La phytoépuration : la nature pour dépolluer les eaux

Nathalie Korboulewski

Lorsqu'on évoque le traitement des eaux usées, la première image qui vient à l'esprit est celle d’une station d'épuration. Ces systèmes classiques et intensifs ne sont pas toujours adaptés aux contraintes économiques et techniques des petites et moyennes industries, des petites collectivités, des exploitations agricoles et des particuliers. Des systèmes dits "extensifs", telle la phytoépuration, caractérisés par de faibles contraintes d'exploitation se sont ainsi développés.

Lagunage


La phytoépuration est une technique de phytoremédiation  mettant à profit des processus naturels pour le traitement d’effluents tels que les eaux usées et les boues liquides. Les systèmes extensifs ne sont pas récents puisque dans le passé, les mares étaient souvent utilisées pour l’épuration des eaux usées. Vers les années 50, des recherches ont mis en évidence le rôle épurateur des marais naturels vis-à-vis des nutriments et bactéries coliformes, contenus dans les effluents. Le lagunage est apparu dans les années 1970, puis les lits d'infiltration-percolation sur sable . Un autre système apparenté mais plus récent (1980) se compose de filtres plantés de roseaux. Il existe plusieurs dénominations pour ces systèmes : filtres plantés de macrophytes, filtres plantés de roseaux, marais artificiels, ou encore filtres végétalisés auxquels on peut ajouter une terminologie spécifique aux constructeurs (Phragmifiltre®, Bambou-assainissement®, Jardins Filtrants®, etc.).

 

Bons pour la baignade

Depuis, les filtres végétalisés se développent comme procédé d’épuration des eaux usées des particuliers ne pouvant être rattachés au réseau communal et pour les petites communes, mais également comme traitement tertiaire dans les stations d'épuration classiques des communes plus importantes. On utilise actuellement ces filtres végétalisés pour le traitement des eaux de baignade, parfois présentées de manière erronée comme "piscine naturelle". En effet, bien que les systèmes de filtres plantés permettent de maintenir une qualité d'eau satisfaisante pour la baignade, la qualité dans le bain ne sera jamais équivalente à une piscine où l'eau est désinfectée.
 

Filtre de roseaux - © N. Korboulewski

Filtre de roseaux - © N. Korboulewski

Les trois grands types de systèmes de phytoépuration

les systèmes en eau libre : ce sont des bassins remplis d'eau. Les bactéries aérobies s'y développent en « cultures libres », il s’agit de lagunage. On peut également y trouver des plantes enracinés et immergées comme les élodées (Elodea sp.) ou le myriophylle aquatique (Myriophyllum aquaticum) et des macrophytes flottantes comme la jacinthe d'eau (Eichhornia crassipes).

les systèmes de filtres végétalisés : les bassins contiennent un substrat, graviers ou sable sur lequel les bactéries se développent (on parle aussi de « cultures fixées ») et dans lequel sont plantés des végétaux. Il s’agit des filtres de roseaux, marais artificiels…. La circulation de l’eau dans les filtres se fait soit verticalement, soit horizontalement, selon la position des bouches d'arrivée et de sortie d'eau.

les systèmes terrestres : Ils sont à rapprocher de l’épandage sur culture où les plantes sont souvent des peupliers ou des saules, le plus souvent installés en pleine terre, où la biomasse aérienne est récoltée à intervalle régulier (plusieurs années) et valorisée (compost ou bioénergie). Un système propose également une plantation de bambous.

Classification des systèmes extensifs de traitement des effluents : systèmes de phytoépuration
Classification des systèmes extensifs de traitement des effluents : systèmes de phytoépuration

 


