La lutte biologique et les cochenilles : Plus de 100 ans d’histoire

Philippe Kreiter

Les cochenilles appartiennent à la superfamille des Coccoidea divisée en 23 familles et 7700 espèces (Sforza, 2008) réparties à travers le monde et plus particulièrement dans l’hémisphère Sud. Ces espèces ne sont pas toutes des ravageurs des cultures. Certaines sont utilisées dans la vie quotidienne de l’homme et considérées comme des insectes utiles. Cependant, trois familles provoquent d’importants dégâts économiques dans le monde : les Coccidae, appelées anciennement lécanines, les Pseudococcidae ou cochenilles farineuses et les Diaspididae ou cochenilles à bouclier ou encore diaspines.

Icerya purchasi - cochenille australienne sur rosier skoura - © F. Carcasses

Pendant longtemps, les moyens de lutte contre les cochenilles ont été basés sur l’application de molécules de synthèses et des huiles de pétrole. Aujourd’hui encore, la lutte chimique demeure une méthode de lutte efficace contre ces dernières, si elle est correctement utilisée, mais n’est pas sans risque sur l’environnement et la santé humaine. La lutte biologique a très vite été un moyen efficace pour lutter contre les cochenilles. Une cochenille, Icerya purchasi Maskell, (Hemiptera, Monophlebidae) fut introduite accidentellement d'Australie en 1868 dans des vergers d'agrumes de Californie, sans son cortège d’ennemis naturels. Accusant de grosses pertes économiques et devant l’impuissance des produits phytosanitaires, Riley, convaincu que l'innocuité de cette cochenille dans son pays d'origine, était due à des ennemis naturels antagonistes, envoya un jeune entomologiste, Albert Koebele, en mission en Australie, d'où il rapporta divers insectes entomophages, dont la coccinelle Rodolia cardinalis Mulsant (Coleoptera, Coccinellidae). Développé et élevé en masse, cet auxiliaire fut distribué aux agriculteurs. En moins de deux ans, la population de la cochenille australienne fut réduite en deçà d'un seuil de nuisibilité économiquement supportable. La lutte biologique était née.


 

Les dégâts causés en agriculture

Les cochenilles sont présentes sur toutes les  parties de la plante que ce soit sur feuille, fruit, tronc, tige ou racine. Une même espèce peut être présente, en même temps, sur différents organes de la plante ou en fonction de son stade phénologique. Pendant son développement Saissetia oleae Olivier (Hemiptera, Coccidae), la cochenille noire de l’olivier se nourrit d’abord sur la feuille, puis migre peu à peu sur des parties plus ligneuses. Les cochenilles sont des insectes piqueurs qui absorbent pour la plus grande partie, la sève élaborée, riche en sucre. Ce prélèvement entraîne un affaiblissement de la plante se traduisant par la mort des organes végétaux, ou par la taille réduite des fruits. La sécrétion de miellat sur les feuilles dû a l’absorption de la sève élaborée, nuit à la photosynthèse et a fortiori au développement de la plante. La présence de miellat sur les feuilles, lié à une forte humidité provoque le développement d’un complexe de champignon : la fumagine. Elle se développe ensuite sur l’ensemble des organes foliaires et bloque la photosynthèse. Certaines cochenilles sont vectrices de virus notamment en vignoble. Contrairement aux autres, les cochenilles à bouclier ne prélèvent pas la sève élaborée mais la sève brute, ce qui n’entraîne pas la sécrétion de miellat. Toutefois, ces cochenilles transmettent à la plante des toxines véhiculées par la sève provoquant la mort de la plante. Unaspis yanonensis Kuwana (Hemiptera, Diaspididae), la cochenille asiatique des agrumes a fait disparaître des arbres en trois ans.

 

