Les ressources génétiques végétales en France: une évolution du statut législatif

Jean Perchet

Quoi et comment ?

Tulipes en couleurs - © http://blogs.lyceecfadumene.fr

Au pays des naturalistes, des collectionneurs et des botanistes, au pays des cent paysages et des jardins de rois, l’agriculture et l'horticulture française héritent d'un trésor de ressources phytogénétiques. Centre de diversification génétique pour certaines espèces, au gré de notre histoire, de ses mélanges et de ses opportunités, uniquement un lieu de sélection pour d'autres espèces, notre pays a donc un rôle à assumer fièrement, à la fois vis a vis de ses amis lointains et proches, mais surtout vis-à-vis de ses propres citoyens. Cette diversité a longtemps été prise pour une curiosité, un outil dont on pouvait se servir dans l'immédiat (les descriptions des almanachs du XIXe siècle étant dans cet esprit), que l’on pouvait mélanger avec des variétés venues d'ailleurs dans le but d'améliorer les variétés, ou encore collectionner à des fins d'agrément.  Peu à peu, l'idée qu'une collection de ressources génétiques (germplasm) était un outil incontournable s'est imposée chez les créateurs de nouvelles variétés, et c'est tout naturellement que l'INRA a constitué de vastes collections de ressources génétiques publiques dès la fin des années 1940. Il existe aussi de nombreuses collections privées dont l’accessibilité reste à la discrétion des propriétaires. Toutes ces ressources sont uniques, en ce qu'elles fournissent un standard, un point de référence spatio-temporel dans l’évolution d’une lignée, d’un clone ou d’une population. Ces collections sont constituées d'accessions (une collecte de matériel de multiplication prélevée à un moment en un endroit) conservées avec tout le savoir-faire et la disponibilité des meilleurs techniciens et passionnés depuis l'après-guerre, qui ont, en outre, été décrites selon un cadre normatif partagé. Cette conservation est donc plus que celle d'un ensemble de gènes; il s'agit bien de la conservation d'un patrimoine technique et culturel. C'est en ce sens qu'il est important de la considérer, et c'est à quoi tend l'article sur les ressources génétiques de la récente Loi sur les obtentions végétales du 8 décembre 2011. Définir une ressource génétique, c’est déjà prendre parti sur la façon dont on souhaite la conserver. La définition qui est couramment admise dans la communauté scientifique parle d’accessions qui sont des éléments collectés en un endroit donné et à un moment donné, pour un taxon botanique identifié. Ceci peut être une collecte d’individus sauvages, de variétés cultivées, ou encore une réception d’échantillons depuis une autre collection. Derrière cette conception de l’accession va se définir une notion de standard : conserver une accession, c’est bien entendu la conserver vivante. Si une conservation au froid positif sec est souvent employée pour rallonger la durée de vie des lots de graines (jusqu’à une vingtaine d’années dans certains cas), il est indispensable de pouvoir procéder à des régénérations, opération où les graines vont être remises en culture et se reproduire de façon aussi fidèle que possible à l’original, en évitant l’apport d’une génétique extérieure à l’accession initiale, puis stockées de nouveau. Il s’agit de la conservation ex situ, réalisée par des structures publiques ou privées maîtrisant les modalités de reproduction pour chaque espèce et œuvrant ensemble dans l’intérêt de la conservation de ces matériels vivants.Une conservation in situ est possible également mais le besoin de comparaison à un standard n’y est pas présent car ce type de conservation vise un autre objectif : obtenir une interaction dans le temps entre le matériel ainsi régénéré et son environnement. Ce type de conservation concerne deux types de matériels. D’un côté des variétés d’espèces agricoles ou potagères sont mises en culture dans leur environnement agro-écologique habituel par des agriculteurs ou des associations intéressées par cette approche où l’évolution se fait librement d’année en année en interaction avec les populations humaines avec, selon les cas, des possibilités de co-évolution (variété vendéenne de haricot de Pont-l’Abbé ayant acquis récemment la résistance au virus 1 du BCMNV). D’un autre côté, dans un environnement naturel peu anthropisé, des populations d’espèces sauvages apparentées à des espèces cultivées (Crambe maritime, populations de carottes, de betteraves, …) sont maintenues dans leur état naturel : la France fait partie du centre d’origine de ces espèces ! Les Conservatoires Botaniques Nationaux veillent à la bonne conservation de ces espèces sauvages mais aussi donc de l’environnement naturel avec lequel elles interagissent. Ces deux approches (in situ et ex situ) sont évidemment très différentes, et certainement complémentaires. Il est cependant manifeste qu’une conservation ex situ de qualité est un prérequis à tout programme d’utilisation des ressources génétiques in situ. Par exemple, en cas d’accident climatique majeur détruisant une collection conservée pour partie in situ, la conservation ex situ peut servir à redémarrer une conservation in situ.



