La tomate, les défis du goût

Géraud Chabriat

Cœur de bœuf ou cerise ? Croquante ou fondante ? Sucrée ou acide ? Vous l’aimez comment votre tomate ? La question suscite des réponses aussi variées que tranchées. Elle illustre bien une des difficultés majeures de l’amélioration de la qualité sensorielle (ou organoleptique) des fruits et légumes : comprendre, en parallèle du fonctionnement de la plante, les perceptions et les attentes des consommateurs afin d’orienter les pistes de recherches.

 

La tomate, une diversité qui fait l’objet de nombreuses études dans le monde - © E. Geoffriau, InraLa tomate, une diversité qui fait l'objet de nombreuses études dans le monde - © E. Geoffriau, Agrocampus Ouest

Comment retrouver le plaisir simple de manger des fruits et légumes savoureux ? Dans cette quête qui mène de la sensation à la consommation, la tomate tient un rôle à part. Il va bien au-delà de son importance dans notre régime alimentaire. 
Pour la communauté scientifique internationale, elle est en effet devenue le modèle d’étude qui sert à comprendre les bases biologiques très complexes des caractères de qualité aussi bien chez ses espèces cousines que pour tous les fruits charnus. Cette importance scientifique est reflétée par l’ampleur du dispositif pluridisciplinaire consacré par l’Inra à la qualité sensorielle de la tomate….


 

Une production en nette progression

Peu à peu, la tomate a réussi à s’imposer dans notre quotidien et nous désirons maintenant toute l’année celle qui est longtemps restée la reine de l’été. Mais cette victoire a eu un prix. Pour satisfaire nos besoins hors saison, il a fallu adapter la production aux climats moins ensoleillés et aux jours plus courts : la culture sous abri en hors-sol représente désormais 60 % des volumes. Les Hollandais ont été des pionniers en la matière. Autre solution, faire venir les tomates de régions plus lointaines au climat adapté. Ce qui a entraîné de nouvelles contraintes en matière de fermeté des fruits. Contraintes encore renforcées par les impératifs de conservation de la grande distribution. Les sélectionneurs ont trouvé la solution au début des années 1990 à la faveur d’une mutation génétique naturelle qui ralentit la maturation du fruit. C’est grâce à elle qu’ont été créées les variétés dites « long life » pouvant se conserver trois semaines, dont la fameuse « Daniela » qui a rapidement colonisé les étals.

 

La quantité au détriment de la qualité

Or, ces tomates souffraient d’un péché originel. Déjà peu favorable à l’expression des arômes et à une bonne texture, cette mutation inhibitrice de la maturation a été introduite dans des variétés aux qualités gustatives médiocres.  Résultat : fadeur d’une partie croissante de la production et baisse du sentiment de naturalité due à la culture sous serre en hors-sol, ont peu à peu dégradé l’image de la tomate dans la population. Phénomène auquel s’est ajoutée la banalisation d’un produit présent toute l’année qui ne crée donc plus la même envie que quand il se faisait attendre huit mois.

 

La tomate "coeur de boeuf" est très à la mode - © J.-F. Coffin

La tomate "coeur de boeuf" est très à la mode - © J.-F. Coffin

Retrouver du plaisir à déguster les tomates !

La notion de plaisir est bien complexe à caractériser et c’est bien aux préférences des consommateurs qu’il s’agit de répondre. « Pour la tomate, nous avons réalisé une cartographie des préférences dans trois pays, l’Italie, la Hollande et la France. Il est apparu que la saveur, principalement le ratio sucre-acide et la texture sont très importants. D’autre part, l’apparence influence aussi la satisfaction générale. Des résultats surprenants nous ont conduits à conclure qu’il y avait moins d’écarts de préférences entre les pays qu’entre les classes de consommateurs de ces mêmes pays », explique Mathilde Causse de l’unité Inra Génétique et amélioration des fruits et légumes (GAFL). En effet, quatre catégories de consommateurs se retrouvent dans chaque pays. Ainsi, on distingue les « gourmets », plus nombreux, qui aiment les tomates gustatives et juteuses, les « traditionalistes », sensibles à la texture fondante et aux arômes des tomates côtelées anciennes, les « classiques » qui prisent les tomates fermes, rondes mais sucrées et enfin, les « indifférents » qui n’ont pas d’avis marqué et ont tendance à rejeter les nouveautés.

 

Peaufiner les techniques d’analyses

La qualité organoleptique de la tomate fait référence à tous les sens qu’elle met en éveil. En plus de l’aspect extérieur, elle est définie par les saveurs perçues au niveau de la langue (acide, sucré, salé, amer), les arômes perçus par voie rétronasale (citron, bonbon, tomate verte, pharmaceutique…) et la texture (peau croquante, fruit ferme, fondant, juteux…). Malgré des avancées sur les mécanismes de la perception du goût et de la qualité organoleptique en général, c’est encore son expression par l’homme lui-même qui reste le meilleur outil pour les évaluer. Depuis des années les chercheurs, les centres techniques et les sélectionneurs peaufinent les techniques de l’analyse sensorielle afin d’objectiver les caractéristiques d’un produit aussi bien qualitativement que quantitativement. La tâche n’est pas facile. En effet, comme des sportifs de haut niveau, les jurys experts chargés de décrire un produit doivent s’entraîner assidûment. La capacité à reconnaître certains arômes ou saveurs ne s’improvise pas. Par exemple, afin d’évaluer l’aspect sucré, les experts dégustent des solutions diluées plus ou moins sucrées et doivent les remettre dans l’ordre. Au vu du nombre de paramètres qui entrent en jeu dans la description d’un produit, on comprend que la technique est longue et coûteuse. C’est pourquoi, les chercheurs tentent en parallèle de mettre au point des outils d’analyse physico-chimique qui permettent de prédire les résultats d’une analyse sensorielle avec une bonne corrélation.


