Les jardins partagés

Eric Prédine

Des nouveaux espaces publics

 

De nouveau, nous vivons une crise sociale et économique mais qui s’ajoute à la conscience d’une crise environnementale. L’usage du jardin dans des politiques publiques d’intérêt général ne date pas de l’avènement des jardins partagés, introduits en France, il y a une vingtaine d’années.

 

Les jardins partagés, pépinières du mieux vivre ensemble - © E. Prédine

Les jardins partagés, pépinières du mieux vivre ensemble - © E. Prédine

 

Les jardins, une tradition ancienne des politiques d’intérêt général

La création des premiers jardins ouvriers par l’abbé Volpette à St Etienne en 1894, puis repris et très largement amplifiée par l’abbé Lemire à partir de 1896 était déjà une réponse sociale à une crise sanitaire cette fois ci, mais aussi économique. L’abbé Lemire (Cf. l’article du dossier « Un notaire et un prêtre à l’origine des jardins ouvriers et familiaux ») poursuivait plusieurs objectifs au travers de ces jardins ouvriers. Ils donnaient l’accès à un air sain, au moins le dimanche, aux familles d’ouvriers vivant dans des taudis humides contaminés par la tuberculose. Ils amélioraient l’apport alimentaire. Une des intentions était «d’éduquer » les ouvriers pour qu’ils acquièrent des pratiques de « petits propriétaires », mais aussi, qu’ils évitent de fréquenter les bistrots. Il s’agissait de contribuer à la lutte contre l’alcoolisme, mais surtout d’atténuer la « contamination » des ouvriers par les idées modernes du syndicalisme ou du communisme. L’abbé Lemire, Député de la Nation, siégeait à gauche de l'assemblée certes, mais restait abbé….

 

Un complément de salaire

Ces jardins pouvaient voir le jour au côté des usines, non seulement grâce à la persuasion de ce personnage hors du commun, mais aussi à la contribution du patronat éclairé : c’est lui qui fournissait les terrains. Bien souvent, les « dames » patronnesses participaient à la gestion de ces jardins dans le cadre de démarche d’éducation populaire, tels des cours de tricot ou d’hygiène corporelle. Ces jardins permettaient de compléter les salaires des ouvriers sans apport numéraire supplémentaire. De plus, en maintenant les ouvriers sur place, les jardins facilitaient le regroupement familial. En ce temps, les ouvriers étaient souvent jeunes et célibataires. Ils prenaient facilement leur lundi à l’improviste pour aider leurs familles aux champs ou simplement retrouver leur dulcinée au village d’origine. Les jardins contribuaient donc à une bonne « gestion » de l’usine d’à côté.

 

Des lieux de résistance

Aujourd’hui comme hier, les jardins sont des lieux de résistances à la crise alimentaire et à la crise économique. Toutes les études de santé publique, menées dans le cadre de la nutrition démontrent que les moins fortunés diminuent la part des fruits et des légumes dans leur alimentation pour des questions de coûts et d’attitude culturelle vantée par l’industrie agro-alimentaire de l’aliment, préparé, emballé, et bientôt prédigéré ? Ce fait a déjà des conséquences désastreuses en matière de santé publique sur les pandémies de diabète, d’obésité et de maladies cardio-vasculaires. En 1995, Sophie Bernier, responsable du programme Environnement de la Fondation de France, propose de travailler en étroite collaboration avec les associations de jardin avec lesquelles elle est en contact. Sur le terroir de cette collaboration a germé le mouvement des jardins partagés.  La pertinence des valeurs participatives, solidaires envers les autres et son environnement fut confirmée. Actuellement la démarche des "Ambassadeur du jardinage et du bien vivre alimentaire" est une autre bouture de cette rencontre entre soutien d'une fondation proche de l'innovation sociale et acteurs expérimentés de la "cause potagère".

 


Un lieu de convivialité ancrée dans la notion de la démocratie participative - © E. Prédine

Un lieu de convivialité ancrée dans la notion de la démocratie participative - © E. Prédine

Le jardin partagé, un concept de fonctionnement et non une organisation spatiale

Les jardiniers sont donc directement impliqués dans la définition des usages et du fonctionnement de ces jardins. C’est en quoi les jardins partagés d'aujourd'hui diffèrent du mouvement issu de l’abbé Lemire. Les jardins partagés sont des jardins conçus, aménagés, gérés écologiquement avec les usagers. Ce sont des lieux d’expérimentation, d’innovation, et de convivialité ancrée dans la notion de la démocratie participative, sur des modes de gouvernance plus transversaux que ceux conventionnels dits "verticaux", où peu décident pour beaucoup. Du point de vue de l’aménageur ou de la collectivité, le jardin partagé est avant tout, une nouvelle manière d’intégrer les habitants dans la conception des espaces publics. De consommateurs d’espace, ils deviennent acteurs. Cette implication responsabilise les habitants à l’aménagement et surtout la gestion de ces espaces.

