Histoire de tomates : du Pérou à la conquête du monde

La tomate est l’une des stars des assiettes et des jardins. L’essor de sa production s’est tenu dans la deuxième moitié du XXe siècle. Mais d’où vient-elle? Quel a été son parcours?

 

Tomate cerise © M. Causse

 

La tomate, Solanum lycopersicum L., est une plante herbacée de la famille des Solanacées, cultivée pour son fruit.

Ce légume est apprécié dans tous les pays pour sa culture relativement facile, ses rendements importants et ses diverses utilisations à l’état frais ou transformé.

La production et les rendements de la tomate ont augmenté d’une manière spectaculaire depuis qu’elle a acquis un succès international au XXe siècle.

En 2018, sa production mondiale comptait environ 182 millions de tonnes contre 29 au début des années 1960 (source FAO). Mais quand et où la tomate a-t-elle été domestiquée ?

 

 

La domestication

Le processus de domestication implique qu’une espèce acquière des caractéristiques nouvelles par rapport à un ancêtre sauvage, qui lui confèrent un avantage dans l’utilisation par les humains. Elle se poursuit avec la sélection plus ou moins intentionnelle. Chez la tomate, la domestication a entraîné une augmentation de la taille des fruits et une diversité de leurs formes et de leurs couleurs.

 

L’homme a également sélectionné la capacité de la tomate à donner des plantes identiques lors du passage aux générations suivantes, en fixant l’autogamie. Grâce aux données récentes de séquençage de l’ADN d’un grand nombre de variétés, cultivées et sauvages d’Amérique du Sud, la domestication est de mieux en mieux comprise. La tomate était déjà largement cultivée à Mexico lors de la conquête par les Espagnols. Sachant que l’espèce sauvage S. pim- pinellifolium, trouvée entre le Pérou et l’Équateur, est l’espèce sauvage la plus proche de l’espèce cultivée, les accessions de tomate introduites au Mexique devaient avoir subi les premiers stades de la domestication. Charles Rick (1915-2002), professeur de l’Université Davis en Californie, a consacré sa carrière à prospecter des tomates en Amérique du Sud et en étudier l’origine et la génétique. Ses travaux ont été les premiers à montrer une filiation directe entre S. pimpinellifolium, S. lycopersicum cerasiforme (tomate de taille cerise) et S. lycopersicum. Aujourd’hui, l’espèce S. l.cerasiforme est  considérée comme une forme intermédiaire entre S. pimpinellifolium sauvage et S. lycopersicum cultivée, correspondant à la première domestication au Pérou, la seconde ayant eu lieu au Mexique.

La production et les rendements de la tomate ont augmenté d’une manière spectaculaire depuis qu’elle a acquis un succès international au XXe siècle © C. Slamulder

Le Mexique, site secondaire de domestication

Aucune donnée archéologique n’a pu être rattachée à la culture de la tomate. Alors qu’aucune trace écrite relative à la culture de la tomate n’est disponible en Amérique du Sud, on retrouve des informations dans des écrits liés à la conquête du Mexique par les Espagnols. La tomate y est décrite comme un aliment commun chez les Aztèques. Elle est notamment utilisée comme plante médicinale et répandue à la fois dans les offrandes religieuses et sur les marchés. Il semble que les premières tomates, introduites en Europe depuis Mexico, présentaient une grande diversité et avaient déjà atteint un stade avancé dans la domestication avec l’apparition de fruits de taille et de couleur, variées, ce qui confirme l’idée que le Mexique a été un site secondaire de domestication.

