La cuscute, un vampire à prendre au sérieux

Georges Sallé

Les cuscutes appartiennent à la famille des Convolvulacées et regroupent 100 à 150 espèces. Ce sont des plantes annuelles, parasites qui se développent aux dépens de plantes hôtes. Dépourvues de feuilles et de chlorophylle, elles forment des tiges filamenteuses volubiles, jaunes, oranges ou rouges (Fig. 1) qui dépendent entièrement de l’hôte pour leur nutrition : ce sont des holoparasites (voir l’article de Gérard Guillot). Le transfert de l’eau et des substances nutritives depuis l’hôte s’effectue via un organe d’absorption particulier, le suçoir ou haustorium. De plus, ces parasites se fixent sur les parties aériennes des plantes attaquées. On parle de parasite épiphyte.

Figure 1. Tache de cuscute dans une culture sensible – © G. Sallé

En France, les cuscutes peuvent détruire entièrement les champs de luzerne, qui est une des plantes hôtes privilégiées. Mais elles s’attaquent également à la carotte, à la pomme de terre, à la betterave sucrière, à l’aubergine, à la tomate, à la vigne et au thym. Des arbres (acacia, olivier…) et des plantes  ornementales (chrysanthème, dahlia, pétunia) peuvent aussi souffrir de la présence de ce parasite. Certaines adventices présentes dans les cultures (renouée, ortie, ombellifères en général, matricaire) peuvent également être parasitées et ainsi servir de relais pour entretenir la présence des cuscutes dans les champs. Compte tenu des dégâts importants qu’elles peuvent causer dans les cultures et de la recrudescence observée en France, il convient d’être vigilant et d’éviter à tout prix leur apparition dans les champs.

Fig. 2 – Cycle biologique de la cuscute (publication dans « Biologie des phanérogames parasites », C.R.Soc. Biol., 1998, 192, 9-36)
Fig. 3 – En bas, à gauche : graine de cuscute observée en microscopie électronique à balayage, montrant les ornementations du tégument – © G. Sallé

Cycle biologique de la cuscute

La figure 2 résume le cycle biologique de la cuscute. Les graines de cuscute sont brunes et de petite taille (1 à 3 mm). Elles sont produites en grand nombre, 2 500 à 3 000 graines par tige, et recouvertes par un tégument lignifié coriace, brunâtre, présentant de nombreuses anfractuosités (Fig. 3). Elles sont disséminées par les semences contaminées, les eaux de ruissellement, le bétail, le fumier et le matériel agricole. Leur pouvoir germinatif demeure intact pendant plusieurs années. Après altération du tégument dans le sol et quelques heures d’imbibition, la graine germe, sans hôte, en émettant une pseudo-radicule qui s’allonge, se renfle et se couvre de papilles. Simultanément, la jeune tige émerge et forme un crochet caractéristique. La pseudo-radicule se nécrose rapidement, tandis que la tige explore les environs par des mouvements de circumnutation, à la recherche d’un hôte potentiel. Si elle n’en rencontre pas, la plantule dégénère rapidement (cinq à dix jours). En revanche, si elle atteint une tige hôte, elle l’entoure en formant deux ou trois spires (Fig. 4) et envoie plusieurs suçoirs en direction des tissus conducteurs de l’hôte, tandis que la partie inférieure du jeune plant se dessèche. La plante n’a alors plus aucun contact avec le sol. L’extrémité de la tige s’allonge très rapidement, de façon rectiligne, jusqu’à ce qu’elle entre en contact à nouveau avec une autre tige hôte. Ainsi, une seule graine donne un individu qui est capable, en une saison, de couvrir plusieurs mètres carrés de fins filaments jaune orangé, communément appelés « filets de Dieu » ou « cheveux du diable » et de former une « plaque de cuscute ». Après sept à huit semaines, la cuscute fleurit (Fig. 5) puis produit de nombreux fruits et graines.

