Les plantes du scorbut : agrumes sur mer, parmentières sur terre et choucroute partout !

Daniel Lejeune

Aucun homme ne périt du scorbut lors du premier voyage du capitaine Cook (1768-1771), grâce aux grandes quantités de citrons et de choucroute embarqués. Ici, « Vue d’un port avec le Capitole », de Claude Gelée – Musée du Louvre – © D.R.

Ce furent d’abord les peuples du nord et singulièrement les norvégiens qui décrivirent les ravages d’une curieuse maladie dont le tableau clinique se composait tout à la fois de taches cutanées ressemblant à des ecchymoses, d’hémorragies, d’une grande fatigue persistante et surtout, d’une dégradation des gencives, entraînant déchaussement puis perte des dents : le scorbut.

Le terme norvégien skyrjug est construit sur skyr = lait aigre et bjur = œdème : c’étaient en effet surtout les marins s’alimentant presque exclusivement de lait aigre qui étaient spectaculairement atteints du scorbut dont on sait aujourd’hui qu’il résulte d’une carence en vitamine C, indispensable à l’élaboration du collagène.

Sauvé par le Turc

Le scorbut a causé d’énormes pertes parmi les équipages au long cours et figura, à juste titre, au premier rang des préoccupations des capitaines dès la colonisation du Canada. Jacques Cartier et son équipage faillirent en périr lors de leur hivernage de 1535 en Gaspésie et la plupart ne furent sauvés qu’en consommant des feuilles et des écorces d’un résineux, probablement un Thuya ou « arbre de vie », sur les conseils d’un indien Iroquois.

Le scorbut « de terre » était d’ailleurs connu de longue date. On rapporte que les légions romaines de Germanicus en avaient été atteintes et qu’il en fut de même des croisés accompagnant Saint-Louis en 1248 sous les murs de Tunis. Le chroniqueur Joinville relate en avoir été sauvé par le Turc dont il était prisonnier et qui lui fit absorber un breuvage qui pourrait bien avoir été composé à base d’agrumes. Voltaire écrit en avoir été victime et avoir perdu des dents, alors qu’il était hôte de Frédéric II à Potsdam. Plus récemment, l’armée française en souffrit lors de la campagne de Crimée en 1854-1856.

Le scorbut tuait plus que les armes

On comprit très rapidement que le mode de nourriture était un facteur déterminant et l’on chercha dans la pharmacopée alors disponible, les simples les plus efficaces. On identifia ainsi clairement le Cochléaria et d’autres Brassicacées.

En tout état de cause, à bord des bâtiments de guerre, le scorbut tuait plus que les armes…

La première étude rationnelle fut menée en 1747 à bord du HMS Salisbury par l’anglais James Lind qui publia en 1754 ses résultats confirmant l’efficacité alimentaire des oranges et des citrons[1]. Une traduction en français en fut donnée en 1771.

Duhamel du Monceau présenta de son côté dès 1759 un rapport à l’Académie Royale des Sciences insistant sur la nécessaire consommation de fruits, légumes verts, herbes.

Le premier voyage du capitaine Cook (1768-1771) fut un immense succès en terme de navigation et d’exploration scientifique. Ce fut aussi un immense succès en matière de maîtrise sanitaire : grâce aux grandes quantités de citrons et de choucroute embarqués, aucun homme ne périt du scorbut.

Il est enfin reconnu que dans les pays septentrionaux, l’introduction de la pomme de terre, contenant de la vitamine C et susceptible d’une bonne conservation hivernale aura été un remède très important pour l’extinction du scorbut au XIXe siècle.

 

Nous recommandons à nos fidèles lecteurs l’article de Jean et M.L. DUFRESNOY et Jacques ROUSSEAU paru en 1954 dans la Revue Horticole p 993 sous le titre Les plantes antiscorbutiques, à l’occasion de la réimpression du Traité du Scorbut de James Lind.

[1] Voir l’intéressant article La naissance des essais cliniques contrôlés, par Simon SINGH et Edzard ERNST dans la dernière parution de Science et pseudo-sciences n° 318, octobre 2016.

 

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