Lutte biologique contre les parasites du sol : peu de produits disponibles

Claude Alabouvette

La lutte biologique contre les maladies du sol est relativement limitée, contrairement à celle contre les insectes  ravageurs  des parties aériennes des plantes. Cependant, les travaux de la recherche progressent. Ils ont permis l‘identification des microorganismes antagonistes et la mise au point de préparations microbiennes permettant de lutter contre les champignons responsables de maladies racinaires des plantes. La réglementation française établit deux classes de produits : les microorganismes stimulateurs de croissance et de vitalité des plantes qui relèvent de la réglementation sur les matières fertilisantes ; les microorganismes agents de protection des plantes soumis à la réglementation sur les produits phytopharmaceutiques. A ce jour, seuls quelques produits de lutte biologique sont disponibles pour le jardinier amateur qui devra veiller, parmi les gammes qui sont proposées, à bien choisir des produits officiellement homologués.

Fusarium oxysporum f.sp. melonis - © C. Alabouvette

La lutte contre les agents pathogènes d’origine tellurique a toujours été difficile, elle a pendant longtemps fait appel à des produits biocides de désinfection des sols tels que la chloropicrine et le bromure de méthyle qui étaient extrêmement dangereux pour l’homme et qui détruisaient indistinctement tous les organismes qu’ils soient nuisibles ou utiles aux cultures. Fort heureusement ces produits ont été interdits, mais cela ne règle pas le problème de la lutte contre les maladies d’origine tellurique.

 

Le sol, parent pauvre de la recherche

Depuis de nombreuses années, la recherche de moyens de lutte biologique a fait l’objet de travaux plus ou moins couronnés de succès. C’est certainement dans le domaine de la lutte contre les insectes ravageurs des cultures que les applications commerciales sont les plus nombreuses. Elles mettent en œuvre des arthropodes auxiliaires pour lutter contre les arthropodes ravageurs mais aussi quelques microorganismes entomopathogènes. Pour ce qui est de la lutte contre les maladies d’origine tellurique, il est plus difficile de citer des succès commerciaux malgré l’intérêt de certains microorganismes antagonistes. Les recherches relatives à la lutte microbiologique contre les agents pathogènes présents dans les sols ont débuté, à l’INRA, dans les années 1970 avec la mise en évidence, à Châteaurenard, de sols résistants aux fusarioses vasculaires. Malgré la présence de l’agent pathogène, dans ce cas précis celle de l’agent de la fusariose du melon (Fusarium oxysporum f. sp. melonis) et de conditions climatiques et culturales favorables à l’expression des symptômes, la maladie ne se manifeste pas ou de manière très réduite. Il a rapidement été démontré que, dans ces sols résistants, c’est la microflore autochtone qui contrôle l’activité de l’agent pathogène et réduit sa capacité à attaquer la plante. Il était alors logique de tenter d’identifier au sein de la microflore les microorganismes antagonistes responsables de la résistance des sols. C’est ainsi qu’ont été isolées à partir des sols de Châteaurenard la souche protectrice de Fusarium oxysporum Fo47 et la souche de Pseudomonas putida C7 qui toutes deux contribuent à la résistance des sols aux fusarioses vasculaires.


 

Un antagonisme par antibiose

Les mécanismes par lesquels les microorganismes contrôlent le développement des maladies relèvent soit de l’antagonisme direct impliquant une interaction entre l’agent protecteur et l’agent pathogène soit d’un antagonisme indirect se manifestant à travers les réactions de défense de la plante. Parmi les interactions directes, il est habituel de distinguer : la compétition, l’antibiose et le parasitisme. Ce dernier implique une reconnaissance de l’hôte c’est-à-dire de l’agent pathogène par l’agent de lutte, une pénétration des hyphes de ce dernier dans les propagules (hyphes, conidies, sclérotes) suivie d’une lyse du cytoplasme. Deux exemples s’imposent ici : le parasitisme de certaines souches de Trichoderma spp vis-à-vis des hyphes de Rhizoctonia solani et celui de Coniothyrium minitans vis-à-vis des sclérotes de Sclerotinia sp. L’antagonisme par antibiose repose sur la production par l’agent de lutte, de métabolites secondaires de nature diverse exerçant un effet toxique sur l’agent pathogène. C’est un mode d’action très répandu, tout du moins in vitro où il se signale par de magnifiques zones d’inhibition de l’agent pathogène à proximité de l’agent antagoniste. Il est très difficile de connaître quels sont les métabolites secondaires réellement produits et actifs in situ. Par exemple certaines souches de Trichoderma peuvent produire plusieurs centaines de métabolites différents selon les conditions environnementales, le sol, la plante et l’agent pathogène auquel elles sont confrontées. L’antagonisme par antibiose est un mode d’action des Trichoderma et de nombreuses bactéries comme les Pseudomonas fluorescens et putida.