Des études ont montré que les cellules des suçoirs se dirigent vers les éléments conducteurs de la tige hôte pour établir une continuité xylémienne et une contiguïté phloémienne permettant d’assurer l’alimentation en eau, en sels minéraux et en substances carbonées du parasite.

Méthodes de lutte

Classiquement, la lutte contre la cuscute peut faire appel à des méthodes préventives, visant à réduire l’infection, et à des méthodes curatives, consistant à éliminer le parasite installé.

Fig. 4 – Spires de cuscute autour d’une tige hôte. Protubérances : emplacements des suçoirs – © G. Sallé
Fig. 5 – Cuscute en fleur – © G. Sallé

La cuscute est répertoriée dans la liste des organismes nuisibles aux végétaux (arrêté du 31 juillet 2000). « Sa lutte n’est pas obligatoire sur tout le territoire et de façon permanente », mais elle peut être rendue obligatoire par arrêté préfectoral, comme dans certaines communes de l’Aube en juillet 2014. Avant toute culture de plantes sensibles, notamment pour la production de graines (luzerne ou lin, par exemple), il faut utiliser des graines certifiées « décuscutées ». Pour obtenir de telles graines, le tri magnétique est très fiable1. C’est ainsi qu’en France, il y a quelques décennies, on avait réussi à empêcher l’extension de la cuscute en n’utilisant que des graines certifiées.

Compte tenu de la petitesse de ses graines, un soin particulier doit être apporté à la propreté des outils de travail utilisés, y compris les bottes des agriculteurs et les pneus des tracteurs s’ils sont passés auparavant dans un champ contaminé.

La dynamique du stock de graines de cuscute dans le sol est une donnée capitale. Pour un champ parasité donné, chaque année, les cuscutes produisent d’énormes quantités de graines qui enrichissent le stock initial. Cette production grainière varie en fonction des conditions climatiques et endogènes, de la date de semis ainsi que de la sensibilité de la culture et des adventices vis-à-vis du parasite. Ce stock de graines diminue par dégénérescence des germinations naturelles qui ne rencontrent pas d’hôte et par consommation par les herbivores.

Ainsi, si l’on sème des céréales, qui ne sont pas des hôtes naturels de la cuscute, l’enrichissement du sol en graines de cuscute sera nul. La cuscute est la seule plante parasite

que l’on peut maîtriser par une rotation culturale en deux à trois années. Cependant, il faut être très vigilant vis-à-vis des adventices qui peuvent, eux, être des hôtes et ainsi alimenter le stock de graines du parasite dans le sol.

En matière de lutte curative, une fois que la cuscute est fixée sur un hôte, il est très difficile de s’en débarrasser sans détruire l’hôte. Généralement, lorsque l’agriculteur note la présence de « plaques de cuscute » dans un champ, il n’a plus d’autre choix que de détruire l’ensemble hôte-parasite par un brûlage thermique ou par un traitement chimique (glyphosate, diquat, pendiméthaline…)2. Cette destruction doit être impérativement pratiquée avant la fructification du parasite. La parcelle doit être ensuite régulièrement suivie pour prévenir tout redémarrage de l’infestation parasitaire. Après destruction de la culture, il convient d’enfouir profondément les résidus afin que les graines de cuscute ne puissent pas remonter à la surface puis germer.

Les suçoirs de la cuscute sont de véritables ponts physiologiques qui, non seulement permettent la circulation du flux de nutriments de l’hôte vers le parasite, mais assurent également le transfert de virus depuis un hôte virosé vers un hôte sain3. En 2014, J. Westwood et al. ont montré l’existence d’un autre flux, bidirectionnel, de molécules impliquées dans la synthèse des protéines. Pour les auteurs, la cuscute pourrait ainsi agir sur les synthèses protéiques de l’hôte en diminuant, par exemple, les réactions de défense. À long terme, l’existence d’un tel dialogue entre l’hôte et la cuscute pourrait permettre la sélection de variétés d’hôtes résistantes à la cuscute.

