Les serres spatiales

Depuis ses tout débuts, la conquête spatiale fascine et passionne le grand public. Celui-ci sait en revanche moins que des expériences botaniques ont également toujours eu lieu et que l’on trouve même des serres dans la Station spatiale internationale !

Dès les débuts de la conquête spatiale les questions liées au comportement des plantes dans l’espace ont été prises en compte et ont fait l’objet d’expérimentations diverses. La toute première expérience remonte à 1946 quand, le 9 juillet, des graines ont été envoyées à 134 km d’altitude par une fusée-sonde. Cependant, elles n’ont pas pu être récupérées. En revanche, quelques jours après, le 30 juillet, des graines de maïs ont pu être récupérées après un vol suborbital (environ 100 km d’altitude, soit la limite entre l’atmosphère terrestre et l’espace, appelée « ligne de Kàrmàn »). Ces expériences avaient pour but premier l’étude de l’exposition aux radiations cosmiques de tissus vivants.

Rappelons qu’en 1971, 500 graines de différents arbres (pins, liquidambar, séquoia, sycomore…) ont fait le tour de la Lune à bord d’Apollo 14. Elles ont ensuite été plantées avec des graines témoins restées sur terre sans qu’aucune différence entre les arbres ne soit détectée lors de leur développement respectif. De 1971 à 1982, de nombreuses expériences ont été menées par les astronautes soviétiques à bord des vaisseaux Saliout, avec des résultats décevants (mais, cependant, la floraison d’un plan d’Arabette des dames en 1982), même si aucune publication n’a été autorisée sur ces expériences.

De la graine à la graine en microgravité

La culture, avec succès, de graines dans l’espace a débuté en 1994 à bord de la station spatiale MIR, dans le cadre d’une coopération russo-américaine. Elle a duré jusqu’en 1999. Cinq expérimentations principales ont été réalisées, essentiellement avec du blé (nain) et du navet (Brassica rapa). Le but principal était d’obtenir des graines à partir des graines semées, d’où le nom donné à ce projet: « De la graine à la graine en micro-gravité ». Au-delà du succès de ces premières expérimentations, il est apparu que la culture des plantes avait un fort effet psychologique bénéfique pour les astronautes. Certains cosmonautes, ayant fait de longs séjours dans l’espace (jusqu’à six mois), ont confié que les plantes qu’ils cultivaient étaient en quelque sorte devenues leurs « plantes de compagnie ». Ainsi, la valeur apaisante du jardinage est reconnue même dans l’espace !

L’astronaute Megan MacArthur
L’astronaute Megan MacArthur devant des plants de poivrons dans l’APH dédié à la recherche sur le développement des plantes dans l’espace © Nasa
L’astronaute Soichi Noguchi
L’astronaute Soichi Noguchi vérifie le développement des plants de radis dans l’installation APH © Nasa

L’ISS lieu d’expérimentation

C’est dans la Station spatiale internationale (ISS) qu’ont réellement été développées les recherches sur les plantes en utilisant différentes « serres ». La sensibilisation auprès du grand public de la culture des plantes dans l’espace remonte à 2011 et a été réalisée par l’astronaute italien de l’Agence spatiale européenne (ESA), Paolo Nespoli, lors de sa mission dans l’ISS. À cet effet, une mini-serre avait été conçue, dans laquelle des graines d’Arabidopsis thaliana (dicotylédone de la famille des Brassicacées), plus communément connue sous le nom d’Arabette des dames, avaient été plantées. Cette plante présente l’avantage d’avoir un cycle de vie très court, d’environ six semaines, de la germination à la maturation de ses graines. Elle est la plante modèle de laboratoire. La Nasa avait mis à la disposition des écoles du monde entier un très grand nombre de serres semblables pour comparer la croissance de la plante sur terre et dans l’espace.

Après avoir été arrosées (avec une seringue), les graines ont commencé à germer au bout de cinq jours. Cependant, trois semaines plus tard, des signes de moisissures sont apparus à l’intérieur des mini-serres. Les très strictes règles d’hygiène bord de l’ISS ont conduit à arrêter l’expérimentation et à les mettre aux déchets avec leurs plantules. Cette sensibilisation auprès du grand public avec cette expérience, certes écourtée, mais couronnée de succès par la germination de quelques graines, avait été précédée par de nombreuses expérimentations et a été suivie par d’autres, de plus en plus ambitieuses.

