Maurice Bernier. Une figure méconnue du Potager du Roi

Alain Durnerin

En octobre 2016 est décédé Maurice Bernier qui a consacré 40 années de sa vie à l’École nationale supérieure d’Horticulture de Versailles. Recruté sur concours, il est en 1948 chef d’atelier stagiaire, responsable de la pépinière de l’École. Au fil des ans, il accumule diverses responsabilités dans l’ancien Potager du roi : le service des ateliers, la conduite des arbres fruitiers, la conservation et le conditionnement de leur production, l’organisation de la salle de ventes des fleurs, fruits, légumes produits au potager et enfin la direction du Centre de formation professionnel pour adultes CFPPA annexé à l’ENSH.

Maurice Bernier était, durant nos études de 1964 à 1967 à l’École Nationale Supérieure d’Horticulture, le res­ponsable de la pépinière de quatre hectares située de l’autre côté de la Pièce d’eau des Suisses. C’était sa fierté à juste titre. En effet, en 1948, le directeur de l’époque, M. Lenfant, lui avait confié un terrain en friche peuplé de chardons, de ronces et d’orties. A force de travail et avec l’aide des élèves de l’ENH, qui alors assuraient tous les travaux de production et d’entre­tien au Potager de Versailles, il en avait fait une pépinière modèle, propre, bien tenue et même rentable.

Maurice Bernier dans le Potager du Roi en en juin 2014 ©A. Durnerin

L’ENH devient ENSH et prend une tournure plus scientifique que pratique. Les élèves ne font plus que quelques applications pratiques sur le domaine de l’École. Ces applications pratiques ont cependant laissé quelques souvenirs embaumés comme l’enfouissement de résidus d’abattoir pour engraisser la pépinière. Nos applica­tions s’y déroulaient avec le fond sonore du stand de tir voisin. Ce n’était pas sans danger, M. Bernier juché sur une échelle double, entendit une balle perdue couper net une tige de peu­plier à 10 cm de sa tête ! Il a simplement regretté de n’avoir pas eu l’idée de ramasser la balle pour la garder en souvenir !

Des générations d'Hortis

Notre promotion, la 90e, se souvient de lui comme de quelqu’un de très compétent dans son domaine, exigeant, un peu secret et pas toujours très drôle !

Compte-tenu de l’éloignement de la pépinière de l’École, son mode de déplacement quasi exclusif était le vélo. Toujours très observateur et à l’affut de la moindre anomalie, il aurait pu avoir pour devise : de visu et à vélo ! Le vélo en question fut l’objet de bien des sollicitudes de la part de diverses promotions d’étudiants ! Démonté jusqu’à la dernière rondelle pour être soit ventilé façon puzzle à travers le Potager soit assemblé façon mobile de Calder dans la cage d’escalier du Foyer coopératif des Élèves, le vélo réapparaissait remonté, impeccable, prêt à servir.

Monsieur Bernier a formé à la pépinière ou à l’arboriculture fruitière des générations d’Hortis et de stagiaires adultes. Quelques personnes illustres n’hésitaient pas à faire appel à son savoir et son talent. Ainsi pouvait-on apercevoir dans l’an­cien Potager du roi, la silhouette de Louis de Funès s’initiant à l’art de la taille trigemme du poirier.

Cette compétence reconnue, M. Bernier l’a acquise à force de travail. À la retraite et à la fin de sa vie, l’homme si secret éprouvait le besoin de se confier et d’évoquer ses souvenirs. C’était d’autant plus poignant qu’il était très seul et, de plus, quasiment aveugle. Quelques-uns d’entre nous l’ont alors découvert.