Pourquoi inclure les ressources génétiques dans la Loi sur les obtentions végétales?

La récente Loi sur les obtentions Végétales évoque dans son article 15 la création de catégories de ressources génétiques végétales.  En cela, elle instaure pour la première fois en droit français une reconnaissance positive de l’existence et de l’importance des ressources génétiques végétales. En intégrant les ressources génétiques au sein de la Loi sur les obtentions végétales, le législateur a voulu rappeler que, si les créations récentes et améliorées sont un bien qui peut bénéficier d’une certaine forme de protection intellectuelle, les ressources génétiques, dont celles qui peuvent être considérées comme des variétés anciennes, constituent un bien commun qui doit être reconnu en tant que tel. Un article du Code Rural est en conséquence consacré à la reconnaissance officielle de ces variétés, le L660 (alinéas 1 à 4).

Les variétés anciennes sont souvent présentées comme ayant un intérêt technique, agronomique ou gastronomique. Elles portent pour autant un intérêt historique extraordinaire. Elles permettent de voir, toucher, sentir, goûter les variétés sélectionnées avec doigté par tous les peuples de France par le passé. Prenons un exemple de l’exceptionnelle valeur patrimoniale des variétés végétales. En 1845, commence la commercialisation de la rose « Eulalie Lebrun », sélection de Rosa gallica, que l’on peut encore se procurer aujourd’hui. La même année, le peintre Gustave Courbet présente « le Hamac », portrait de sa sœur dans un hamac (devant un rosier buissonnant). Le tableau, comme la rose, sont les témoins d’une époque ; de la même époque, de la même année ; ils parlent du même lien magique entre les âges. En revanche, si le tableau est un objet unique, la rose, elle, peut toujours être multipliée et cultivée à l’infini, toujours aussi vivante et jeune que le jour de son premier bouturage. C’est là la force infinie des variétés anciennes dans l’établissement d’un rapport à notre histoire : elles en sont un témoin vivant, au-delà de leur valeur économique. Si le tableau et la variété de rose nous sont arrivés 150 ans après leurs créations, c’est grâce à des passionnés : de peinture pour l’un et de roses pour l’autre … voire des deux. Le législateur ne pouvait ainsi considérer le seul aspect technique des ressources génétiques dans la reconnaissance de celles-ci, mais il ne devait pas non plus le perdre de vue. Ces deux aspects sont complémentaires, et doivent être traités en tant que tels. La Loi indique en conséquence trois catégories imbriquées dans les ressources génétiques végétales, tout en tenant compte du droit international, et notamment du Traité International sur les Ressources PhytoGénétiques pour l’Agriculture et l’Alimentation (TIRPGAA).


       Les ressources ayant un intérêt scientifique et technique particulier

Appelés « ressource phytogénétique pour l'agriculture et l'alimentation », elles sont définies au CRPM L660-2. Les conditions précises d’appartenance à cette catégorie doivent encore être décrites dans un décret à l’initiative du Ministère de l’Agriculture ; on peut néanmoins imaginer que cette catégorie se rapprochera sensiblement des ressources génétiques conservées au sein des collections collaboratives privées, telles que celles des réseaux de conservation des variétés végétales (qui associent l’INRA, le GEVES (Groupement d’étude des variétés et d’évaluation des semences), des entreprises privées, …)  ou encore du milieu associatif. Cette catégorie correspondrait ainsi à ce que la charte de l’ancien Bureau des Ressources Génétiques (BRG) rassemblait sous le nom de « collection réseau ». Le texte crée ici un objectif de conservation, afin « d’éviter la perte irréversible de ressources génétiques ». On peut ainsi s’attendre à ce que le décret d’application vienne restreindre le droit de destruction (abusus) dont dispose habituellement le propriétaire d’un objet.