 

Une compétition trophique intense

Le dernier mode d’action direct est la compétition qui s’exprime pour les éléments nutritifs mais aussi pour la colonisation de la surface racinaire. La compétition trophique est particulièrement intense dans le sol qui est un milieu oligotrophe où les microorganismes sont essentiellement au repos sous forme de conservation. C’est l’apport de matière organique, en premier lieu les rhizo-dépôts libérés par le système racinaire, qui va permettre la mise en activité des microorganismes, dans la rhizosphère des plantes. Seuls les microorganismes les plus compétitifs pourront tirer profit de cet apport nutritif et tenter de coloniser la racine des plantes. La compétition trophique est un des modes d’action des souches non pathogènes de Fusarium oxysporum, mais aussi des Trichoderma spp. et des Pseudomonas spp.

Trichoderma sur Rhizoctonia solani - © C. Alabouvette

Résistance par signaux moléculaires

A côté de ces modes d’action, décrits depuis de nombreuses années, l’antagonisme indirect faisant appel aux réactions de défense a été mis en évidence plus récemment, mais fait l’objet des travaux de recherche les plus nombreux et les plus prometteurs. Il est maintenant bien démontré que la plante répond à tous les stress d’origine biotique ou abiotique par une cascade de signaux moléculaires qui tendent à renforcer sa résistance. Ces réactions de défense se manifestent aussi bien en réponse à l’attaque d’un agent pathogène qu’à celle d’un agent antagoniste ou de molécules dites élicitrices. En fait ces mécanismes qui nécessitent une reconnaissance entre le microorganisme et la plante mettent en jeu le système immunitaire de la plante et différentes voies métaboliques, aujourd’hui bien décrites, aboutissent à la production de protéines de défense et de phytoalexines, molécules toxiques pour les microorganismes. Pratiquement tous les agents de lutte sont capables d’éliciter les mécanismes de défense de la plante, le mécanisme le plus performant en termes de coût énergétique pour la plante étant la potentialisation. Dans ce cas, en réponse à un microorganisme, la plante se met en état de réagir ultérieurement lorsqu’elle sera attaquée par un agent pathogène. La mise en évidence de l’élicitation et/ou de la potentialisation des mécanismes de défense, nécessite la mise en œuvre d’outils biochimiques et moléculaires, car elle ne se manifeste pas par des modifications phénotypiques de la plante. Tous ces modes d’action sont plus ou moins partagés par les agents de lutte biologique, ils contribuent seuls ou en association à protéger la plante contre les agressions pathogènes.

 


 

L’importance des stimulateurs de croissance

La stimulation de croissance  résulte, elle aussi, de deux types de mécanismes, une stimulation directe ou une stimulation indirecte via le contrôle des microorganismes délétères, voire pathogènes dans la rhizosphère des plantes. Il est clair qu’une plante dont le système racinaire souffre des attaques de bio-agresseurs montrera une stimulation de croissance dès lors que les agresseurs seront contrôlés par des agents antagonistes. Il en résulte que de nombreux agents de lutte biologique comme les Trichoderma ou les Pseudomonas sont également des stimulateurs de la croissance. Mais cette action bénéfique peut aussi résulter d’une interaction directe avec la plante. En effet, de nombreux agents antagonistes produisent des hormones végétales comme l’AIA ou des analogues de ces molécules. De plus certains microorganismes comme les Pseudomonas produisent des enzymes comme l’ACC désaminase qui régulent la production d’éthylène. Or l’éthylène est à la fois impliqué dans la croissance des plantes et dans l’élicitation des mécanismes de défense. Les microorganismes de lutte biologique et les stimulateurs de croissance partagent donc de nombreux traits communs et il serait légitime de les placer dans la même catégorie.

 

Stimulateur de croissance ou agents de protection

La réglementation établit une différence entre les microorganismes « stimulateurs de la croissance des plantes » et les microorganismes « agent de protection des plantes ». Cette différence réglementaire est importante dans la mesure où les agents de lutte biologique sont soumis à la même règlementation européenne que les pesticides de synthèse alors que les microorganismes stimulateurs de croissance ou de vitalité sont soumis aux réglementations nationales de chaque pays ; en France ils sont le plus souvent homologués par le ministère de l’agriculture en tant que matière fertilisante. Cette réglementation qui est basée sur l’usage des préparations, introduit une barrière juridique qui n’est pas justifiée au plan biologique. En effet, les mêmes souches microbiennes présentent le plus souvent à la fois la capacité de promouvoir la croissance des plantes et de les protéger contre les bio-agresseurs. C’est en particulier le cas des Trichoderma spp, Pseudomonas spp, Bacillus spp et des champignons mycorhizogènes, pour ne citer que quelques exemples.