À côté du fantôme de Jean Valjean

Né le 27 janvier 1922 à Montfermeil ( Seine-et-Oise ), Maurice Bernier est placé à la ferme dès l’âge de 5 ans afin d’être protégé d’un risque de contagion, son père, soldat de la Grande Guerre étant revenu tuberculeux d’un camp de prisonniers en Pologne.
De 5 à 12 ans, il passe de ferme en ferme et garde le souvenir d’avoir eu très faim et de n’avoir pu aller à l’école avec les enfants de son âge. Son père décédé, devenu Pupille de la Nation, le jeune Maurice Bernier est envoyé au Préventorium de Camiers dans le Pas-de-Calais. Là, c’est presque le para­dis : il peut manger matin, midi et soir et même bénéficier de l’aide d’une institutrice pour enfin commencer à apprendre à lire. Il se plonge dans la lecture de romans d’aventures qui lui apprennent le sens des mots et lit Nostradamus !
Pouvant enfin fréquenter l’école, il obtient le Certificat d’études, ce qui lui vaut une admission sur titre au centre horticole d’Épluches près de Pontoise. Après y avoir appris l’horticulture quatre-branches, il en sort avec le brevet. Ses examinateurs, professeurs à l’École nationale d’horticulture de Versailles, notamment MM. Louis et Marcel, lui demandent de recon­naître tous les légumes d’une bâche, de leur montrer sur une branche de poirier les futurs boutons à fleur : « En juillet, le dard a deux feuilles à la base au maximum, le bouton à fruit à trois feuilles au minimum ! A la fin de l’examen l’un des pro­fesseurs m’a dit : vous êtes premier ! » Il reçoit la médaille de la Chambre d’agriculture de la Seine-et-Oise. Mais l’emploi offert au premier revient à son camarade classé après lui car celui-ci possède… le permis de conduire !
Maurice Bernier trouve un emploi horticole dans sa ville natale de Montfermeil, juste à côté du fantôme de Jean Valjean. C’est en effet à Montfermeil que Victor Hugo situe l’auberge des Thénardier « Au sergent de Waterloo » et le célèbre épisode des Misérables où, en pleine nuit, Jean Valjean aide Cosette à tirer l’eau de la fontaine.

©A. Durnerin

Moniteur horticole

Après divers emplois, à la débâcle de 1940, Maurice Bernier est engagé pour une année au Jardin des Tuileries.

« Étant né en 22, je suis de la classe 42. J’ai refusé le STO. Je reçois un courrier du ministère de l’Agriculture pour passer un concours au château de Monte-Cristo à Port-Marly, j’habitais à Montfermeil !
Reçu à ce concours, je suis nommé moni­teur horticole dans un centre de la Jeunesse : tous étaient de religion juive !
Pendant 4 ans, je suis allé dans plusieurs centres dans le Calvados et à Caen. J’ai effectué des travaux extérieurs : la rénovation des vergers français par la taille des vieux pommiers. Ayant attrapé une pleurésie en dormant dans les greniers, je suis envoyé dans une maison de repos à Épinay-sur-Orge.
En 1943-1944, j’ai été FFI. J’ai gardé les prisonniers et me suis promené pour découvrir les canons allemands. La directrice anglaise du château de Sillery me demande de faire un discours d’accueil pour le Sous-préfet. »

Le Potager du roi où Maurice Bernier a laissé de nombreux souvenirs ©A. Durnerin

Poto d'honneur

Après le décès de Maurice Bernier, son fils Francis découvre divers objets dont il ignorait l’existence dont un brassard et une carte de FFI au nom de Maurice Bertrand portant le N°10741, des courriers de l’Amicale des anciens résistants FFI, des photos d’époque…
Ce qu’a demandé la baronne Amélie de Peters, elle-même résistante, c’est la rédaction de l’allocution d’accueil que le sous-préfet va lire au général Leclerc qui en 1945 fait une halte avant d’entrer dans Paris…

Si Maurice Bernier a réussi fort brillamment les concours de Technicien d’Agriculture puis de Technicien supérieur, il a gardé le regret de n’avoir pu suivre une formation d’ingénieur.

©A. Durnerin

En remerciement de tant d’années de dévouement, l’Asso­ciation des ingénieurs horticoles et anciens élèves de l’École nationale supérieure d’horticulture l’a en 1983 nommé : Poto d’honneur ! Il fut le dernier à obtenir cette distinction avant le départ de l’ENSH du site de Versailles.

Ainsi disparaît à la fois un orfèvre de la taille savante des arbres et un témoin actif de notre histoire qui toute sa vie fut un homme dévoué, modeste et efficace avec un sens aigu du devoir.