Introduction et culture des protéacées dans le sud de la France

Contribution de la Villa Thuret

Les Protéacées doivent leur nom à Protée, divinité de la mythologie grecque, capable de se métamorphoser. Cette famille polymorphe comprend 79 à 81 genres et 1 700 espèces environ. Diversifiée en Australie et en Afrique du Sud, elle s’étend dans l’hémisphère sud, en Asie tropicale, en Chine, en Amérique latine, du Mexique au Chili, dans les montagnes tropicales d’Afrique et à Madagascar, en Inde ou encore en Océanie. On en trouve sous la plupart des climats, mais surtout sous ceux à saison sèche marquée.

Morphologie

Jeunes feuilles pubescentes et feuilles adultes découpées et coriaces de Banksia baxteri © Inrae Centre Paca

Les protéacées sont des plantes ligneuses : des arbres comme Grevillea robusta, des arbustes, des buissons, de rares espèces herbacées, comme dans le genre Stirlingia. Certaines présentent des lignotubers (1*) . Leur physionomie peut surprendre : Banksia nutans évoque un conifère, avec ses feuilles réduites à des aiguilles et ses inflorescences compactes et pendantes en forme de cônes ; Banksia repens rampe au niveau du sol et ses feuilles dressées ressemblent aux frondes des fougères. Leur architecture varie d’une espèce à l’autre, la croissance des axes étant influencée par la floraison,
lorsque celle-ci est terminale.

Les protéacées présentent souvent des caractères morphologiques d’adaptation à la sécheresse et à un fort ensoleillement. Le feuillage est persistant. Les feuilles sont souvent coriaces à cuticule épaisse, à limbe réduit, à marge épineuse, à pubescence épaisse blanche. Elles ne sont odorantes que de manière occasionnelle. Les jeunes feuilles présentent souvent des colorations temporaires rouges ou dorées ou une pubescence blanchâtre dense (voir photo ci-contre).

Les systèmes racinaires peuvent être caractérisés par la présence de racines protéoïdes formant de petits amas denses de courtes radicelles latérales qui se développent en période de forte croissance, en particulier dans les sols pauvres en nutriments.

Les fleurs sont le plus souvent groupées en inflorescences axillaires ou terminales. Il peut s’agir d’ombelles, de racèmes, de panicules ou d’épis lâches ou compacts (photos page suivante). Les inflorescences terminales sont souvent grandes, voire spectaculaires, comme dans le genre Protea avec leurs faux capitules et leurs bractées colorées. Les fleurs présentent en général quatre pièces libres aux extrémités réfléchies, ou formant un tube. Les quatre anthères sont visibles à l’extrémité de la face interne de ces pièces. L’ovaire supère à carpelle unique est surmonté d’un style généralement long, dont la partie médiane sort du tube, formant une boucle avant d’être libéré à maturité. Certaines espèces sont dioïques.

Le fruit est variable, charnu ou non. Souvent ligneux, il peut persister de nombreuses années avant déhiscence. Il peut s’agir de follicules, drupes, akènes… Les fruits peuvent être coalescents et former des infrutescences compactes. Les graines sont souvent ailées, comme dans les genres Banksia et Hakea, ou non ailées, comme dans le genre Macadamia.

Introduction en plein air sur le littoral méditerranéen

Dans l’état actuel des connaissances, nous ne pouvons pas dater précisément l’introduction des premières espèces sur le littoral méditerranéen. En revanche, nous disposons d’informations précises sur les collections d’Antibes (AlpesMaritimes). Les premiers éléments connus datent de 1858, l’année suivant l’acquisition, par Gustave Thuret, du site du Cap-d’Antibes, qui deviendra plus tard le jardin botanique de la Villa Thuret, aujourd’hui géré par Inrae (2*). Les premières espèces mentionnées sont Hakea saligna (syn. H. salicifolia) et Hakea suaveolens, provenant du Jardin des Plantes de Paris, et Banksia marcescens, fournie par Van Houtte (3*). La présence d’Hakea salicifolia est aussi attestée dans la région de Cannes depuis la moitié du XIXe siècle, signalée dans la Flore des serres et des jardins de l’Europe (1861).