Antibiose de Pseudomonas  sp. vis à vis de Pythium ultimum - © C. Alabouvette

Des moyens de lutte trop limités

D’un point de vue pratique, les moyens de lutte biologique disponibles pour l’horticulteur sont très peu nombreux, si on se limite à signaler les produits autorisés pour les cultures horticoles, et ils demeurent peu nombreux si on élargit la liste à des agents de lutte autorisés sur d’autres cultures.
Sérénade est une préparation à base de Bacillus subtilis souche QST713, autorisée depuis plusieurs années pour lutter contre diverses maladies aussi bien aériennes que d’origine tellurique. Elle a été déclinée en une version « Jardins » disponibles pour les amateurs. Elle est autorisée pour « cultures florales, maladies diverses ». Une autre souche de Bacillus amyloliquefasciens MI 600 devrait prochainement être mise sur le marché français. Ces deux Bacillus présentent des caractéristiques voisines, des modes d’action similaires et une efficacité limitée, variable selon les cultures et les maladies considérées. Dans le genre Bacillus la préparation Flocter à base d’une souche ( I 1582) appartenant à l’espèce B. firmus présente des capacités nématicides. Elle est en cours d’examen au niveau européen et dispose d’une autorisation provisoire en France pour lutter contre les nématodes à galles en culture de carottes. Elle s’utilise par incorporation au sol, avant semis ou plantation. La bactérie parasite et tue les œufs, mais ni les larves ni les adultes.
 

Des préparations pour stimuler la croissance

Les bactéries appartenant au genre Pseudomonas spp., en particulier les espèces P. fluorescens et P. putida, sont connues pour être abondantes dans la rhizosphère des plantes, où elles exercent diverses activités favorables à la croissance. Elles sont communément désignées par le sigle « PGPR » pour « Plant Growth Promoting Rhizobacteria ». Comme indiqué plus haut cette activité promotrice de croissance résulte à la fois d’un effet direct sur la physiologie de la plante et d’un effet indirect, via la modification des équilibres microbiens dans la rhizosphère. Ces bactéries possèdent donc des activités antagonistes et une souche appartenant à l’espèce P. chlororaphis a été sélectionnée pour sa capacité à contrôler les agents pathogènes du pied des céréales. Elle est commercialisée sous le nom de Cerall. D’autres préparations, non autorisées, sont cependant disponibles pour « stimuler » la croissance des plantes.
Une préparation à base d’un actinomycète , Streptomyces griseoviridis, commercialisée sous le nom de Mycostop, est destinée à lutter contre les maladies racinaires des cultures horticoles, elle serait en particulier efficace contre les fusarioses.

 

Fusarium oxysporum f.sp. lycopersici - © C. AlabouvetteDes champignons bénéfiques

Du côté des champignons ce sont les souches de Trichoderma, viride, atroviride, harzianum, polysporum ou asperellum qui tiennent la vedette. De nombreuses préparations sont disponibles soit en tant que stimulant de la vitalité soit en tant qu’agent de lutte biologique. A notre connaissance seule la préparation Trianum est autorisée, en France, dans un grand nombre de cultures, en tant que stimulateur de croissance alors que, au niveau européen, la substance active est inscrite en tant que fongicide. Cela illustre bien l’absence de frontière entre la lutte contre des agents pathogènes bien identifiés et la stimulation de croissance. Une autre préparation Esquive est autorisée en France mais seulement pour un usage vigne : lutte contre l’eutypiose. Des extensions d’usage pour lutter contre d’autres maladies dont des maladies d’origine tellurique sont en cours d’examen. Un autre champignon, proche taxonomiquement des Trichoderma, Gliocladium catenulatum constitue la substance active d’une préparation fongicide commercialisée sous le nom de Prestop. Ce biofongicide recommandé pour lutter contre les maladies aériennes du concombre (Didymella et Botrytis) serait également actif, au niveau racinaire, contre les Pythium, Rhizoctonia et Fusarium spp. Coniothyrium minitans est un champignon parasite des sclérotes de Sclerotinia sclerotirum et S. minor. Il est autorisé pour lutter contre la sclérotiniose dans un certain nombre de cultures. Les champignons symbiotiques formant des mycorhizes à arbuscules dans les racines des plantes appartenant aux espèces mycorhizotrophes sont connus et utilisés depuis de nombreuses années et plusieurs préparations sont homologuées en tant que matières fertilisantes. Il est bien établi que ces champignons améliorent la nutrition phosphatée des plantes, mais ils renforcent aussi la résistance des plantes aux stress d’origine biotique et abiotique. Ils sont particulièrement efficaces au moment de l’acclimatation et de la transplantation de nombreuses plantes. Plusieurs préparations homologuées sont disponibles sur le marché français.