 
      Les ressources phytogénétiques patrimoniales,

Inclues dans la catégorie précédente dont elles se différencient par le mode de diffusion, elles sont définies à l’article CRPM L660-3. Ici aussi, les critères d’appartenance à cette catégorie doivent être définis par décret. On peut cependant supposer que les critères retenus seront ceux qui avaient été définis par les réseaux de conservation mentionnés plus haut dans le cadre de leurs « collections nationales », un peu plus restreintes, et composées d’éléments dont la représentativité historique, ou la spécificité – et donc la responsabilité – nationale était avérée. Il ne s’agit pas d’une « core collection » ou collection de base, ensemble de gênes que l’on estimerait importants à conserver, quitte à effectuer des croisements pour éliminer les redondances et faire le maximum d’économies en ne conservant qu’un minimum d’individus ou de populations. Au contraire, l’accent est, dans ce cas, à mettre sur l’assemblage de ces gênes, c’est à dire sur l’accession elle-même, qu’elle soit variété fixée, population, ou encore un clone.  Pour illustrer ce type d’accessions, on peut citer l’oignon de Roscoff qui a eu un impact fort sur la vie culturelle, puisque les producteurs bretons de cet oignon le commercialisaient eux-mêmes au Royaume-Uni en les emmenant par bateau et se faisaient appeler « Johnnys ». On peut également citer le haricot de Soisson qui a eu un impact sur la vie sociale des générations passées en Picardie. Afin que ces ressources soient conservées, l’objet de l’article est de définir pour elles des modalités de diffusion, à la fois vers les citoyens et vers l’international. Ces modalités nécessiteront un dialogue approfondi entre acteurs.

 
       La Collection nationale

Au sens du TIRPGAA, il s’agit des ressources qui sont mises à disposition des autres parties du traité. En France, elle se ferait sur la base des ressources considérées comme patrimoniales, représentatives de l’histoire des territoires de la République Française, et dont celle-ci aurait ainsi la responsabilité à l’international. Elle peut également être abondée de manière volontaire par quiconque. Elle est définie à l’article CRPM L660-1. On peut dès lors résumer la structuration indiquée par la Loi de cette manière :

Schéma - © J. Perchet

Agir aujourd’hui

Si une base légale pour l’action de l’Etat existe, le besoin en est pressant. De nombreuses collections de l’INRA disparaissent, victimes de modifications de programmes de sélection. En attendant, toutes les initiatives sont bonnes à prendre, surtout quand elles peuvent être menées avec le soutien des milieux scientifiques pour assurer une transmission des savoirs et éviter les efforts redondants.

 

Pot de tulipes roses - © http://blogs.lyceecfadumene.frUn exemple des solutions créatives développées par les conservateurS :
la collection de tulipes de l'INRA.

La collection de Tulipes (botaniques et cultivées) conservée à Ploudaniel (29) était condamnée à la disparition faute de repreneurs, et malgré la recherche tenace des chercheurs et techniciens qui en avaient la garde. Mise en place dans les années 1960, cette collection - ainsi que ses soeurs, la collection d'iris et celle de glaïeuls - était amenée à disparaître, alors qu'elle contenait les parents de quelques gloires de l'obtention nationale. C'est l'idée, soutenue par l'administration, de baser un projet pédagogique sur ces collections, qui va permettre de sauver, au moins temporairement, la collection de tulipes. Pendant toute l'année 2012, les étudiants (lycéens et BTS) du lycée agricole de serres du Mené se sont occupés de la collection sous la supervision des enseignants, mais également avec l'aide des techniciens de l'INRA Ploudaniel, qui ont fourni les bases pour mettre en place des solutions innovantes de culture, et permis l'identification et la conservation à l'abri des virus de la collection de tulipes. L'objectif, en lien avec les instituts techniques de la filière, est également d'identifier si possible, sur une base génétique large, les sources de résistances à divers types de stress, tant biotiques (ravageurs, virus...) qu'abiotique (sècheresse, gel) qui pourraient peut-être ultérieurement permettre le développement de variétés tolérantes de qualité, et, pourquoi pas, de relancer une filière française en fleurs coupées ? En attendant, après une première année viviblement riche en expériences et en couleurs florales, que les lycéens et étudiants racontent sur leur blog, il reste à espérer que cette solution demeurera robuste dans les années à venir, et que d'autres viendront la compléter.

 

janvier-février 2013