L’astronaute Paolo Nespoli
L’astronaute Paolo Nespoli préparant la mise aux déchets des deux mini-serres (capture d’écran d’une vidéo Nasa) © Nasa
La serre VEGGIE
La serre VEGGIE en préparation pour une prochaine installation à bord de l’ISS © Nasa

LADA, ABRS (1*), VEGGIE (2*)

En 2002, la serre Lada (du nom d’une ancienne déesse russe du printemps) a été mise en place dans le module russe de l’ISS dans le cadre d’une coopération entre les États-Unis et la Russie. Elle était composée d’un module de contrôle et de deux modules de développement des plantes afin de pouvoir comparer leur développement selon les méthodes de culture. Le but premier des recherches menées à l’aide de cette serre était de s’assurer que les « cultures spatiales sont suffisamment saines pour pouvoir être mangées » mais aussi qu’elles n’étaient pas à l’origine de pollutions (micro-organismes) internes de l’ISS. Ces expériences ont été menées durant un an et les échantillons de plantes rapportés sur terre après congélation ont été étudiés dans différents laboratoires.

L’ABRS est le pendant américain de la serre Lada pour mener des expériences poussées sur des plantes mais aussi sur des micro-organismes et sur des animaux (arthropodes). Il possède lui aussi deux compartiments pour la culture des plantes, chacun d’une dimension de 13 x 20 x 40 cm. Les conditions d’éclairage et les compositions atmosphériques à l’intérieur de chacun des compartiments sont ajustées selon les expériences. Il est doté au total de plus de 180 capteurs et les expériences menées avec ce système sont pilotables à distance depuis la Terre et via un ordinateur par l’équipage de l’ISS. Les données recueillies sont transmises automatiquement vers la Terre. Cet équipement a été conçu dès le départ dans le but d’étudier les possibilités de cultiver des plantes avec des interventions de l’équipage réduites le plus possible.

L’équipement VEGGIE est beaucoup plus simple mais de plus grande taille car il est surtout destiné à la production de plantes comestibles. Il a été mis en place dans l’ISS en avril 2014 et il est prévu qu’il y reste définitivement. Sa différence principale avec les équipements utilisés jusqu’alors pour ces études, outre sa simplicité, réside dans le fait qu’il est ouvert, les plantes profitant de l’environnement de la station. En effet, toutes les expérimentations ont permis de montrer qu’elles ne présentaient pas de risque majeur pour les astronautes. Ceux-ci ont d’ailleurs pu manger, en 2015, des feuilles de laitue romaine rouge cultivée dans cet équipement après, cependant, de très nombreux contrôles de non-toxicité. C’est dans ce même équipement qu’un plant de zinnia a fleuri en janvier 2016.

Les astronautes Christina Koch et Jessica Meir
Les astronautes Christina Koch et Jessica Meir récoltent des feuilles de moutarde à l’intérieur de l’installation VEGGIE © Nasa

L’APH (3*) pour préparer les voyages de longue durée

Enfin, le dernier équipement mis en place dans l’ISS est l’APH. Il est dédié à la recherche sur le développement des plantes dans l’espace afin de préparer les équipages à cultiver une partie de leur nourriture lors des missions spatiales de (très) longue durée. Il s’agit là d’un équipement très sophistiqué et quasiment autonome pour le suivi de la croissance des plantes. Ses dimensions plus importantes permettent également la culture d’espèces plus variées et devraient faciliter l’obtention, toujours d’actualité, de graines sur plusieurs générations de plantes en vue d’une plus grande autonomie des ressources. C’est dans cette installation qu’ont été obtenus des poivrons en 2021 après pollinisation des fleurs par mise en route de ventilateurs et intervention manuelle de l’équipage. Les très nombreuses expérimentations mises en œuvre par les astronautes au moyen de différents équipements embarqués dans les vaisseaux spatiaux ont fourni une très grande quantité de résultats qui ont conduit à une sophistication de plus en plus poussée de ces équipements. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour assurer une partie de leur nourriture fraîche aux équipages sur de longues missions spatiales ou sur d’autres planètes. Les retombées terrestres de ces résultats sont multiples et à l’origine de nombreuses applications dans le domaine de l’horticulture. C’est ce dont nous traiterons dans un prochain article.


Michel Crousilles et André Bervillé

Membres du Comité de rédaction de Jardins de France
www.nasa.gov

(1*) Advanced Biological Research System
(2*) Vegetable Production System
(3*) Advanced Plant Habitat