La Maison rustique

Daniel Lejeune

Les représentants représentésUne encyclopédie rustique, une maison d'édition, un agronome représentant du peuple...

Qui, parmi les jardiniers, n'a entendu parler de la Maison Rustique ?

Cette appellation évoque pour certains l'enseigne d'une librairie spécialisé de fameuse réputation, rue Jacob à Paris. De plus informés y voient l'évocation d'une maison d'édition dont sortirent durant environ un siècle les meilleurs ouvrages et les plus prestigieuses revues françaises d'agriculture et d'horticulture. Les bibliophiles les plus avertis y reconnaissent un titre porté par une suite multiséculaire d'encyclopédies à vocation rurale... Les adeptes de la petite histoire économique et politique, enfin,  reconnaîtront la silhouette de Jacques-Alexandre Bixio (1808-1865), médecin d'origine italienne, économiste, agronome et homme politique français. Engagé et d'ailleurs blessé lors des insurrections de juin 1848, il siégea à la Constituante puis à la Législative jusqu'en 1851 sous les couleurs du parti démocratique. Outre la Maison rustique du XIXe siècle, il dirigea le Journal d'agriculture pratique, de jardinage et d'économie domestique de 1837 à 1848.

 

 

 

La Maison Rustique

C'est à 1554 que remonterait la première parution de ce titre, rédigé en latin, comme il se doit à l'époque. C'est la famille Estienne [1] qui en est éditeur. D'abord Charles Estienne lui-même, puis Jean Liébault, son gendre. Cette première « Maison Rustique » recueillera un important succès, puisqu'on procèdera au chiffre énorme de 80 éditions successives.

La tranquillité des campagnes, retrouvée à la conclusion de l'édit de Nantes est,  il est vrai, propice à une agronomie novatrice que propage de son côté le célèbre «Théâtre d'Agriculture et Ménage des Champs» d'Olivier de Serres, vecteur efficace de la politique territoriale d'Henri IV et de Sully.


 

La Nouvelle Maison Rustique

En 1702, un agronome, Louis Liger (1658-1717), relance l'ouvrage sous le titre de «La Nouvelle Maison Rustique». Relayé ensuite par le polygraphe Jean-François Bastien (1747-1824), ils soutiendront de nombreuses éditions successives de cet important ouvrage, jusque dans les premières années du XIXe siècle. En voici quelques traces :

1re édition en 1702, 2e édition  en 1708, 3e édition en 1728, 4e édition en 1736 chez la Veuve Prudhomme, «A la Bonne Foye Couronnée», 7e édition en 1755, 8e édition en 1762, 9e édition en 1768, 10e édition en 1772 ou 1775, 11e édition en 1777, Nouvelles éditions en 1798 chez Deterville et Desray et  en 1805, chez Deterville...

 

La Maison Rustique du XIXe siècle

Cette nouvelle entreprise éditoriale tire son origine dans l'intention de traduire l’Encyclopédie de jardinage de l’anglais LOUDON, ouvrage d'inspiration similaire à la Maison Rustique, paru en 1822. Les agronomes et horticulteurs anglais ont en effet pris de l'avance sur un continent mis à feu et à sang par les guerres révolutionnaires, puis napoléoniennes. La paix retrouvée permet à nouveau une certaine renaissance rurale dans laquelle s'impliquent fortement les anciens émigrés. La Restauration et le romantisme ambiant sont favorables aux cultures expérimentales, à l'art paysager et aux plantations. Bientôt, en 1827 naîtra la Société d'Horticulture de Paris. [2] Une femme, Aglaé Adanson, fille du célèbre botaniste, se retire à Balaine (Allier), y plante un remarquable arboretum et rédige dès 1822 un traité d'économie rurale fort apprécié [3]. L'ouvrage de Loudon, si méritoire soit-il, nécessite à l'évidence adaptations et actualisations. C'est donc  à un travail entièrement neuf que s'attelle une équipe d'agronomes et de praticiens parmi lesquels nous relevons des noms aussi prestigieux que l'abbé Berlèze, spécialiste des Camellias ; Héricart de Thury, déjà cité ; Jaume Saint-Hilaire, botaniste ; Leclerc-Thouin, professeur d'agriculture au Conservatoire des Arts et métiers [4]; Loiseleur-Deslongchamps, lui-même rédacteur de prestigieux ouvrages botanico-horticoles ; Poiteau, l'un des piliers du comité de rédaction du « Bon Jardinier » ; Rambuteau, préfet de la Seine et président de la Société d'agriculture ; Soulange-Bodin, fondateur de l'Institut de Fromont près de Ris-Orangis ; Vilmorin, propriétaire-cultivateur aux Barres ; Ysabeau, jardinier-maraîcher à Saint-Mandé...etc. Le projet est coordonné par Bailly de Merlieu pour l'agriculture, Malepeyre pour les arts agricoles et l'agriculture forestière et Bixio pour les cultures industrielles puis ultérieurement l'horticulture en collaboration avec Ysabeau. L’édition démarre chez HUZARD, membre par ailleurs de la Société d’Horticulture de Paris : les deux premiers volumes paraissent en 1834-35, sous la direction d’Emile de GIRARDIN et d’Alexandre PAULIN.

 


[1] Charles Estienne (1504-1564), troisième fils du fondateur Henri Ier(1470-1520), imprimeur du roi, mit au jour plus de cent éditions. L'une d'elles est la Maison Rustique.

