Impact de la nutrition azotée et de la variété du porte-greffe sur la composition minérale de la vigne greffée

Julien Lecourt

Lauréat du prix de thèse 2014 décerné par la SNHF, Julien Lecourt nous résume le texte de l’exposé qu’il en a présenté lors du colloque scientifique « Quand les plantes se parlent », organisé à Angers le 23 mai 2014.

A la fin du XIXe siècle, l’invasion du vignoble européen par le phylloxera a forcé les hommes à cultiver la vigne Vitis vinifera greffée sur des porte-greffes tolérants aux piqures racinaires de cet insecte. Chez la plante greffée, l’utilisation de porte-greffes modifie fortement la croissance annuelle des rameaux, encore appelée vigueur. Le contrôle de la vigueur est essentiel en viticulture, la vigueur ayant un impact majeur sur les rendements et la qualité de la baie. Ainsi, de nombreux viticulteurs cherchent à accroitre la qualité de la récolte en modérant la croissance végétative de la vigne. Le choix du porte-greffe revêt donc une importance cruciale pour le viticulteur. C’est aussi très important pour la compréhension des mécanismes à l’origine du contrôle de la vigueur et pour la sélection de nouveaux porte-greffes. Même si ces mécanismes restent largement incompris, il est admis que les différents porte-greffes absorbent plus ou moins bien certains minéraux et que l’effet du sur la croissance du greffon est d’autant plus fort que la disponibilité en azote dans le sol est faible.

Figure 1 : Effet du porte-greffe (1103P ou RGM) sur la croissance du greffon (CS), 60 jours après débourrement.
Figure 1 : Effet du porte-greffe (1103P ou RGM) sur la croissance du greffon (CS), 60 jours après débourrement.

Identification des mécanismes

Au cours de ce travail de thèse [1], nous avons cherché à identifier les mécanismes physiologiques à l’origine de l’effet de l’azote sur la croissance du couple porte-greffe / greffon. Pour ce faire, un même greffon, Cabernet Sauvignon (CS) a été greffé sur 1103 Paulsen (1103P) qui confère une forte vigueur au greffon ou sur Riparia Gloire de Montpellier (RGM) conférant une vigueur faible a son greffon (figure 1). Ces deux combinaisons ont été soumises à une gamme de concentrations en azote proche de celles retrouvées au vignoble. Les différentes expérimentations ont permis d’étudier les réponses physiologiques (croissance, métabolisme, expression des gènes) en réponse aux traitements azotés. Un résumé des principaux résultats issus de ces expérimentations est disponible dans les actes du colloque SNHF « Quand les plantes se parlent ». L’analyse de croissance a permis de confirmer les effets attendus : les plantes greffées sur RGM présentent une croissance végétative plus faible que celles greffées sur 1103P. Cependant, l’effet du porte-greffe RGM s’est révélé d’autant plus fort que la disponibilité en azote était plus faible, alors que les plantes greffées sur 1103P étaient moins affectées par la concentration externe en azote. Ces résultats suggèrent que les porte-greffes modulent l’efficacité d’utilisation de l’azote disponible dans le sol ou NUE [2].

 Six éléments minéraux nécessaires

En plus de l’azote, les plantes ont besoin d’au moins 12 éléments minéraux pour assurer leur croissance. Six des éléments minéraux, l’azote (N), le phosphore (P), le potassium (K), le calcium (Ca), le magnésium (Mg) et soufre (S), sont nécessaires en grandes quantités, et donc sont appelés macronutriments, tandis que le chlore (Cl), le bore (B), le fer (Fe), le manganèse (Mn), le cuivre (Cu), le zinc (Zn), le nickel (Ni) et le molybdène (Mo) sont nécessaires en petites quantités, et sont dénommés micronutriments. Ces éléments sont nécessaires dans des proportions variables, mais toute carence ou excès (toxicité) réduit la croissance des plantes et le rendement des cultures. La publication d’articles scientifiques mettant en évidence des interactions entre les différents éléments minéraux (ionome) au sein de la plante nous a poussés à mettre en perspective les résultats de notre travail. Nous avons mené une étude complémentaire sur les effets croisés du porte-greffe et de la nutrition azotée sur la composition minérale des différents organes de façon à vérifier si nos observations n’étaient dues qu’au seul effet de l’azote.

Figure 2 : Carte de chaleur représentant la concentration des différents éléments minéraux dans les feuilles et racines de deux combinaisons porte-greffe/greffon de faible et forte vigueur, en réponse a la fertilisation en azote. Plus la concentration est élevée, plus la couleur est sombre.
Figure 2 : Carte de chaleur représentant la concentration des différents éléments minéraux dans les feuilles et racines de deux combinaisons porte-greffe/greffon de faible et forte vigueur, en réponse a la fertilisation en azote. Plus la concentration est élevée, plus la couleur est sombre.

L’ionome de feuilles et de racines de deux combinaisons porte-greffes/greffon, a été caractérisé après 60 jours de traitements par trois solutions nutritives plus ou moins concentrées en azote (figure 2). Dans les racines, les concentrations en N, P, Ca, Mg, Fe, Mn, Cu et B étaient plus forte chez CS/RGM (faible vigueur) que chez CS / 1103P (forte vigueur), alors que la concentration en Na s’est révélée supérieure chez CS /1103P. Dans les racines, seule la concentration en Mn et B était affectée par les traitements azotés, toutes deux plus élevées avec l’augmentation de l’offre en azote. De manière générale, les plantes greffées sur 1103P avaient une concentration foliaire en éléments minéraux largement supérieures à celles greffées sur RGM alors que le phénomène inverse était observé dans les racines. Ces réponses contrastées dans l’accumulation de minéraux étaient d’autant plus forte que la fertilisation azotée était limitante.

De nouvelles pistes pour la fertilisation

Dans cette étude, nous avons ainsi montré que l’ionome du greffon de la vigne est modulé en réponse à la variété de porte-greffe utilisée et par l’approvisionnement en azote. Ces deux variables combinées modifient les relations entre les 13 éléments nutritifs essentiels. Les profils contrastés du ionome du greffon peuvent refléter différents états physiologiques chez les deux combinaisons étudiées. Nous suggérons donc que le greffage de deux espèces différentes (Vitis. vinifera sur V. riparia) a eu pour conséquence d’induire de fortes modifications dans la communication entre le compartiment racinaire et le compartiment aérien, en particulier, la réponse de la feuille à la nutrition en azote. Notre travail donne un nouvel aperçu de la manière dont les porte-greffes modifient la croissance du greffon. La vigueur élevée est corrélée non seulement à une plus forte accumulation en azote, mais bel et bien de tous les minéraux dans les feuilles, traduisant de forts flux des racines vers les feuilles. A contrario, le porte-greffe conférant une faible vigueur à son greffon présente une plus forte accumulation en éléments minéraux dans les racines, traduisant un flux plus faible vers les feuilles. Ces résultats mettent à jour de nouvelles pistes de réflexion quant à la mise au point de techniques de fertilisation tenant à la fois compte de l’environnement (ex : concentration en azote dans le sol) mais aussi des porte-greffes.

 

[1] Travail réalisé au sein de l’UMR INRA Ecophysiologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin de Bordeaux,

[2] Nitrogen Use Efficiency

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