En attendant l’aboutissement de ces recherches, l’ensemble du monde agricole (agriculteurs, techniciens et vulgarisateurs) devra redoubler de vigilance et signaler toute nouvelle attaque de cuscute aux autorités départementales et régionales.

  • 1 et 3 Voir l’encadré de Julien Bouffartigue ci-dessous.
  • 2 Le glyphosate est autorisé pour les professionnels (hors JEVI pro, conformément à la loi Labbé) et amateurs, mais sera interdit pour les amateurs à partir du 1er janvier 2019). Le diquat est autorisé pour les professionnels (hors JEVI pro, conformément à la loi Labbé). Il est autorisé pour les amateurs (présent dans une spécialité en mélange avec glyphosate) mais sera interdit à partir du 1er janvier 2019. La pendiméthaline est autorisée pour les professionnels (hors JEVI pro, conformément à la loi Labbé) et amateurs mais sera interdite pour les amateurs à partir du 1er janvier 2019.

Site de référence : https://ephy.anses.fr/ 

QUAND LA CUSCUTE PREND SOIN DE SON HÔTE

Les cuscutes sont des plantes parasites qui se connectent au système vasculaire de leur hôte pour y pomper des nutriments et de l’eau. Elles peuvent transférer des virus des plantes parasitées contaminées vers les plantes parasitées saines. C’est la raison pour laquelle les graines de cuscutes sont impitoyablement chassées des lots de semences commerciales.

La question se pose de savoir si la cuscute peut transférer d’autres molécules ou signaux de plante à plante. Dans une étude publiée en 20171, une équipe de chercheurs sino-germanique a montré qu’une attaque d’insecte (chenille) sur une plante augmente les protéines de défense non seulement dans la plante attaquée mais aussi dans la plante non attaquée mais connectée par la cuscute. Ce signal n’est pas aérien, contrairement à ce qui existe quelquefois. Il s’agit bien d’un signal chimique, transmis par la cuscute, rapidement et à longue distance (supérieure à un mètre). Ce signal est très conservé car il se transmet d’une espèce attaquée vers une autre espèce. Il implique l’acide jasmonique, une hormone végétale bien connue dans le déclenchement des réactions de défense de la plante. Ainsi, la cuscute qui vit aux dépends de son hôte peut lui rendre service en augmentant sa résistance aux insectes herbivores. Ce service est-il gratuit ou permet-il à la cuscute de maintenir en forme son garde-manger ?

Noëlle Dorion
Comité de rédaction de Jardins de France

LA CUSCUTE ET LA LUZERNE

La luzerne est une espèce à certification obligatoire dont les lots, avant d’être commercialisés, sont obligatoirement contrôlés et analysés pour un certain nombre de critères de qualité. Parmi ceux-ci, la présence de cuscute fait l’objet d’une attention particulière. Les normes pour la certification sont de zéro semence de cuscute dans un échantillon de 100 g de semences de luzerne (50 000 semences) ou au maximum d’une semence de cuscute dans 300 grammes (150 000 semences), ce qui représente un risque de 50 semences de cuscute à l’hectare. Les semences de base sont contrôlées sur un kilo, soit 500 000 semences.

Cette certification assure l’utilisateur d’une présence minimale, bien inférieure à celle d’une autoproduction de semences. L’industrie semencière a beaucoup investi pour développer des processus d’élimination de ces semences particulièrement indésirables. Elle continue à développer de nouvelles techniques pour garantir une qualité optimale des lots de semences, avec le développement des trieurs optiques par exemple.

La certification apporte également des assurances à l’utilisateur par rapport à ses propres responsabilités. En effet, la pollution d’une parcelle par de la cuscute peut constituer un motif de dénonciation de bail pour défaut d’entretien. La longévité des graines dans le sol impose à chaque acteur de la filière, du producteur à l’utilisateur, une grande vigilance afin de limiter la dissémination de cette espèce particulièrement invasive et susceptible de transmettre des virus.

Julien Bouffartigue, Gnis

À LIRE