L’eau, âme du paysage pour les André

Stéphanie de Courtois

EXEMPLE DE DEUX PROJETS ANGEVINS


Les eaux dans les jardins représentent un élément important pour les André, famille de paysagistes. Si elles sont « l’âme du paysage », la conception évolue en fonction des changements de la société. Deux projets angevins le démontrent, conçus par le père Edouard et son fils René.

 

 

“ L’eau doit satisfaire l’œil et l’esprit ” selon Edouard André. Ici, le jardin des plantes d’Angers

L’eau doit satisfaire l’œil et l’esprit ” selon Edouard André. Ici, le jardin des plantes d’Angers

La question de l’eau dans les jardins est une façon intéressante d’étudier les parcs conçus par le paysagiste Édouard André (1840-1911) et son fils René André (1867-1942)[1]. Pour eux, « les eaux sont l’âme du paysage, elles donnent vie à tout ce qui les entoure. La variété infinie qu’elles présentent nous charme sans cesse », comme l’écrit Édouard André en 1879[2]. De fait, dans l’intervalle de quarante ans environ, la manière est bien différente de traiter l’eau, que ce soit lors de la transformation en parc public de l’ancien jardin botanique par Édouard André en 1900 ou au parc de la Garenne Saint Nicolas par René André entre 1937 et 1941. Elles  renvoient à des conceptions distinctes du rapport à la nature, reflétant les changements de la société et de la profession de paysagiste[3].

 

 

Angers, du jardin botanique au parc public : le père

En 1900, le père, Edouard André, est appelé pour achever la mue progressive du jardin botanique d’Angers en jardin d’agrément, et offrir aux Angevins, en plein centre ville, un lieu de repos et de rencontres, dans la tradition haussmannienne du parc public. Projeté en 1900, le jardin sera finalement mis en œuvre en 1904 et 1905, avec l’achèvement de la rivière anglaise qui devient, avec le lac, le pivot visuel du jardin. Pour la rivière, Édouard André n’a pas voulu laisser improviser ce travail si important. Il a argumenté pour que la mairie fasse appel à un spécialiste, disant qu’il « y aurait un avantage artistique et financier considérable à faire exécuter les rivières inférieures, cascades, rochers divers par M. Bellandou, rocailleur à Cannes et Nice »[4]. Édouard André ne suit pas les travaux de la rivière, mais il a donné de nombreux exemples dans les parcs qu’il a conçus et surtout de nombreux détails de rivières dans son célèbre Traité, rapidement devenu la référence des propriétaires et horticulteur. Il a consacré à ces dessins de rivières de nombreuses pages, avec un credo : « Le tracé des eaux doit satisfaire à la fois l’œil, par la grâce des contours, et le pittoresque de la situation, et l’esprit par l’économie de leur aménagement dans le point bas où elles doivent naturellement se réunir »[5]. Qu’il s’agisse d’aménager un ruisseau présent ou une pièce d’eau entièrement artificielle, qu’elles soient en cascade, en ruisseau, ou en surface calme, les eaux font partie intégrante de la composition, elles sont « d’un intérêt capital dans la composition des jardins »[6]. On vise le naturel à grand renfort de faux rochers, grâce aux possibilités nouvelles offertes par les rocailleurs.


Un coin du Jardin des plantes

Rapports de l’angle optique avec les eaux

1: Un coin du Jardin des plantes / 2: Rapports de l’angle optique avec les eaux

 


Ne pas voir la main de l’ouvrier

Les deux grands modèles furent le Bois de Boulogne et les Buttes-Chaumont, où l’eau est véritablement mise en scène et que de nombreux propriétaires et municipalités françaises ou étrangères cherchèrent à reproduire, avec parfois de la maladresse dans l’application des préconisations ; aussi, c’est à la souplesse qu’Edouard André invite. C’est finalement sur place que se règlent le détail des cours d’eau, en traçant avec des piquets surmontés d’un papier bleu. Il faut notamment prêter attention au tracé en coupe des berges qui peut changer complètement l’ambiance d’une pièce d’eau en faisant varier la quantité de ciel réfléchi. L’eau est stratégique dans le jeu d’illusion sur l’étendue du parc. Édouard André précise que «  En plantant fortement les bords accidentés situés à l’extrémité d’une pièce d’eau opposée au spectateur, on la rapprochera de lui par la vigueur des tons qui se reflètent dans l’eau ; tandis que, en laissant les bords dépourvus de plantations, ils se perdront dans le vague d’une abondante lumière et reculeront la perspective »[7]. Le plus important est que « la main de l’ouvrier doit s’effacer, on ne doit plus la deviner lorsque les travaux sont terminés, peu de détails suffisent, mais ils doivent être bien étudiés »[8]. C’est donc dans un va-et-vient entre la recherche du naturel – il faut donc entendre du plausible dans la nature – et le calcul précis de l’effet attendu, que le paysagiste doit œuvrer pour sa composition.