 

Des équipements communs sont accessibles à tous les habitants - © E. Prédine

Des équipements communs sont accessibles à tous les habitants - © E. Prédine

 

Rénover les méthodologies de conception de l’aménagement

Le concept innovant de parc public potager porté par la Scop « SaluTerre » entraîne de nouvelles méthodes d’actions des collectivités. Les jardins ou squares publics traditionnels intègrent alors une fonction "espaces cultivés". Les équipements communs sont accessibles à tous les habitants, jardiniers ou non. La collectivité se fixe un cadre pour la gestion des espaces jardinés par les habitants. La ville reste garante de l’intérêt public, particulièrement sur trois critères : l’ouverture à la mixité sociale et culturelle, l’harmonie paysagère et le respect de l’environnement. Ce cadre de gestion prend la forme d’une charte concertée avec les usagers où sont définies les valeurs et les finalités des jardins. Cette charte est la base de construction des modalités conventionnelles entre la ville et les usagers. Cela évite l’écueil d’une privatisation illégitime de l’espace public par une appropriation partagée des enjeux de l’intérêt général. Une concertation aboutie permet à chacun de tenir son rôle à la hauteur de sa compétence et de sa responsabilité. A la charge de la collectivité de fixer un cahier des charges dans lequel les jardiniers concevront un mode de fonctionnement adéquat à leur intention. A la charge des jardiniers de concevoir un mode de fonctionnement, de gérer et entretenir ces espaces dans le respect de ce cahier des charges.
 

Les jardins partagés, écoles des plaisirs de la terre et de la responsabilité - © E. Prédine

Les jardins partagés, écoles des plaisirs de la terre et de la responsabilité - © E. Prédine

Un accompagnement parfois complexe, à la hauteur des résultats attendus

SaluTerre accompagne les collectivités dans leur projet de jardins partagés selon une démarche de qualité durable. En effet, ces projets sont d’excellents supports d’une conception des aménagements qui tienne compte des critères sociaux, économiques et environnementaux, en amont comme en aval du projet d’aménagement. Derrière l’apparente simplicité  du concept, une réelle complexité s’instaure dans la conduite des projets. Il s’agit de faire coopérer des compétences qui n’en ont guère l’habitude, entre celles d’aménageurs, de médiateurs sociaux, de techniciens du paysage et d’animateur. Aujourd’hui, les jardins partagés sont une autre façon de concevoir le cadre de vie de nos territoires. Un cadre où la notion de cogestion entre démocratie représentative et démocratie participative prend tous son sens, non seulement comme une force de proposition de l’intelligence urbaine, mais aussi de réalisation pratique qui se mesure en huile de coude sur le râteau et la binette. Les jardins partagés restent les pépinières du mieux vivre ensemble que nous souhaitons pour demain, des écoles des plaisirs de la terre et de la responsabilité, mais surtout offrent la capacité d'élargir l'horizon alimentaire, particulièrement des plus fragiles.

 

AMAP, un lien entre paysans et consommateurs

« Préserver l’existence et la continuité des fermes de proximité dans le respect d’une agriculture durable » est l’objectif d’une AMAP, Association pour le maintien de l’agriculture paysanne.

L’AMAP permet aux consommateurs, liés au producteur par contrat, « d’acheter à un prix juste des produits alimentaires de qualité, en étant informés de leur origine et de la façon dont ils ont été produits (souvent en bio). S’agissant le plus souvent de fruits et légumes et d’une relation directe avec le producteur, l’AMAP comme d’autres exemples présentés dans ce dossier concilie jardinage et lien social. Le contrat, établi sur la durée d’un cycle de production, comprend la distribution périodique par l’agriculteur, de produits dont la liste et la programmation sont précisées. Le coût du panier de chaque consommateur, déterminé par les deux parties, est constant sur la saison et payé d’avance. Ce prépaiement permet au producteur de disposer de la trésorerie nécessaire à son activité. En contrepartie, le producteur doit respecter les échéances et les quantités fixées.

En augmentation constante

Le nom d’AMAP est délivré par le réseau « Alliance Provence » qui vérifie le respect de la charte. La charte comprend 18 points à respecter mais 7 ont un poids plus important vis-à-vis de la réglementation. Ainsi, il ne doit pas y avoir d’échange d’argent sur le lieu de distribution, le partenariat est exclusivement avec un producteur qui doit effectuer lui-même la livraison et pratiquer une agriculture paysanne respectant la nature, l’environnement et l’animal pour les produits tels que le lait, les oeufs, les volailles… Enfin il faut qu’un contrat respectant les conditions déjà indiquées soit signé entre le producteur et chaque consommateur. Né dans les années 70 au Japon et en Europe (Allemagne, Autriche, Suisse), le concept d’AMAP est mondial et continue d’essaimer de part le monde. Dans les années 80, il est parti aux Etats-Unis puis au Canada, pour revenir enfin en France dans les années 2000 sous la forme d’AMAP dont le nombre augmente continuellement et concerne environ 15 000 exploitations agricoles N.D.


www.reseau-amap.org/
www.saluterre.com
www.jardins-partages.org/
www.terredopale.fr/angesgardins/formation/ambassadeurs

« Jardin en partage », par JP Collaert et E Prédine, Edition Rue de l'Échiquier

 

3 thoughts on “Les jardins partagés”

  1. J’adore ce type d’initiative, c’est en plus socialement un vrai atout, cela favorise les rencontres et la conversation entre les habitants. Les jardins partagés permettent de créer du lien entre les générations… bref, que des atouts !

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