Les herbiers récoltés à la Villa Thuret témoignent de l’accommodation de ces plantes au territoire à une date donnée. Une centaine d’espèces ont poussé, fleuri et fructifié au jardin Thuret dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Les images des échantillons sont consultables en ligne (https://explore.recolnat.org/search/botanique/institutioncode=vta&simplequery=proteaceae).

Depuis, les collections ont été régulièrement enrichies et renouvelées, l’accommodation réussie la plus récente étant celle de Grevillea leucopteris.

Intérêt et culture

La famille des protéacées est connue pour l’intérêt ornemental des espèces à feuillage coloré ou à inflorescences spectaculaires cultivées pour les bouquets, en particulier les espèces sud-africaines des genres Protea et Leucospermum , ou australiennes des genres Telopea et Banksia. Elles sont utilisées dans les jardins et les parcs, en brise-vent, pour retenir et restaurer le sol, pour leurs propriétés remédiatrices (concentration de l’aluminium).

Des espèces, comme Grevillea robusta, sont cultivées pour leur bois. Enfin les graines de deux espèces sont alimentaires : la noix du Queensland, produite par Macadamia integrifolia et M. tetraphylla, et la noisette du Chili, produite par Gevuina avellana. Leur culture est parfois difficile : certaines ne supportent ni le calcaire, ni les sols riches, notamment en phosphore, ni les sols argileux. Elles craignent le froid et l’humidité du sol et nécessitent un bon ensoleillement. La germination des graines peut nécessiter des techniques spécifiques comme l’enfumage.

Pour le repiquage des plantules, il est conseillé de semer les graines en poquets individuels, ce qui évite de perturber les racines. De même, le jardinier doit éviter le binage. Le greffage interspécifique ou intergénérique permet de s’affranchir de l’intolérance au calcaire en utilisant des porte-greffes comme Grevillea robusta ou Hakea laurina. Les protéacées sont très sensibles aux champignons du sol, en particulier Phytophthora cinnamomi.

Durant les années 1980-1990, l’Inra a étudié et mis au point des techniques de culture hors-sol pour plusieurs espèces  destinées à la fleur coupée (4*).

Plusieurs espèces sont encore cultivées en plein air pour les rameaux à couper, à Vallauris (Alpes-Maritimes) ou dans le massif du Tanneron (Var). Hakea salicifolia et H. sericea sont naturalisées dans le massif de l’Estérel. Leur caractère envahissant a été mis en évidence (5*) et elles font l’objet de programmes d’arrachage et de contrôle.

Plus d’un siècle et demi nous sépare des premiers essais réalisés sur le cap d’Antibes mais cette famille originale et diversifiée n’a pas fini de susciter notre curiosité. En effet, des genres entiers n’ont encore jamais été explorés.

 

Catherine Ducatillion
Directrice de l’Unité expérimentale Villa Thuret et Jardin botanique Inrae centre de Provence-Alpes-Côte d’Azur

 

(1*) Lignotuber, littéralement « tubercule ligneux » : situé au niveau du collet et plus ou moins souterrain, cet organe ligneux à réserves amylacées et nombreux méristèmes primaires permet la régénération de l’appareil aérien de la plante, par exemple après incendie.

(2*) Inrae: Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, né en janvier 2020 de la fusion de l’Inra et d’Irstea.

(3*) Enumeratio Plantarum in horto Thuretiano cultarum, 1872. Archives Inra Villa Thuret, Antibes.

(4*) Montarone M., Allemand P. (1995). Growing Proteaceae Soilless under Shelter. Presented at 3. International Protea research symposium, Harare, ZWE (1993-10-10 – 1993-10-17).

(5*) Ducatillion, Badeau, Bellanger, Buchlin, Diadema, Gili, Thévenet (2015) – Détection précoce du risque d’invasion par des espèces végétales exotiques introduites en arboretums forestiers dans le sud-est de la France. Émergence des espèces du genre Hakea. Mesures de gestion