L’introduction en Europe

Le mot tomate provient du suffixe tomatl, en langage Nahuatl (parlé par les Aztèques en Amérique Centrale). Des introductions en Europe à partir des deux origines, péruvienne et mexicaine, ont eu lieu dès la fin du XVIe siècle. Les Italiens ont été les premiers Européens à cultiver et consommer la tomate, qui a été rapidement introduite dans différents jardins botaniques européens. La tomate s’est ensuite disséminée dans tout le pourtour méditerranéen. C’est à partir de Naples qu’au XVIIe siècle, la tomate entre dans la cuisine italienne. Les Italiens la transmettent aux Provençaux. Ceux-ci la désignent sous le nom de « Pomme d’Amour », mais ne se décident à sa consommation qu’à la génération suivante. Longtemps, les Français croient que la tomate est toxique et la considèrent comme une plante d’ornement. En 1790, les Marseillais font découvrir les tomates aux Parisiens, à l’occasion des célébrations de l’anniversaire de la Révolution. Plus tard, le développement des chemins de fer permet aux tomates de Provence d’être commercialisées dans le nord de la France. De plus en plus de types différents apparaissent. Au cours du XIXe siècle, la production des tomates connaît un développement considérable, grâce aux progrès de l’irrigation, qui permet d’accroître à la fois surfaces cultivables et rendements. Parallèlement, la tomate est amenée par les colons en Amérique du Nord, où sa consommation s’étend lentement.

La sélection

Les sociétés semencières sélectionnent certains cultivars pour des caractères d’intérêt agronomique dès la fin du XVIIIe siècle. La nature autogame de cette espèce permet aux générations successives de ressembler aux générations précédentes. Néanmoins, les producteurs, puis les sélectionneurs, ont sélectionné des mutations ponctuelles apportant aux fruits ou à la plante des caractéristiques nouvelles, de cou- leurs et de formes du fruit, mais surtout une augmentation de sa taille. On a montré par exemple que la forme allongée de la variété traditionnelle San Marzano, du sud de l’Italie, vient d’une mutation qui serait apparue dans ce pays. Toutes les espèces sauvages apparentées à la tomate sont natives de la région andine de l’Amérique du Sud. Ces espèces, qui peuvent être croisées avec la tomate cultivée, ont joué un rôle capital dans l’amélioration variétale car elles représentent des sources de résistances à un grand nombre de maladies et d’adaptation à des environnements variés. À partir des années 1970, les sociétés semencières se lancent dans des programmes de sélection ambitieux et travaillent particulièrement sur le rendement, l’adaptation aux nouvelles conditions de culture et plus récemment sur la qualité du fruit. Les hybrides F1 ont remplacé depuis lors les variétés du type lignée pure.

 

La tomate a pris une place essentielle dans notre alimentation, à l’échelle mondiale © C. Slamulder

La recherche et les collectionneurs pour conserver les anciennes variétés

Plusieurs centres de recherche et des collectionneurs amateurs conservent les anciennes variétés de tomate. La plus importante est celle développée par Charles Rick, qui conserve des centaines de lots d’espèces sauvages sud- américaines.

En France, l’Unité Inrae de génétique et amélioration des fruits et légumes coordonne un réseau de conservation de plusieurs milliers de variétés traditionnelles. La tomate a pris une place essentielle dans notre alimentation, à l’échelle mondiale. Malgré cette importance, peu de détails sont connus sur son histoire ancienne.

Lorsque la tomate est arrivée à la cour espagnole, au XVIe siècle, elle avait été domestiquée depuis plusieurs siècles, d’abord au Pérou, puis au Mexique et était déjà largement utilisée par les Aztèques.

 

Les analyses de l’ADN ont permis de dater le début de sa domestication il y a environ 8 000 ans. Sa diffusion à travers les différents continents a entraîné une forte réduction de la diversité génétique au niveau moléculaire malgré l’explosion de la variation morphologique qu’on lui connaît. Cette réduction de diversité est due à trois goulets d’étranglement successifs.

Tout d’abord, la domestication en deux étapes, qui a débuté sans doute inconsciemment dans les vallées andines avant la migration de tomates cerises jusqu’au Mexique, puis le passage d’un nombre limité de cultivars en Europe et, enfin, l’amélioration moderne en Europe et aux États-Unis, qui a encore diminué le pool de géniteurs des programmes de sélection. Heureusement, les espèces apparentées d’Amérique du Sud ont été utilisées afin de restaurer une part de la diversité originale et de découvrir de nouvelles caractéristiques qui ont permis à la tomate de s’adapter à des conditions très diversifiées.

 

Mathilde Causse
UR génétique et amélioration des fruits et légumes, Inrae, Avignon