[1] Cet article est tiré des recherches faites à l’occasion  d’un colloque en octobre 2008 organisé le Conseil général du Maine-et-Loire, « L’eau et les jardins en Anjou ».

[2] L’art des jardins. Traité général de la composition des parcs et jardins (TAJ), 1879. p. 172.

[3] Les documents présentés ici ont été pour la plupart consultés aux archives municipales d’Angers, grâce à l’amabilité de M. Bertoldi et de Mme XX que je remercie vivement ici, et aux archives départementales.

[4] A. M. Angers, O 1 604, s.a., 27 décembre 1904.

[5] TAJ, p. 304

[6] TAJ, p. 143

[7] TAJ, p. 143

[8] TAJ, p. 456


Parc de la Garenne St Nicolas, 1937-1941 : le fils

Tout autre est l’utilisation de l’eau à la Garenne St Nicolas, aux portes d’Angers. René André y compose un parc public au nord de la Maine, pour offrir aux citadins un vaste espace d’agrément dans un registre très naturaliste, qui met en valeur les caractéristiques physiques du site. Le parc de la Garenne Saint-Nicolas, progressivement agrandi au fur et à mesure que les parcelles ont été rachetées, et que les parcs des Carrières puis des Hayes ont été ajoutés, permet aujourd’hui encore de s’échapper de la ville. L’implication de René André pour le plan d’urbanisme d’Angers et dans le dossier de classement de l’Etang comme site pittoresque en 1932 lui ont permis de mesurer le potentiel d’un tel parc aux portes de la ville, lieu déjà approprié par les habitants, mais qu’il fallait cependant aménager pour en encadrer et sécuriser la fréquentation. René André est d’ailleurs fier du résultat, il le propose même au guide Michelin pour que soit ajouté le parc comme site remarquable. Il est intéressant de regarder le rapport que le parc entretient avec l’eau, autour de l’étang auparavant artificiellement créé à partir du lit du Brionneau et devenu le lieu de nombreuses activités : pêche, meunerie, blanchisserie, et, au XIXe, horticulture du côté de Belle-Beille…[9] Après des travaux impressionnants de mise en sécurité, mais minimalistes dans leur empreinte sur le site, le parc de la Garenne est inauguré le 14 juillet 1937. Les travaux continuent ensuite dans les autres parties : parc des carrières, Notre-Dame du Lac… René André s’occupe aussi des accès à l’étang, dessinant une terrasse et un port, et regardant le détail de l’allée autour du lac. Le tracé du chemin du bord de l’étang se fait au fur et à mesure.


 

 

 

 

 

La Garenne: Coin sauvage de l'etang

La Garenne: Miroir d'eau

La garenne: Au bord de l'eau

La garenne: Un chemin d'eau

La garenne
1: Coin sauvage de l'etang
2: Miroir d'eau
3: Au bord de l'eau
4: Un chemin d'eau