[2] son fondateur, le vicomte Héricart de Thury en défendra la création auprès du roi Charles X selon cette célèbre formule «Sire, je vous présente cette science tranquille, l'Horticulture ! ».

[3] « La Maison de campagne », parue dans l'Encyclopédie des Dames, verra 6 éditions entre 1822 et 1852 !

[4] Leclerc-Thouin, neveu d'André , donna en 1827 une seconde édition à la monographie des greffes de ce dernier.


Maison rustique du XIXe sièclePortrait Alexandre Bixio

 

Puis, Alexandre BIXIO [5], également fondateur en 1837 du Journal d'Agriculture Pratique, dirige la parution des volumes suivants, dont le dernier, non prévu à l’origine, est spécifiquement dédié à l’Horticulture. Paru en 1843, il aurait été tiré à 3000 exemplaires, puis retiré en même nombre en 1845, des éditions se succédant jusqu’en 1882.

Les conditions de souscription avec droit de copropriété sont parvenues jusqu'à nous [6] :
« Les 4000 premiers souscripteurs inscrits, qui s’engagent à payer 56 francs (et 70 francs, s’ils veulent être servis par la poste), reçoivent sans autre déboursé

1 l’Encyclopédie d’Horticulture
2 l’Encyclopédie des ménages
3 le journal d’économie rurale et domestique pendant un an
4 un titre d’actionnaire copropriétaire leur assurant 1/4000ème dans la propriété et dans tous les bénéfices de l’entreprise, pendant toute la durée de la Société (10 ans)

…Toute personne qui place 6 exemplaires reçoit le 7ème gratis! »

Le cinquième et dernier volume, qui est de nature à nous intéresser tout particulièrement puisqu'entièrement consacré à l'horticulture et à ses divers aspects, se structure autour de 5 titres :
I- Principes généraux de
II- Culture
III- Culture des végétaux ligneux
IV-Culture des végétaux comestibles
V-Culture des végétaux d'ornement

Nous signalons dans cet ouvrage p 408 une étude particulièrement intéressante du point de vue historique intitulée « Coup d'œil sur le jardinage en Europe », photographie de l'horticulture internationale dont on ne retrouvera l'équivalent qu'un demi-siècle plus tard sous la plume de Charles Baltet (l'horticulture dans les cinq parties du monde).

 

Il existe une troublante similitude entre certains  chapitres du volume V, Horticulture, et le contenu de l'édition d'époque des gravures du Bon Jardinier. Ces dernières ne sont malheureusement pas datées (recherches à faire dans la Revue horticole). C'est en particulier le cas du chapitre IV, instruments de jardinage où est citée la fameuse anecdote trouvée chez Loudon à propos des pièges à hommes (Man-trap). Ce n'est pas étonnant si l'on veut se rappeler que les deux ouvrages sortent du même éditeur qui prend d'ailleurs le nom de « librairie agricole de la maison rustique ». Il est encore fait référence aux gravures du Bon Jardinier à propos de la section sur les greffes

 

La librairie agricole de la Maison Rustique

En 1870-1871, le fonds d'édition de la Maison Rustique qui provenait de la famille Huzard est cédée par la société Bixio et Cie à Depret, gendre de Bixio, puis à  Léon-Joseph-Elisée BOURGUIGNON qui le fera prospérer [7]. La fusion de « la Revue Horticole et du «  Jardin » verra Henri Martinet s'y impliquer. C'est aujourd'hui la maison Flammarion, tout récemment rattachée au groupe Gallimard, qui publie sous cette enseigne. On lui doit entre autres ouvrages, la denière édition en trois volumes du Bon Jardinier.

Maison rustique  Maison rustique

 

La Compagnie Générale Transatlantique a exploité un cargo baptisé “ Alexandre BIXIO ”, de 1880 à 1905. Le “ Nez d’un Notaire ” est dédicacé par Edmond ABOUT (1828-1885) à Alexandre BIXIO : “ Permettez-moi, monsieur, d’écrire en tête de ce petit livre le nom cher et honoré d’un homme qui a consacré toute sa vie à la cause du progrès, d’un père qui a offert deux fils à la délivrance de l’Italie, d’un  ami qui est venu entre les premiers me donner une preuve de sympathie le lendemain de Gaetana. ”. Toujours à propos de Bixio, il s'adonna à un duel contre Thiers dans le « journal pour rire » du 27 octobre 1849. Une médaille à son effigie a été réalisée par Emile Rogat après les journées de juin 1848. Un exemplaire est conservé au musée Carnavalet.

source Wikipedia

 

 


[5] Jacques Alexandre BIXIO (1808-1865), membre de la Constituante en 1848 et député du parti démocratique modéré de 1848 à 1851, sera très brièvement ministre de l’agriculture et  du commerce dans le premier cabinet de Louis-Napoléon BONAPARTE (20-29 décembre 1848 !), Il entra au Crédit Mobilier des frères PEREIRE en 1852 et vécut en effet retiré de la politique après le coup d’état du 2 décembre 1851.

[6] L'Horticulteur Belge 1835-1836 p 333.

[7] La Revue horticole 1870-1871 p 184.

 

1 thoughts on “La Maison rustique”

  1. Bonjours ,
    Pourriez-vous me renseigner sur le prix de encyclopédie horticole « le bon jardinier » et si je peu l’obtenir en Belgique ,
    Merci pour ce petit renseignement.
    Bien à vous
    Tissot Vladimir

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