement de la population du bioagresseur considéré. Une résistance complète, dite qualitative, est liée à un gène majeur correspondant à un gène d’avirulence pour le bioagresseur. Ce type de résistance présente l’avantage de pouvoir être mis relativement facilement en œuvre dans un programme de sélection.

En revanche, en induisant une forte pression sur les bioagresseurs considérés, ces gènes de résistance sont assez facilement contournés. Ce type de résistance reste relativement rare dans les formes cultivées. Par exemple le premier gène majeur utilisé de résistance à la tavelure du pommier, Rvi6 (Vf), provient de Malus floribunda 821, espèce botanique originaire du Japon. Ce gène, largement employé ces soixante-dix dernières années, a abouti à de nombreuses variétés, plus de trente entre 1970 et 2000 (voir Jardins de France n° 655). Mais dès le début des années 1980 des contournements ont été signalés, qui ont obligé à changer les schémas de sélection et, en particulier, à associer différents gènes de résistance.

La résistance partielle (ou « intermédiaire » ou « quantitative »), conduit à une réduction de la maladie ou du ravageur. Elle est le plus souvent liée à plusieurs facteurs de résistance génétique qu’il convient d’associer (voir encadré QTL), supposés ainsi plus durables. Cependant, il peut y avoir une diminution de l’efficacité de la résistance dans le temps, en sélectionnant des souches de bioagresseurs possédant un niveau d’agressivité plus élevé. On distingue également, pour les ravageurs, deux mécanismes de résistance. L’antixénose désigne les propriétés des plantes qui provoquent des réactions comportementales négatives (« non-préférence ») ou un évitement total. Par exemple, les bovins ne consomment pas de renoncules. L’antibiose, elle, fait référence aux conséquences post-ingestion, qui entraînent des effets néfastes, notamment une réduction de la croissance, de la survie des larves et de la fécondité.

En 1894, un autre mécanisme spécifique a été mis en évidence par Cobb: la tolérance aux bioagresseurs. Très vite la tolérance et la résistance partielle ont été confondues. Elles le sont encore souvent. D’une manière générale, la résistance se caractérise par un ensemble de réponses de défense de l’hôte qui limitent l’infection et la colonisation par les bioagresseurs. Une résistance qualitative ou quantitative va avoir une incidence de limitation sur la dynamique de population du bioagresseur. La tolérance, elle, se définit comme la capacité de la plante à atténuer les effets négatifs causés par le bioagresseur, sans éliminer sa présence ni sa propagation. Elle réduit l’impact de l’infection en favorisant la régénération des racines, ou l’absorption des nutriments…

La tolérance peut faire appel à des notions de vigueur, mais aussi de résilience, c’est-à-dire la capacité d’une plante colonisée/infectée à retrouver l’état originel d’avant l’arrivée du bioagresseur. À l’opposé de la résistance, « la susceptibilité » se définit comme l’incapacité de l’hôte à limiter l’infection et la colonisation. Il succombe presque toujours aux attaques des bioagresseurs.

Ravageurs
Malgré ses moyens de défense, certains ravageurs parviennent à contourner les épines du chardon, comme ici des punaises © F. Villeneuve
Les plantes émettent des substances
Les plantes émettent des substances pouvant alerter des auxiliaires, ici une larve de coccinelle, Scymninae, (en blanc) se régalant d’un puceron © F. Villeneuve

Préférences pour la sélection

Les sélectionneurs ont préféré rechercher des résistances (totales ou partielles) que des tolérances, plus difficiles à caractériser. Très peu de gènes de tolérance ont été décrits jusqu’à présent. Les facteurs qui améliorent la tolérance ne sont pas nécessairement spécifiques du bioagresseur, comme une croissance accrue des racines ou l’accélération de la floraison ou des combinaisons de ces réactions. Ces facteurs peuvent également fournir une tolérance supplémentaire à la sécheresse ou à d’autres pathogènes. Les conditions environnementales ont un impact majeur sur l’expression de la tolérance, ce qui en rend l’évaluation délicate. La tolérance a été mise en évidence chez la tomate pour le Tomato Yellow Leaf Curl Virus (TYLCV) transmis par l’aleurode Bemisia tabaci. Les variétés tolérantes montrent moins de symptômes malgré la présence du virus dans les tissus. La tolérance a également été montrée sur cultures vis-à-vis de différentes espèces de nématodes à kystes et à galles.

 

François Villeneuve
Membre du Comité de rédaction de Jardins de France

(1*) Les Anglo-saxons parlent d’herbivores qui ne comprennent pas les micro-organismes.

Retrouvez la deuxième partie de ce sujet dans le numéro 668 de Jardins de France à paraître au printemps 2023.