 

Des tests hédoniques

Une fois les caractéristiques organoleptiques décrites, il faut ensuite découvrir leurs places dans les préférences des consommateurs. C’est le rôle des tests hédoniques. Les panels sont constitués de plusieurs centaines de consommateurs représentatifs. Ces derniers goûtent plusieurs types de tomates et donnent une note de satisfaction générale sur une échelle de 1 à 10. Des études statistiques permettent ensuite de développer une « carte des préférences » qui va dévoiler des classes de consommateurs adeptes de tel ou tel produit. En ce qui concerne les fruits et légumes, il s’agit là de la base de futurs programmes de sélection qui prendront la qualité organoleptique en compte. Pour les chercheurs et les sélectionneurs, l’existence de ces catégories est plutôt une bonne nouvelle car elle permettra de rendre économiquement possible la construction d’idéotypes variétaux à même de satisfaire le plus grand nombre…

 

Les tomates présentent un intérêt nutritionnel majeur - © Inra

Les tomates présentent un intérêt nutritionnel majeur - © Inra

Conserver et augmenter les bienfaits de la tomate

La vitamine C, les polyphénols, le lycopène… jouissent d’une grande attention de la part des chercheurs. Ces molécules sont qualifiées de métabolites secondaires parce qu’elles ne font pas partie du métabolisme primaire vital de la plante : production des protéines, des lipides, des glucides ou des acides aminés. Elles présentent un double intérêt. La plante les sécrète pour se défendre contre de nombreux facteurs de stress (hydrique, lumineux, carence azotée, parasite…) ; elles interviennent donc dans la protection des cultures. Elles présentent aussi un intérêt nutritionnel majeur car beaucoup de ces métabolites secondaires ont des propriétés antioxydantes qui peuvent également protéger l’être humain. Au vu de son importance avérée pour la santé humaine, la vitamine C est la plus étudiée. D'après les travaux de nombreuses unités de recherche[1] de l'Inra, la teneur en vitamine C est apparue très liée à la résistance au froid, elle-même associée à la texture du fruit. Le "stress froid" entraîne en effet une perte de la fermeté du fruit. Une valeur santé améliorée Or la vitamine C, en influant sur la nature des molécules qui forment les parois des cellules du fruit, permet de limiter ce phénomène. En plus de l’aspect nutritionnel, le contrôle génétique de cette vitamine devient donc aussi un enjeu pour la filière qui conserve souvent les fruits à des températures susceptibles d’affecter leur fermeté. Connus pour leurs effets bénéfiques sur la santé, les polyphénols font aussi l'objet d'études. Des chercheurs de l'Inra de Nantes et Nancy[2] ont analysé la production de ces molécules dans des conditions de carence azotée. « Nos résultats sur les parties végétatives conduisent à penser que, pour augmenter la teneur en polyphénols, le stress azoté peut conduire aux mêmes résultats que l’ingénierie métabolique par transgénèse », explique Frédéric Burgaud, directeur du Laboratoire agronomie et environnement à l'Inra Nancy. « A l’avenir nous pensons appliquer des carences brèves et ciblées à certains stades de développement afin de pénaliser le moins possible les rendements ». Ces résultats pourraient avoir des applications à la fois en matière de production intégrée des cultures et de fruits à la valeur santé améliorée….

COMMENT RETROUVER LE GOUT DE NOS TOMATES ?

et si le mode de conservation jouait un role ?

Une étude menée par l’unité Sécurité et qualité des produits d'origine végétale de l’Inra PACA à Avignon apporte des solutions simples pour garder tout leur goût aux tomates achetées.  
Les chercheurs ont montré qu’une conservation au froid à 4 °C induit une perte importante - jusqu’à 2/3 - des composés volatils qui contribuent au goût en bouche de la tomate. Alors qu’à température ambiante, soit 20 °C, ces mêmes composés se développent. Il est même possible de restaurer ces arômes si l’on a fait passer un court séjour au réfrigérateur à ses tomates (moins d’une semaine) en les replaçant à température ambiante 24 h avant consommation.
De manière générale, le mode de conservation n’a pas beaucoup d’impact sur les propriétés physico-chimiques de la tomate. Mais les composés volatils qu’elle contient et qui contribuent à la perception sensorielle en bouche sont sensibles aux différences de température.
Patricia Léveillé d'après Service de presse Inra

 

Extrait de l’article de Géraud Chabriat, de l’Inra.

Retrouvez l’intégralité du dossier tomate sur www.inra.fr/Grand-public/Alimentation-et-sante/Tous-les-dossiers/Tomate


[1] Biologie du fruit, Inra Bordeaux ; Génétique et amélioration des fruits et légumes, Inra Avignon ; Sécurité et qualité des produits d'origine végétale, Inra Avignon et Biopolymères, interactions et assemblages, Inra Nantes.

[2] Laboratoire agronomie et environnement, Inra Nancy ; Plantes et systèmes horticoles, Inra Bordeaux.

 

JdF 626, novembre-décembre 2013