La chanvre dans tous ses états

Le chanvre, Cannabis sativa. L., offre de nombreux atouts et sa culture est réglementée du fait des cannabinoïdes produits par ses inflorescences. La plante présente un regain d’intérêt dans plusieurs secteurs de l’industrie. Découvrons ses multiples propriétés.

Le cannabis intéresse de nouveau les industriels © S. Hubin-Dedenys

 

Alors que la culture du chanvre fait partie de l’histoire de l’humanité depuis près de 8 000 ans, cette plante a failli disparaître de notre pays au XXe siècle.

En accompagnant l’homme au fil de ses migrations, le chanvre, plante herbacée annuelle dioïque de la famille des Cannabacées, a développé un comportement et des propriétés différentes selon les latitudes et les continents.

Principalement cultivée pour ses fibres, elle produit également des cannabinoïdes psychotropes au niveau de ses inflorescences, ce qui a amené les pouvoirs publics à réglementer sa culture et son usage, dès le milieu du XXe siècle.

Chanvre ou cannabis, ses dénominations multiples sèment la confusion mais ses nombreuses propriétés lui offrent de belles perspectives dans le domaine de la bioéconomie et de la santé.

 

 

Une plante complexe et polyvalente

Des usages industriels qui se sont diversifiés
Dotée de fibres longues sous un climat tempéré qui permet à la tige d’atteindre près de 2,50 mètres de hauteur, la plante est cultivée sous la dénomination de chanvre à usage industriel. Dès l’Antiquité, ses fibres ont servi à confectionner des vêtements, en Asie comme en Europe. Cependant, dès le début du XXe siècle, le chanvre fut supplanté en Europe par le coton puis, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, par les fibres synthétiques. Ses fibres ont également servi à fabriquer du papier de chanvre, fin et résistant, ainsi que des cordages destinés à la marine. Alors que la production de chanvre se réduisait peu à peu ces dernières années à des marchés de niche, le résultat des recherches en matière d’utilisation de fibres végétales a accru son intérêt au tournant des années 2000. Le développement de biomatériaux, basé sur les performances technico-économiques et environnementales du chanvre via la fabrication de panneaux isolants, de béton de chanvre ou de matériaux composites pour l’industrie automobile, a constitué de nouveaux débouchés pour développer sa culture.

Une expérimentation de l’ANSM va faire consommer à 3 000 patients de l’huile ou des fleurs séchées de cannabis, fortement dosées en THC et CBD, afin de mesurer leur effet antidouleur © S. Hubin-Dedenys

 

Toutes les parties aériennes de cette plante, à la fois fibreuse et oléagineuse, sont utilisées et valorisées dans une large palette de débouchés. La paille, ou tige, est composée de deux parties, séparées à l’issue d’un processus de fermentation, le rouissage, afin d’en utiliser toutes les composantes. La filasse, composée de fibres de cellulose, est aujourd’hui exploitée par l’industrie papetière, pour l’isolation des bâtiments et pour la fabrication de plastiques biosourcés.

Le coeur de la tige, la chènevotte, correspond à la partie ligneuse après défibrage de la paille. Ses propriétés absorbantes et isolantes, ainsi que sa légèreté, lui confèrent plusieurs rôles : litière pour animaux, paillage horticole ou granulat pour la fabrication de béton.

Les graines, appelées chènevis, servent majoritairement pour l’alimentation animale, l’oisellerie et les appâts de pêche et trouvent également des débouchés dans l’alimentation humaine, sous la forme d’huile de chanvre, ainsi que dans la cosmétique.

 

 

Chanvre versus cannabis
Les plantes de chanvre comportent près d’une centaine de cannabinoïdes, principalement au niveau des sommités fleuries. Deux de ces molécules ont été clairement identifiées : le cannabidiol (CBD), sans effet nocif sur la santé, et le Δ9-tétrahydrocannabinol (THC), principe actif du cannabis considéré comme un stupéfiant. Si le chanvre a longtemps été utilisé pour ses vertus médicinales et récréatives, son usage thérapeutique a décliné au cours du XXe siècle, avant de disparaître de notre pharmacopée. Toutefois, celui-ci pourrait connaître de nouveaux développements à l’issue de l’expérimentation, lancée en mars 2021, par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur 3 000 patients souffrant de maladies graves, qui vont consommer de l’huile ou des fleurs séchées de cannabis, fortement dosées en THC et CBD, afin de mesurer leur effet antidouleur.

