L’art de la littérature horticole : l’éditeur Jules Rothschild

Chiara Santini

« Que l’appui et les sympathies des amis de l’horticulture, en France, nous soutiennent et nous parviendrons, nous l’espérons du moins, à élever cette branche intéressante de la littérature au niveau de l’art aimable dont elle a pour objet de propager la connaissance et le goût. »   J. Rothschild, 1865

L’éditeur Jules Rothschild (1838-1900) fut l’un des acteurs principaux des publications sur l’art des jardins et l’horti­culture entre second Empire et Troisième République. Si aujourd’hui il est connu principalement pour la monographie Les chats (1869) illustrée par Delacroix, Manet, Viollet-le-Duc, etc., à son époque, en revanche, il dominait le marché grâce à des «.best-sellers.» comme Les promenades de Paris (1867-1873) d’Adolphe Alphand ou L’art des jardins d’Alfred Auguste Ernouf (1868).

Le succès de ces livres, qui ont participé à la renommée internationale des nouveaux espaces verdoyants parisiens, s’explique probablement par les relations privilégiées que Jules Rothschild entretenait avec des personnalités très influentes du service des promenades et plantations, Adolphe Alphand tout d’abord, mais également Édouard André et Jean-Pierre Barillet-Deschamps*, ainsi que des botanistes illustres tels Joseph Decaisne et Charles Naudin.

*Ont été publiés par J. Rothschild, par exemple : E. André, Le mou­vement horticole en 1865 (1865) et Les plantes à feuillage ornemental (1866) ; J.-P. Barillet-Deschamps, Les Pensées. Histoire, culture, multi­plication, emploi (1869).

Devenir un libraire de référence

Originaire de la ville de Hofgeismar, en Allemagne, Jules Rothschild ( Jules Rothschild n’a aucun lien de parenté avec la famille des banquiers ) se forme à Paris auprès de la fameuse maison Firmin-Didot. Autour de 1861, après avoir ouvert une pre­mière librairie spécialisée en sciences naturelles à Leipzig en Saxe, il en inaugure une deuxième au 41 de la rue du Bac, au cœur du quartier parisien des éditeurs. Peu de temps après, il commence à se parer du titre de « Libraire de la Société Botanique de France », probablement grâce au soutien de Decaisne qui l’apprécie. C’est en effet à ce dernier que Rothschild dédie en 1865 la première édition française des Plantes à feuillage coloré des anglais E. J. Lowe et W. Howard. Traduit avec le concours de plusieurs horticulteurs, le livre est introduit par Charles Naudin. Au-delà de la richesse des conte­nus et du corpus iconographique, Les plantes à feuillage coloré revêt un intérêt particulier car il affiche clairement l’ambition de Rothschild à devenir l’un des libraires de référence dans le domaine. Il représente la première étape de l’ambitieux projet de traduire en français les plus importants ouvrages étrangers d’horticulture et il témoigne également des relations que le libraire a commencé à entretenir avec la municipalité pari­sienne, notamment avec Alphand.

Les promenades de Paris

En 1867, le livre de Lowe et Howard est réédité dans une ver­sion revue et augmentée en deux volumes avec une dédicace à « l’ingénieux artiste qui a inauguré une ère nouvelle dans la Jardinique ornementale ». Cette même année, Rothschild publie le premier fascicule d’une œuvre à laquelle lui et Alphand travaillent depuis deux ans : Les promenades de Paris. Initialement conçu comme un petit in-4, Les promenades sont finalement publiées sous le format de 96 fascicules in-folio distribués par livraisons entre 1867 et 1873. Une fois paru le dernier fascicule, l’œuvre est complétée par une introduction historique sur l’art des jardins et publiée en deux volumes richement reliés (1873)*. Pendant les différentes phases de la rédaction, Rothschild entretient avec Alphand et ses collabo­rateurs des échanges réguliers qui touchent non seulement au contenu textuel et au corpus iconographique mais également aux aspects matériels et esthétiques de l’ouvrage.

*Sur l’histoire éditoriale de Les promenades de Paris voir : C. Santini, « De la science et de l’art du paysage urbain. Les pro­menades de Paris (1867-1873), traité d’art des jardins publics.», actes de la journée d’études Jean-Charles Adolphe Alphand et le rayonnement des parcs publics de l’école française du XIXe siècle, Paris, 22 février 2017

Couverture du volume de texte d’Adolphe Alphand Les promenades de Paris, 2 vol., Paris, J..Rothschild, 1867-1873 – © Fonds ancien de l’École nationale supérieure de paysage de Versailles-Marseille (ENSP)
Frontispice du volume des tables d’Adolphe Alphand, Les promenades de Paris, 2 vol., Paris, J. Rothschild, 1867-1873 – © Fonds ancien de l’ENSP

Une production fleurissante

Le succès obtenu par Les promenades, présentées aux exposi­tions universelles de Vienne (1873), Londres (1874), Bruxelles (1876) et Paris (1878), contribue grandement à la renommée de Jules Rothschild et lui vaut d’importantes collaborations. Entre 1876 et 1883, il publie, par exemple, Les travaux publics de la France, une œuvre en cinq tomes consacrée aux nouvelles réalisations dirigées par les ingénieurs des Ponts et Chaussées et, entre 1892 et 1895, les deux volumes sur l’Exposition universelle de 1889 initialement confiés à Alphand. En ce qui concerne les sciences horticoles, il privilégie la littérature relative aux politiques forestières et aux arbres d’alignement. Après avoir pris ouvertement position contre le projet d’alié­nation des forêts de l’État (1864), il publie plusieurs ouvrages sur l’aménagement des forêts et rachète, en 1886, la Revue des Eaux et Forêts. Cette production fleurissante est couronnée par l’obtention de la citoyenneté française (décret de Napoléon III du 11/12/1867) et de nombreuses reconnaissances comme la Croix de la Légion d’honneur (1878) ou la première médaille décernée à la librairie par le Prix de l’Exposition de la Société impériale et centrale d’horticulture de France (1865).

Frontispice d’Adolphe Chargueraud, Traité des plantations d’alignement et d’ornement dans les villes et sur les routes départementales, Paris, J. Rothschild, 1896 – © Fonds ancien de l’ENSP

Rothschild-Alphand : un lien de trente ans

Dès leur première rencontre en 1862, Jules Rothschild et Alphand ont noué une collaboration de longue haleine dont profiteront aussi d’autres auteurs. C’est le cas, par exemple, du baron Ernouf dont la troisième édition de L’art des jardins (1886) sera complétée par le texte de l’introduction historique des Promenades de Paris. Pour perpétuer en quelque sorte ce lien tissé durant trente ans, Rothschild écrit peu de temps après le décès d’Alphand (1891) à son fils aîné afin de lui pré­senter son projet d’une biographie sur son père, à partir des témoignages de ses collaborateurs. Mais cette initiative, hélas, n’aboutira pas.