Une efficacité dépendant de nombreux paramètres

Les filtres plantés permettent généralement de répondre aux critères fixés pour le traitement des eaux usées et aux objectifs de qualité en vigueur (arrêté du 22 juin 2007). L’efficacité épuratoire d’un système dépend de nombreux paramètres, tant physiques (hydraulicité, temps de passage dans les zones de traitement, granulométrie du substrat, etc.), chimiques (qualité du substrat, niveau de pollution, etc.) que biologiques (espèce végétale, flore microbienne, etc.). Mais elle dépend surtout du dimensionnement et de la gestion des bassins. On estime qu’il est nécessaire de mettre en place 1-5 m² de filtres plantés pour traiter la pollution journalière émise par un habitant. Pour des volumes importants (station d'épuration), plusieurs étages de filtres différents sont installés. Par exemple, un premier étage est constitué de trois filtres à flux vertical alimentés successivement tous les 2-3 jours, dont les effluents se déversent au niveau inférieur dans deux filtres à flux horizontal. En moyenne, l’efficacité des filtres plantés est de:
- 80 à 98% pour la charge organique,
- 50 à 90% pour l’azote (nitrification / dénitrification),
- 20 à 90% pour le phosphore selon les caractéristiques du substrat,
- un abattement de 10 à 104 unités de microorganismes pathogènes selon le climat.


La combinaison de plusieurs phénomènes

Le principe de fonctionnement des filtres repose sur le complexe substrat-microorganismes-plantes dans un contexte climatique donné (Figure 2). Les polluants sont éliminés grâce à la combinaison de phénomènes physiques, chimiques, et biologiques, tels la sédimentation, la précipitation, l’adsorption sur les particules de substrat (ou des racines), la transformation microbienne, l’assimilation par les végétaux, l'évaporation et la dégradation par les rayons UV du soleil.
Toutefois, ce sont les microorganismes du sol qui sont et de loin les principaux acteurs, de l'épuration. Ils sont présents naturellement dans le sol, au niveau de la rhizosphère et dans l'effluent à traiter. En conséquence et pour le bon fonctionnement des systèmes il est important d'éviter d'utiliser des produits bactéricides et fongicides en amont (comme l'eau de javel pour le nettoyage domestique).
Le substrat et les végétaux ont néanmoins leur rôle à jouer et peuvent très significativement améliorer le traitement.

 

Fonctionnement schématisé des filtres végétalisés

Fonctionnement schématisé des filtres végétalisés qui fait interagir les plantes, les microorganismes, et le substrat dans un contexte bioclimatique et déterminera l'efficacité épuratoire du système.

 

Le rôle physique du substrat

Il a principalement un rôle physique, de filtration et de rétention de certains éléments chimiques comme le phosphore, et a un rôle aussi de support de culture. Il peut être responsable de plus de la moitié de l'abattement en polluants (comparaison entrée-sortie).
Auparavant, les systèmes de filtres végétalisés étaient constitués de sables et graviers comme substrat, mais depuis peu, d’autres types de substrats sont testés. En effet, malgré leur efficacité ces premiers systèmes rencontrent des difficultés notamment un démarrage des végétaux parfois difficile (manque de nutriments) et des phénomènes de colmatage qui résulte de l’accumulation des matières dans les pores du substrat et conduit à une diminution conséquente et souvent rapide de la capacité d’infiltration.  Quel que soit le système, il est impératif de surveiller l'apparition du colmatage, et de procéder à un récurage tous les 10-15 ans. Les produits récupérés sont le plus souvent utilisés comme amendement organique, après un temps de séchage à l'air pour éviter la reprise des végétaux (notamment pour les rhizomes des phragmites). Ils peuvent également être compostés avec d'autres produits (déchets verts de la commune par exemple). Dans très peu de cas (filtres traitants des effluents de certaines industries), les concentrations en polluants métalliques ou organiques dépassent les seuils autorisés et doivent être évacués en décharge.
Actuellement, outre le sable encore très utilisé, d’autres types de substrats sont mis en œuvre :
- la pouzzolane qui semble désormais adoptée pour les nouvelles installations grâce à une grande porosité et à une augmentation de surface facilitant le développement des microorganismes et l’adsorption des polluants.
- des substrats organiques à base de tourbe. Ils présentent l'avantage d'apporter des nutriments bénéfiques à l'installation des plantes. Il est installé comme support de culture au-dessus d’un substrat minéral assurant le drainage du filtre. Il est tout aussi efficace pour l'épuration et ne favorise pas le colmatage,
- des substrats minéraux tels que le charbon et les scories qui augmentent l’élimination du phosphore par adsorption.