L’imaginaire romantique

Le parc a connu un succès immédiat, et il faudrait pouvoir lire ici toute la description qu’en fait Hebert de la Rousselière dans son Histoire des jardins d’Angers en 1947 pour comprendre l’attraction qu’exerce l’étang et combien il est central dans le parc[10]. Il passe en effet rapidement sur les aménagements qui ont été faits et qui ne semblent là que pour mettre en valeur l’étang, pour faciliter sa découverte et la rêverie. Depuis l’allée centrale, le promeneur est attiré : « Avançons, avançons, il semble que quelque chose d’invisible encore nous attire ! Nous voici rendus au bout. C’est lui ! L’étang ! L’étang dans sa plus grande largeur, encaissé entre deux collines boisées. Les vapeurs du brouillard en voilent un peu les eaux, laissant déjà filtrer quelques rayons du soleil. C’est le matin de Faust : « Déjà le monde s’ouvre à demi dans les lueurs du crépuscule, la forêt retentit d’une existence à mille voix ». […] Arrachons nous à cette vision et tournons à gauche par une allée descendante […]. « Cependant, à mesure que l’on descend, la verdure augmente, la fraîcheur de l’étang se faisant sentir. L’allée ombreuse nous le cache bientôt et il n’apparaît plus qu’à de rares intervalles à travers les branchages. Mais le chant saccadé des poules d’eau nous dit qu’il n’est pas loin ! […] Quelques pas encore, nous arrivons à l’entrée du tunnel creusé dans le roc pour permettre la promenade. L’étang apparaît alors dans toute sa beauté. Ce mâtin de Pâques, le spectacle vu d’en bas valait celui qui s’offrit à notre vue à l’allée supérieure. Le brouillard dessinait vraiment des spectres se promenant sur l’étang, et voici que tout à coup, glissant majestueusement sur cette eau calme, un cygne avançait lentement. Je songeais à sa vue au drame de Wagner. » C’est tout l’imaginaire romantique qui est ici convoqué, et l’étang joue le premier rôle. Les nombreuses photos qui accompagnent le texte montrent aussi l’étang, ainsi que le miroir créé dans les Carrières, mais passent également sous silence les nombreux aménagements faits pour l’eau, les plantations discrètes qui soulignent les berges, comme s’ils étaient tous naturels et concourraient finalement à la seule présence de l’étang.

 

Un joli clin d’œil

Chacun de ces parcs pourrait bien sûr faire l’objet d’études beaucoup plus détaillées, mais il semble que cette conjonction de parcs d’époques différentes par une même famille de concepteurs soit l’occasion de montrer l’évolution du métier de paysagiste et de leur vision de la nature. L’eau représente beaucoup plus, dans les jardins publics de la fin du XIXe, qu’un simple ornement d’agrément. L’époque marque en effet tout à la fois le triomphe de la science et des ingénieurs qui mettent en scène leur maîtrise technique, le règne de l’universalisme, qui veut faire connaître à tous les paysages et trésors des pays lointains et faire voyager les citadins à travers le parc public, et enfin l’engouement pour les sujets de salubrité, l’eau courante apportée aux citadins marquant un grand progrès sur les villes médiévales. Les édiles d’Angers voulaient donc s’inscrire dans ce mouvement de modernisation de la ville. L’appellation rivière anglaise apparaît en effet d’abord dans les courriers de la part de la Mairie, comme si c’était un des requis d’un parc public d’avoir sa rivière anglaise. Dans un jardin très ancien et composé de nombreuses essences intéressantes formant des bosquets qu’on demandait à Edouard André de conserver, la mise en œuvre et l’ordonnancement d’un tel projet requièrent cependant toute son habileté pour dépasser le côté convenu et réussir à créer un espace naturel et accueillant. De fait, le parc devient un pivot dans l’urbanisme de cette partie de la ville. Quant à l’étang Saint Nicolas, le paysagiste a été invité à composer un plan d’ensemble, mais c’est acquisition après acquisition, parc après parc que le système se voit compléter, que les articulations avec l’espace urbain doivent être inventées, le paysagiste s’effaçant derrière la force du site qu’il s’agit de révéler. L’eau du lac y est le point central, eau calme mais citée sous toutes ses formes dans le détail de chaque parc – cascade et étang à La Garenne, miroir d’eau dans celui des Carrières. Ce miroir nous semble un joli clin d’œil au vocabulaire du jardin classique, comme si le paysagiste devenu urbaniste adressait un signe aux générations des dessinateurs de jardins qui ont embelli les espaces des châteaux, et leur signifiait que les défis qui les attendaient se trouvaient maintenant dans les parcs publics, pour le bien-être de tous.


[8] TAJ, p. 456

[9] S. Bertoldi, « Leçon d’histoire dans un parc », Vivre à Angers, mai 2007.

[10] Lire p. 187 et suivantes.

 


 

 

1 thoughts on “L’eau, âme du paysage pour les André”

  1. Merci pour ces exemples des projets angevins. Je trouve que l’eau est un détail important dans l’aménagement paysager et j’aime l’idée que les eaux peuvent être l’âme du jardin. Chez moi, j’ai des étangs dans mon petit jardin. Avec ce que je viens d’apprendre, je vais faire en sorte qu’ils soient le centre du design.

Les commentaires sont fermés.