 

Attention aux produits non homologués

L’horticulteur souhaitant abandonner l’usage des pesticides de synthèse au profit de microorganismes de bio-contrôle est bien démuni. A notre connaissance seules deux préparations sont disponibles pour l’amateur comme pour le professionnel : Serenade à base de Bacillus subtilis et Trianum à base de Trichoderma atroviride. Il pourra faire appel également à des préparations homologuées en tant que matières fertilisantes, comme les produits à base de champignons mycorhizogènes, qui possèdent la capacité de renforcer les défenses de la plante vis-à-vis des stress d’origine biotique ou abiotique. Les microorganismes ne sont heureusement qu’une catégorie de moyens alternatifs, d’autres produits comme les composts ou d’autres techniques culturales comme la biodésinfection constituent d’autres moyens de lutte contre les maladies d’origine tellurique. Il convient cependant de mettre en garde l’horticulteur amateur contre les très nombreux produits non homologués qui fleurissent en jardinerie et qui sont parés de toutes les vertus. L’autorisation de mise sur le marché pour ce qui est des produits de protection des plantes, comme l’homologation pour les matières fertilisantes sont non seulement obligatoires mais constituent le seul critère d’efficacité et d’innocuité pour tous ces produits.

 

LEXIQUE

Entomopathogène : qualifie un organisme pathogène d’arthropode, c’est-à-dire le plus souvent d’insectes. On parle couramment d’insectes auxiliaires.
Origine tellurique : s’emploie pour désigner les organismes, ici les agents pathogènes ou les agents de lutte présents dans le sol. Au lieu de maladie d’origine tellurique, on emploie souvent l’expression maladie du sol, ce qui est incorrect car ce n’est pas le sol qui est malade.
Hyphes : filaments mycéliens qui sont les éléments végétatifs du champignon
Lyse du cytoplasme : dans ce cas de parasitisme d’un champignon par un autre champignon, la lyse du cytoplasme correspond à la destruction du contenu des hyphes sous l’action des enzymes du parasite qui se nourrit aux dépends de l’hôte
Métabolites : il s’agit ici des métabolites secondaires c’est-à-dire de toutes les molécules produites par l’organisme et qui ont des propriétés diverses. Parmi ces métabolites actifs contre un autre organisme vivant, il convient de citer des antibiotiques, des toxines, des enzymes…
Oligotrophe : qualifie un milieu pauvre en éléments nutritifs. Le sol est un milieu oligotrophe car les éléments nutritifs indispensables au développement et à l’activité microbiennes en particulier carbone et azote sont disponibles en quantité limitée.
Phénotypique : désigne l’ensemble des caractères observables d'un individu.
Dans ce cas, la potentialisation des réactions de défense ne se manifeste par aucune modification détectable, ce n’est qu’après infection par l’agent pathogène que l’état de potentialisation se manifeste ; c’est un phénomène comparable à la vaccination.

 

 

janvier-février 2013

2 thoughts on “Lutte biologique contre les parasites du sol : peu de produits disponibles”

  1. Bonjour Mr Albouvette, voila longtemps que nous ne nous sommes pas parlés, ce qui m’amène en tant que formateur en CERTIPHYTO pour jardins et Espaces verts et le peu de moyen bio disponibles facilement et rapidement alors que les échéances de la loi Energétique sont très proches, comment y palier. Pour ma part je ne crois pas beaucoup aux décoctions de plantes, je pense plutôt aux champignons ou micro-organismes mais ils sont momentanément très limités?
    Avez vous qq nouveautés proches sur les ravageurs du sol notamment, or nématodes bien sûr.
    En vous remerciant.

    1. je renouvelle ma demande d’octobre 2015, je dois intervenir lors d’une formation en espaces verts,
      sur les moyens de limiter le dévelopemnt des champignons parasites. pouvez vous me donner des élements sur les moyens de lutte autre que chimique.

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