Les auxiliaires

Les agents de lutte biologique contre les cochenilles sont divisés en deux groupes principaux, les parasitoïdes[1]  et les prédateurs[2] . Le plus grand nombre de parasitoïdes utilisés en lutte biologique, appartient à l’ordre des hyménoptères. Les Aphelinidae sont utilisés contre les Diaspididae et les Encyrtidae contre les Coccidae ou les Pseudococcidae. Quelques familles d’hyménoptères sont à la fois, parasitoïde et prédateur. La femelle insère un oeuf sous le corps de la cochenille. La larve de l’hyménoptère éclos et se nourrit de la ponte de la cochenille. La littérature scientifique regorge d’exemples de lutte biologique contre les cochenilles à l’aide de prédateurs de la famille des Coccinellidae. Ces prédateurs se nourrissent de tous les stades de développement de la cochenille, de l’oeuf à l’adulte, alors que le parasitoïde ne pond souvent que sur un seul stade de développement de la cochenille. La combinaison de ces deux types d’auxiliaires est très utilisée. Le prédateur joue un rôle de « nettoyeur de fond » dans le cas de grosses populations de ravageurs alors que le parasitoïde lui colonise le milieu de façon stable et durable empêchant ainsi l’explosion de la population. Ce type de combinaison est utilisé contre P. citri, sur agrumes ou plantes ornementales avec l’utilisation de Cryptolaemus montrouzieri Mulsant (Coleoptera, Coccinellidae), de Leptomastix dactylopii Howard et de Leptomastidea abdnormis (Giraud) (Hymenoptera, Encyrtidae). Les lâchers de parasitoïdes et de coccinelles se font sous forme d’adultes conditionnés dans des tubes. Quelques centaines voire milliers d’individus suffisent pour installer une population. En serre de plantes ornementales ou de tomates, des lâchers hebdomadaires sont nécessaires.

 

Quelques exemples de lutte biologique contre les cochenilles

La lutte contre P. citri sur agrumes dans tous les pays agrumicoles a entraîné de nombreuses introductions d’auxiliaires dans tout le pourtour méditerranéen. Cette cochenille sévit encore, malgré tout, en serre de plantes ornementales et en agrumiculture. Le Pou rouge de Californie, Aonidiella aurantii Maskell (Hemiptera, Diaspididae) principal ravageur des agrumes dans le monde entier a fait l’objet de nombreuses tentatives d’introduction d’auxiliaires et notamment de plusieurs Aphytis spp. Ce genre de chalcidien ectoparasitoïde a d’ailleurs été utilisé sur plusieurs espèces de cochenilles diaspines souvent couplé à un endoparasitoïde. Aujourd’hui, plusieurs biofabriques produisent A. melinus qui présente une grande efficacité contre A. aurantii. La lutte contre le Pou de San José, D. perniciosus, a été une très grande aventure mondiale et notamment européenne. Elle fut l’objet de plusieurs introductions d’insectes entomophages, notamment d’Encarsia perniciosi Tower, (Hymenoptera, Aphelinidae). En 1963, apparaissait en France, sur la Côte d’Azur, Unaspis yanonensis Kuwana, (Hemiptera, Diaspididae). Cette cochenille a participé au déclin des agrumes dans cette région. Dans les années 2000, Aphytis yanonensis Walker fut lâché périodiquement et en grande quantité sur agrumes d’alignement en zone urbaine. Les résultats furent plus qu’encourageants. Récemment, une lutte biologique a été mise en place pour lutter contre la cochenille Pseudococcus viburni Signoret (Hemiptera, Pseudococcidae) en verger de pommier. L’auxiliaire Pseudaphycus flavidulus Bréthes (Hymenoptera, Encyrtidae) a donné d’excellents résultats dans le sud de la France.

 

Conclusion

Depuis plus de cent ans, la lutte biologique a permis de limiter les populations de nombreuses espèces de cochenilles. Toutefois, la protection globale de la culture remet souvent en question l’équilibre de l’agrosystème. De nombreuses tentatives, se sont soldées par un échec. Les raisons de ces échecs sont multiples. Des conditions climatiques mal appropriées, des auxiliaires peu performants, des méthodes d’élevage trop coûteuses ou impossible à mettre en place, des traitements phytosanitaires trop agressifs, sont quelques unes des raisons de ces échecs. Toutefois, La lutte biologique est une alternative à la lutte chimique et correspond au plan Ecophyto 2018 mis en place suite au Grenelle de l’environnement. Depuis l’avènement des firmes productrices d’auxiliaires, la lutte biologique en général, a connu un véritable essor et est plus utilisée par les agriculteurs et le grand public. Mais contradictoirement, la recherche publique en lutte biologique en Europe et notamment en France, tend à s’amenuiser d’année en année. Pourtant, de nouveaux ravageurs rentrent tous les ans sur le territoire français sans leur cortège parasitaire.

 

Extraits de la conférence de Philippe Kreiter (Ingénieur d’Etudes à l’INRA) présentée au colloque de l’AFPP – Les cochenilles : ravageur principal ou secondaire (Montpellier - 25 octobre 2011)
 

> Pour en savoir plus : version intégrale

 

[1]  Un parasitoïde est un organisme qui se développe sur ou à l'intérieur d'un autre organisme dit « hôte », mais qui tue inévitablement ce dernier au cours de ce développement ou à la fin de ce développement.

[2]  Un prédateur est un organisme vivant qui capture et tue des proies pour s'en nourrir ou pour alimenter sa progéniture

 



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JdF621, janvier-février 2013

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