La résistance aux maladies et la qualité chez la carotte

Les producteurs veulent des carottes résistantes aux maladies. Les consommateurs souhaitent des carottes qui aient du goût et qui soient peu amères. Le sélectionneur peut-il répondre aux attentes de chacun ?

© HandmadePictures

 

Critères de sélection de la carotte et attentes des consommateurs

Figure n° 1 : Récolte mécanique des racines de carotte par préhension des fanes © V. Le Clerc

Comme toutes les autres espèces cultivées, la carotte n’échappe pas à son cortège de ravageurs et de maladies foliaires et racinaires. Parmi elles, l’alternariose, causée par le champignon pathogène Alternaria dauci, est responsable de la maladie foliaire la plus préjudiciable au niveau mondial. Les brûlures foliaires engendrées sont telles qu’elles peuvent empêcher la récolte mécanique des racines qui se fait par préhension des fanes (Figure n° 1). Les producteurs souhaitent des variétés résistantes leur permettant de s’affranchir au maximum de l’utilisation de fongicides de synthèse.

Les sélectionneurs de carotte travaillent depuis de nombreuses années sur cette problématique, en collaboration avec les chercheurs, pour identifier les zones du génome impliquées dans la résistance à A. dauci. Les études ont montré que plusieurs zones (QTL) localisées sur différents chromosomes interviendraient dans cette résistance et que certains métabolites spécialisés, dont des terpènes, participeraient de cette résistance (Koutouan et al., 2018 ; Le Clerc et al., 2019). Les consommateurs sont quant à eux demandeurs de carottes qui soient goûteuses, sucrées et juteuses tandis que a principale cause de rejet est liée à une trop forte perception amère (Navez et al., 2015).

L’amertume est complexe à caractériser car de nombreux composés organiques volatiles, type terpènes ainsi que des polyacétylènes notamment, seraient responsables de cette perception. L’accumulation de ces composés est sous dépendance, à la fois du génotype et de l’environnement. Si les conditions environnementales restent délicates à maîtriser, puisque la culture se fait en plein champ, les sélectionneurs peuvent envisager de travailler le volet génétique en répondant aux questions suivantes : Quelles sont les zones du génome impliquées dans l’accumulation des terpènes et des polyacétylènes liés à la perception amère ? Ces zones sont-elles les mêmes que celles qui sont responsables de la résistance de la carotte à Alternaria dauci ?

La réponse à ces questions est déterminante pour que le sélectionneur puisse orienter son travail d’amélioration et proposer des variétés qui présenteront un haut niveau de résistance vis-à-vis du champignon, tout en limitant le degré d’amertume des racines de carotte.

Lorsque les fanes sont brûlées par les attaques du champignon, la récolte est rendue impossible © V. Le Clerc

 

La perception amère : métabolites en cause et zones du génome impliquées

Un panel de variétés ainsi qu’une population en ségrégation présentant différents niveaux de résistance ont été évalués au
champ sur plusieurs années, entre 2014 et 2018, à la fois pour leur niveau de résistance et pour leur teneur en terpènes et en polyacétylènes. Le panel de variétés et quelques descendants de la population ont également été soumis à l’appréciation d’un panel de dégustateurs en réalisant des tests d’analyse sensorielle permettant ainsi d’évaluer, entre autres, la perception amère des génotypes (Figure n° 2).

La confrontation des données d’analyses biochimiques et sensorielles a mis en évidence l’implication d’une dizaine de métabolites de types terpènes et polyacétylènes dans la perception amère des racines de carotte, confortant ainsi les résultats obtenus précédemment par d’autres études.

Afin d’identifier les zones du génome impliquées dans l’accumulation de chacun de ces métabolites, des analyses biochimiques ont été effectuées sur environ 150 descendants de la population en ségrégation permettant d’évaluer, pour chacun, la teneur de ces dix métabolites.