 

Le rôle bénéfique des végétaux

Contrairement à ce qu'on peut entendre, les végétaux n'ont pas qu'un rôle esthétique, mais jouent un rôle bénéfique dans l’épuration des eaux usées à travers des effets directs et indirects :
- grâce au réseau racinaire, les végétaux améliorent le rôle de filtre, limitent le colmatage, la formation d’écoulement préférentiel de surface et l’effet de l’érosion. Ils augmentent aussi le temps de rétention de l’effluent et donc sa dégradation par les organismes du sol.
- ils favorisent le développement et l’activité des microorganismes responsables de l'épuration.
- ils absorbent des nutriments. On estime que jusqu'à 10% de l’azote (20-250 g/m2) et du phosphore (3-15 g/m2) à traiter sont stockés dans les parties aériennes des végétaux et sont ainsi exportés hors du système lors des coupes annuelles. Les nutriments se retrouvant dans les parties aériennes des végétaux varient avec la production de biomasse. Ainsi, Phragmites australis peut produire un tiers de plus de biomasse que Typha sp. et le triple qu’Iris pseudacorus. Cependant le genre typha est plus adapté aux régions sèches. On évoque souvent pour les bassins en eau libre la capacité importante à épurer de la jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes) en rapport à sa forte productivité (absorption de 35 g de P et 200 g N/m²/an). En revanche, les végétaux immergées (Elodea, Myryophyllum,..) ont une capacité inférieure (<100 kg P et 700 kg N/ha/an).
- certaines espèces végétales pourraient produire également des composés antibiotiques (ex. Schoenoplectus) favorisant l’élimination des microorganismes pathogènes et limitant le développement des cyanobactéries.
On doit porter une attention particulière à ces "algues bleu-vert", car certaines sont extrêmement toxiques. Il est impératif d’éviter une stagnation prolongée de l’effluent. Le système des bâchées (alternance de périodes d'apport d'effluent et de périodes de repos) permet l'assèchement en surface, et empêche leur développement.

 

Les travaux en cours sur la phytoépuration sont prometteurs. Ils visent à adapter ou optimiser ces systèmes dans des contextes bioclimatiques extrêmes, pour d'autres effluents et  polluants.

 

Stolon de l'Ache, Apium nodiflorum - © J. Haury

Phragmites - © N. Korboulewski

Typha - © N. Korboulewski

1: Iris / 2: Phragmites / 3: Roseau - © N. Korboulewski


Les aspects réglementaires de la qualité des eaux et de l’épuration
des eaux usées

- Directive européenne du 21 mai 1991 (91/271/CEE), relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, suivi par la directive 98/15/CEE.
- Directive de 1991 dite « eru » impose de veiller à ce que les eaux usées de l'agglomération bénéficient d'un "traitement approprié" avant d'être déversées.
- Directive Cadre Européenne sur l'Eau du Parlement Européen et du Conseil adoptée le 23 octobre 2000 établit un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.
- Arrêté du 22 juin 2007 précisant les performances épuratoires minimales) des stations d’épuration des agglomérations.

 

2 thoughts on “La phytoépuration : la nature pour dépolluer les eaux”

  1. Messieurs,

    Nous travailons sur un projet de traitement des eaux usées, pratiquement naturel, cette idée suit la tendance très environnementale des bailleurs de fonds. Nous recherchons une entreprise dans ce domaine, veuillez trouver ci-joint la description du processus d’épuration.

    Merci de me mettre en rapport avec des gens prés à travailler dans la Région Sub-saharienne.

    Cordialement

    L’objectif est la conception d’une installation de traitement des eaux usées industrielle et domestique. La méthode proposée est un filtre de macrophytes flottantes, par lequel il est possible l’épuration des eaux usées à des niveaux inférieurs aux limites légales établies, étant également possible sa réutilisation pour l’irrigation.
    Ce processus de purification lui-même ne nécessite aucune dépense d’énergie. Seulement on a besoin d’une petite quantité d’énergie, le suffisant pour faire fonctionner le processus de pré-traitement (tamisage automatique) et de recirculation. Cette faible contribution d’énergie sera générée par énergie solaire, afin que le processus de purification en tout soit réalisé sans consommation d’énergie.
    Outre la consommation nulle d’énergie, cette technologie d’épuration ne produit pas de boue, donc il n’y a pas de déchets générés dans ce processus.
    Le maintien du système des macrophytes en flottation est simple, toutefois, il nécessite un entretien spécialisé basé sur l’application de traitements phytosanitaires préventifs. Ce traitement est payé durant la phase de croissance du système.
    montarryf@gmail.com

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