Le génome et l’épigénome de la pomme décodés*

Etienne Bucher

La pomme est un des fruits les plus consommés au monde. Elle représente une production de 84,6 millions de tonnes chaque année. Afin de sélectionner plus efficacement les nouvelles variétés de pommiers, il est indispensable d’avoir accès à un génome de haute qualité. Il est ainsi possible d’effectuer des études génétiques et épigénétiques indispensables à l’identification de gènes clés impliqués, par exemple, dans la qualité du fruit ou dans la résistance aux maladies. Un succès qui se décrypte en trois étapes.

*Une publication dans Nature Genetics du 5 juin 2017 :
Étienne Bucher, Jean-Marc Celton et Nicolas Daccord. High Quality de Novo Assembly of the Apple Genome and Methylome Dynamics of Early Fruit Development, 2017. Nature Genetics, 49, 1099-1106.

Voir lexique en bas d’article

Photo 1 : Corymbes floraux du double haploïde DH13 – © Étienne Bucher

Premier séquençage du génome du pommier domestique réalisé en 2010

Un consortium international de recherche, auquel a contribué l’Inra Angers, a réalisé le séquençage d’un premier brouillon du génome du pommier domestique (Malus domestica) en 2010, avec le décryptage d’une séquence de 740 millions de paires de bases (plus de 60 000 gènes identifiés)1.

Ce travail a permis l’obtention d’une première ébauche de génome. Celui-ci contenait néanmoins de nombreuses erreurs et ne mettait pas en évidence les portions du génome comprenant les éléments transposables, limitant ainsi son utilité pour nombre d’études génomiques et épigénétiques.

Utilisation d’un pommier double haploïde ‘Golden Delicious’

Le pommier double haploïde ‘Golden Delicious’ a été créé en 1988 à l’Inra d’Angers par l’équipe d’Yves Lespinasse (photos 1 et 2). Il représente une ressource formidable pour la génomique et l’épigénomique qui n’avait pas été exploitée jusqu’à présent. En effet, le pommier ne s’autoféconde pas, sauf rares exceptions. Ses chromosomes contiennent donc l’équivalence de deux génomes, ceux de chacun des deux parents. Le double haploïde ne contient que l’équivalence d’un seul génome sous la forme de deux copies identiques, ce qui facilite ainsi grandement la tâche de décodage et de séquençage du génome du pommier2.

2 https://www.jardinsdefrance.org/plantes-haploides-de-pommier-de-poirier-mystere-devoile/
Photo 2 : Arbre en serre du double haploïde DH13 – © Étienne Bucher

Un consortium de chercheurs à l’oeuvre

Afin de décoder la quasi-totalité du génome de la pomme, Étienne Bucher et son équipe EpiCenter de l’unité IRHS (Inra – Agrocampus Ouest – Université d’Angers) ont monté et coordonné un consortium international réunissant des chercheurs en France, en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Afrique du Sud. En combinant les dernières technologies de séquençage de la molécule ADN à celles de la cartographie des chromosomes, le consortium a pu obtenir un génome de très haute qualité. En s’appuyant sur une carte génétique à haute densité de marqueurs, ce génome a pu être assemblé en 17 pseudo-molécules, représentant les 17 chromosomes du pommier. D’une taille totale de 649,3 millions de paires de bases (nucléotides) assemblés en 280 fragments, ce génome comporte 42 140 gènes.

Fruits de ‘Golden Delicious’ des doubles haploïdes DH13 et DH18 (de gauche à droite), puis coupes de ces mêmes fruits – © Jean-Marc Celton

Pour quoi faire ?

Ce résultat a permis aux chercheurs d’identifier des réarrangements importants qui se sont produits dans le génome de la pomme il y a environ 21 millions d’années. Ces changements pourraient être dus à l’émergence des montagnes de Tian Shan (Kazakhstan), la région d’origine de la pomme. Ces évènements géologiques et environnementaux auraient contribué à l’évolution contrastée de l’ancêtre commun du pommier et du poirier, et à l’évolution de la pomme et de la poire telles qu’on les connaît aujourd’hui.

Avec ce génome de très haute qualité, les chercheurs ont pu conduire des études épigénétiques (la transmission d’informations indépendamment de la séquence de l’ADN). Cela leur a permis de mettre en évidence que des variations épigénétiques peuvent influencer le développement du fruit à travers l’expression différentielle de certains gènes. En effet, l’épigénétique semble avoir un impact direct sur le calibre du fruit (page ci-contre en haut). Comparés au calibre du fruit de ‘Golden Delicious’, à maturité identique, celui du double haploïde (DH) peut varier fortement : l’arbre DH18 présente un calibre de fruit nettement plus petit que celui de l’arbre DH13. Les génomes des deux arbres (DH) étant quasi identiques, il ne peut s’agir que d’un effet épigénétique. Dans de futures études, les chercheurs poursuivront leurs recherches pour tester si l’épigénétique peut aussi influencer d’autres caractères importants comme la couleur du fruit et, à plus long terme, la résistance aux pathogènes.

Ce génome est un outil indispensable pour toute la communauté travaillant sur l’amélioration de la pomme : il va notamment permettre d’accélérer la création de nouvelles variétés plus résistantes pour réduire l’utilisation de pesticides.

Partenaires

Ce projet a été financé par la Région Pays de la Loire (bourse ConnecTalent), Angers Loire Métropole, l’Université d’Angers, l’Inra, le projet européen FruitBreedomics, la Provincia autonoma di Trento, la Max Planck Society et la Deutsche Forschungsgemeinschaft.

Lexique

*L’épigénome est l’ensemble des modifications épigénétiques d’une cellule.

*Génome de la pomme : l’ensemble du matériel génétique contenu dans les 17 chromosomes de la pomme, ou ensemble des gènes de la pomme.

*Épigénétique : l’épigénétique se définit par la transmission de l’état d’expression d’un gène (exprimé ou réprimé) d’une génération à l’autre, indépendamment des différences génétiques (de la séquence ADN). Chez les plantes, la méthylation de l’ADN le long des chromosomes est la marque épigénétique la plus importante car des modifications de cette marque peuvent entraîner des variations dans l’expression des gènes. https://www.jardinsdefrance.org/ lepigenetique-contributeur-dexpression/

*Double haploïde : individu dont les deux copies du génome sont identiques pour la totalité des gènes.

*Nucléotide : molécule organique qui est l’élément de base de l’ADN.