Le service des promenades et des plantations sous Alphand

Chiara Santini

La création du service des promenades et plantations de la Ville de Paris est l’une des initiatives les plus innovantes d’Haussmann. Consacrée à ce que le Préfet appelle dans ses Mémoires « les espaces verdoyants », la nouvelle administration joue un rôle fondamental dans les grands travaux d’aménagement de la capitale et dans la construction de l’image du Paris d’aujourd’hui.

Le square de Batignolles, réalisé par le Service dirigé par Alphand entre 1862 et 1863 – © C. Santini

Créés comme un service spécial de l’administration préfectorale, dépendant du « bureau des travaux d’architecture et des carrières », les « promenades et embellissements de Paris » sont confiés par Haussmann à Alphand en décembre 1854.
À cette époque, Alphand vient de quitter le département de la Gironde où il s’est occupé de différents travaux d’infrastructures territoriales, afin de se consacrer au chantier de renouvellement du bois de Boulogne. Le préfet écrit que, suite à cette nomination, dans les couloirs du ministère des Travaux publics* on plaisante beaucoup au sujet de l’ingénieur qui a accepté un poste de « jardinier ». Cependant, cette « raillerie » va bientôt se transformer en « envie ». Par arrêté du 28 février 1856, l’ingénieur ordinaire, venu de Bordeaux, est nommé à la direction du tout nouveau service des promenades et plantations, avec des fonctions d’ingénieur en chef et secondé par deux autres ingénieurs, Jean Darcel et Alfred Foulard.
Alphand conduit une équipe dont la direction est composée de six architectes, dirigés par Gabriel Davioud, et trois jardiniers dont un jardinier en chef – Jean-Pierre Barillet-Deschamps – et un jardinier principal – Édouard André – (entre 1860 et 1868). Le domaine de compé­tence du nouveau Service concerne tous les projets de jardins et plantations de la ville, du cœur historique aux deux prome­nades extra-urbaines, les bois de Boulogne et de Vincennes.

*Tous les ingénieurs des Ponts et Chaussées dépendaient du ministre des Travaux Publics qui pouvait les détacher à l’administration municipale

Un chantier monumental

En 1856, Alphand se retrouve ainsi à la tête de l’administration chargée de concevoir et de gérer le paysage du nouveau Paris et dont les effectifs ne cessent de s’accroître tout au long du second Empire. Des bois aux jardins historiques hérités de l’Ancien Régime (les Tuileries, le Palais-Royal, le Luxembourg, le parc Monceau), des nouveaux jardins des Buttes-Chaumont et Montsouris aux vingt-quatre squares distribués dans tous les quartiers de la ville, des plantations d’alignement aux cime­tières, des jardins d’écoles aux places, le Service administre un chantier monumental qui demande des savoirs et savoir-faire spécialisés et des livraisons de plantes de plus en plus impor­tantes. Pour répondre à ces exigences, entre 1867 et 1868, la Ville met en place un cours de formation pour jeunes hor­ticulteurs et une école d’arboriculture confiée à la direction du célèbre horticulteur Alphonse Du Breuil*. En outre, pour compléter la production du Fleuriste de la Muette, créé en 1855 et consacré aux plantes d’ornement, de nouveaux établisse­ments voient le jour : la pépinière de Longchamp (1856) pour les arbres et les arbustes à feuilles caduques, la pépinière de la Mare d’Auteuil (1859) pour les conifères et le Fleuriste de Vincennes (1865). À la fin du second Empire, ces établisse­ments arrivent à fournir les jardins et les promenades plantées de la ville avec des millions de plantes dont une importante partie exotique, acclimatées et reproduites en serre**.

*Il s’agit de l’actuelle École Du Breuil, dans le bois de Vincennes
** C.A. Alphand, Les promenades de Paris, Paris, J..Rothschild, 1867-73, p..125-148.

Vue à vol d’oiseau du Parc de Monceaux. Entrée du côté du Boulevard de Malesherbes. Extrait de l’ouvrage Les promenades de Paris d’Adolphe Alphand, 2 vol., Paris, J. Rothschild, 1867-1873 – © Fonds ancien de l’ENSP

Le rôle fédérateur des Promenades

En 1867, en correspondance avec les importants travaux dans lesquels la municipalité s’est engagée pour l’Exposition uni­verselle, le service des promenades et plantations et celui de la Voie publique sont réunis dans la même administration dont Alphand prend la direction.
Cette mesure est très importante car elle traduit à l’échelle de la ville la démarche de projet que les ingénieurs des Ponts et Chaussées appliquent depuis longtemps aux grands chantiers territoriaux : l’appréhension de l’espace public dans sa dimension globale, résultat de l’articu­lation des différents réseaux d’infrastructures (les plantations, l’éclairage, la voirie, etc.). De plus, elle attribue aux Promenades et plantations un rôle fédérateur au sein de l’administration municipale. C’est en quelque sorte à partir de la « nature » que désormais la Ville pense l’organisation de l’espace public.

La ville et ses réseaux. Coupe du Bd. Saint-Germain par K. Fichot et F. Meaulle. Extrait de l’ouvrage L’art des jardins d’Alfred Auguste Ernouf,
(troisième édition avec le concours d’A. Alphand), Paris, J. Rothschild, 1886 – © Fonds ancien de l’ENSP

Les deux tiers des espaces verts du Paris d’aujourd’hui

L’arrêté préfectoral de 1867 n’est que la première étape d’un processus de réorganisation des services municipaux qui conduit à la création, en 1871, de la Direction des Travaux de Paris. Elle réunit, toujours sous les ordres d’Alphand, les services des Promenades et plantations, de la Voie publique, du Plan, de l’Éclairage, d’Architecture et, à partir de 1878, celui des Eaux et Égouts : en un mot l’intégralité de l’espace public de la capitale.

La continuité, assurée par Alphand dans la direction des travaux municipaux, permet au service des promenades et plantations de jouer un rôle central dans la transformation de la capitale. Si l’on considère les deux bois, plus de deux tiers des espaces verts du Paris d’aujourd’hui ont été créés sous son administration. En franchissant l’enclos du jardin public, Alphand a appliqué la pensée paysagère à la planification de la ville tout entière.