La recherche de mQTL, c’est-à-dire de QTL de métabolites, en d’autres mots, des zones du génome impliquées dans l’accumulation de ces dix métabolites, a été réalisée en rapprochant les données génotypiques de chaque descendant avec les données biochimiques. Il en ressort que plusieurs zones du génome interviennent dans l’accumulation de ces terpènes et polyacétylènes, certaines zones constituant des « hot-spots », c’est-à-dire des zones codant simultanément pour l’accumulation de plusieurs métabolites (cf. encadré).

Figure n° 2 : L’évaluation sensorielle par un panel de dégustateurs entraînés a permis d’apprécier le niveau d’amertume de chaque génotype de carotte © V. Cottet – CTIFL

Des variétés résistantes ou des variétés qui ont « bon goût »: doit-on choisir ?

La sélection pour des caractères d’intérêt étant un processus complexe et laborieux, les sélectionneurs travaillent souvent, par leur évaluation au champ, tous caractères confondus en privilégiant les caractères facilement mesurables (rendement, aspect, état sanitaire). La recherche de QTL intervenant dans le déterminisme de plusieurs de ces caractères permet notamment, par l’étude des colocalisations entre tous ces QTL (ici QTL de résistance et QTL d’accumulation de métabolites liés à la perception amère) d’identifier les zones à privilégier par le sélectionneur pour espérer augmenter le niveau de résistance des génotypes tout en évitant les zones « à risques », en l’occurrence ici, celles qui régissent l’accumulation des terpènes et des polyacétylènes accumulés dans la racine.

La Sélection assistée par marqueurs (Sam) par la prise en compte des marqueurs flanquant les zones d’intérêt constitue un bel outil pour le développement de variétés résistantes, tout en assurant une qualité gustative. On peut donc espérer développer des variétés de carottes répondant à la fois aux attentes des producteurs et des consommateurs !

 

Valérie Le Clerc
Maître de conférences à Agrocampus Ouest, Angers et chercheur à l’IRHS, équipe QuarVeg

 

(1*) https://www6.angers-nantes.inrae.fr/irhs/Recherche/Qualite-et-resistance-aux-bioagresseurs-des-especes-legumieres

 

RÉFÉRENCES

Koutouan, C., Le Clerc, V., Baltenweck, R., Claudel, P., Halter, D., Hugueney, P., Hamama L., Suel A., Huet S., Bouvet-Merlet M.H.,

Briard, M. Link Between Carrot Leaf Secondary Metabolites and Resistance to Alternaria dauci. Sci rep 2018;8:1-14

Le Clerc, V., Aubert, C., Cottet, V., Yovanopoulos, C., Piquet, M., Suel, A., Huet S., Koutouan C., Hamama L., Chalot G, Jost M., Pumo B., Briard M. Breeding for Carrot Resistance to Alternaria dauci without Compromising Taste. Mol breed 2019;39:59

Navez, B., Cottet, V., Villeneuve, F., Jost, M., Latour, F., Huet, S., Geoffriau, E. French Consumer Preferences Reveal a Potential for Segmentation in Carrots. Acta Hortic 2015;1091:45-51

CIBLAGE DES ZONES CODANT LE MÉTABOLISME DE LA CAROTTE

Chaque barre verticale noire (« échelle ») représente un chromosome de la carotte. Parmi les neuf paires de chromosomes qu’elle compte, huit hébergent des QTL de résistance de la carotte à Alternaria dauci (bâtons verts) et/ ou des mQTL (ronds violets et roses), c’est-à-dire des zones du génome impliquées dans l’accumulation de terpènes ou polyacétylènes, responsables du goût amer des carottes.

Le sélectionneur peut cibler les zones en vert pour les « introgresser », c’est-à-dire les introduire dans de nouveaux génotypes afin d’augmenter leur niveau de résistance, mais il lui faut éviter les zones en rouge qui, certes, interviennent aussi dans la résistance mais également dans l’augmentation de la teneur en métabolites liés à la perception amère.