Un encadrement réglementaire très strict

Les propriétés psychotropes du cannabis ont conduit à interdire en France sa culture, sauf dérogation limitée à une liste de variétés qui affichent moins de 0,2 % de teneur en THC. La réglementation française va plus loin que la réglementation européenne puisqu’au travers du Code de la santé publique, elle restreint l’utilisation du chanvre au seul commerce des fibres et des graines et interdit tous les produits issus de la fleur de chanvre. Elle fixe également à 0 % de THC la limite autorisée pour les produits finis à base de chanvre. Les variétés de chanvre ne peuvent être inscrites au catalogue français qu’après avoir été autorisées par un arrêté interministériel pris au titre du Code de la santé publique, sur proposition du directeur général de l’ANSM.

Une sélection orientée vers les usages industriels
La sélection du chanvre a été historiquement assurée par la Fédération nationale des producteurs de chanvre qui, en association avec la coopérative Hemp It, détient la quasitotalité des variétés utilisées en Europe. Au-delà du respect du seuil de la teneur en THC, la sélection s’est d’abord attachée à répondre aux contraintes agricoles avec la mise au point de variétés monoïques, facilitant la mécanisation à la récolte et ayant une précocité adaptée au segment de marché visé (textile, alimentaire, technique et technologique). Les critères d’évaluation de ces variétés reposent sur le rendement potentiel : rendement paille et fibres, poids sec de grains ainsi que sur la richesse en fibres.

La France, premier producteur européen de chanvre industriel
Près de 18 000 hectares sont actuellement mis en culture dans l’Hexagone chaque année. Le développement de nouveaux débouchés a entraîné un doublement des surfaces cultivées et modifié leur répartition géographique, au-delà du bassin historique de production autour de la Chanvrière de l’Aube. Sur le plan agronomique, le chanvre constitue une excellente tête de rotation qui ne nécessite aucun désherbant, fongicide ou insecticide et permet de rompre les cycles des ravageurs et des maladies. C’est une plante à croissance rapide qui n’est pas exigeante en azote et résiste bien à la sécheresse. Sur le plan écologique, ses performances sont remarquables. En raison de sa forte biomasse, un hectare de chanvre absorbe autant de CO2 qu’un hectare de forêt, soit quinze tonnes. Un mètre carré de mur en béton de chanvre emmagasine 48 kg d’équivalent CO2 sur cent ans.

Un assouplissement limité qui pourrait offrir de nouvelles perspectives
Le formidable développement du marché du chanvre « bienêtre » à partir du CBD s’est heurté en France aux interdictions édictées par notre réglementation. Le contentieux qui en a résulté a été tranché en novembre 2020 par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt Kanavape qui considère qu’il s’agit d’une entrave à la libre circulation des marchandises. Afin de se conformer à cette décision, le Premier ministre a annoncé le 25 mai 2021 qu’il autoriserait les produits à base de CBD, mais maintiendrait l’interdiction de vente des fleurs et feuilles séchées, de façon à éviter toute confusion avec le chanvre « récréatif » illégal.

Dans un arrêt en date du 23 juin, la Cour de cassation annule un jugement interdisant la commercialisation de CBD, en se fondant sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. La commercialisation des sommités fleuries du chanvre produites légalement dans un autre État membre ne saurait être interdite en France, dès lors que leur teneur est inférieure à 0,2 % de THC. La production de CBD, produit relaxant et non stupéfiant, pourrait offrir des débouchés prometteurs aux producteurs français, alors que le cannabis réservé à un usage médical ne devrait être cultivé que dans des conditions contrôlées « indoor ». La culture du chanvre serait ainsi amenée à connaître un nouvel essor.

 

Sylvie Hubin-Dedenys
Ingénieur général des ponts des eaux et des forêts, CGAAER

À lire : Jardins de France n° 644 novembre-décembre 2016
www.jardinsdefrance.org/le-chanvre-de-la-fibre-au-chenevis
et www.jardinsdefrance.org/chanvre-usage-dhier-et-daujourdhui