Et pourtant elles tournent !

Noëlle Dorion

Les plantes mettent en jeu des dispositifs étonnants pour prendre de la hauteur[1]. Comme l’écrivait Darwin : « l’avantage obtenu en grimpant est d’atteindre la lumière et l’air libre avec aussi peu de dépenses que possible de matière organique ». En effet, les plantes grimpantes dépensent peu d’énergie à mettre en place le tronc nécessaire à une croissance autonome pérenne. Nous nous intéressons ici à celles dont les tiges s’enroulent (volubiles) et à celles qui lancent leurs tiges et leurs feuilles comme des lassos (vrilles).

Un exemple d’enroulement des vrilles : la passiflore (Passiflora caerulea) - © N. Dorion
Un exemple d’enroulement des vrilles : la passiflore (Passiflora caerulea) – © N. Dorion

Pour comprendre les mécanismes qui permettent aux plantes grimpantes leurs acrobaties, rappelons que la survie d’une plante, organisme incapable de se déplacer, dépend de sa sensibilité à l’environnement. Curieusement, nombre de réactions à celui-ci sont des mouvements. Darwin[2], le premier, a décrit trois sortes de mouvements : la circumnutation, les tropismes et les nasties.

Phototropisme et gravitropisme

Les mouvements associés aux tropismes regroupent ceux déterminés par la direction du stimulus. Ainsi, les parties aériennes de la plante ont un phototropisme positif. Ce mécanisme permet à la plante de s’orienter, voire de se pencher vers la lumière incidente de façon à bénéficier d’un éclairement optimum. La croissance de la plante est aussi orientée par la pesanteur, on parle de gravitropisme : la plante s’oriente à la verticale, sa tige vers le ciel même à l’obscurité et sa racine vers le sol. Chacun peut observer facilement ce phénomène. Placez une plante à l’horizontale et vous verrez bientôt la tige se redresser. La courbure de l’organe en direction du stimulus est due à une croissance différentielle de la partie supérieure (plus longue) et de la partie inférieure (plus courte). On sait depuis longtemps que l’auxine[3] et les phytochromes[4] sont impliqués dans ces phénomènes.

Doués de circumnutation

Dans le cas des nasties, la direction est déterminée par l’anatomie de l’organe dont les mouvements sont dus à des changements souvent réversibles de la pression osmotique[5] des cellules d’un organe moteur impliquant des flux de potassium. Une thigmonastie[6] bien connue est la fermeture des folioles de la sensitive (Mimosa pudica) quand on la touche.

La circumnutation est le processus par lequel les apex décrivent dans l’espace une trajectoire plus ou moins circulaire ou hélicoïdale. On sait maintenant que toutes les plantes et tous les organes sont doués de circumnutation, bien que la période et l’amplitude du mouvement diffèrent selon les espèces et entre les organes. On observe facilement ce phénomène chez le jeune plant de tournesol. Mais c’est chez les plantes grimpantes que le phénomène est le plus important, permettant à la plante d’explorer son environnement à la recherche du tuteur approprié. Il a été montré que les tiges volubiles ont une tendance (92 % des espèces testées) à tourner vers la droite et ceci indépendamment de leur localisation dans l’hémisphère nord ou sud. Pour les vrilles, l’enroulement dépend du support, et a lieu suite au contact. Les cellules en contact avec un objet produisent de l’éthylène[7] ce qui inhibe la croissance de ce côté, tandis que de l’autre la croissance continue facilitant l’enroulement. La vrille peut s’enrouler de plusieurs tours autour du support en une heure. Chez Passiflora caerulea, elle peut aussi s’enrouler sur elle-même (ressort) Le sens de l’enroulement est prédéterminé par une asymétrie de la structure de la vrille.

La vrille peut s’enrouler de plusieurs tours autour du support en une heure. Chez Passiflora caerulea, elle peut aussi s’enrouler sur elle-même - N. Dorion
La vrille peut s’enrouler de plusieurs tours autour du support en une heure. Chez Passiflora caerulea, elle peut aussi s’enrouler sur elle-même – N. Dorion

Le rôle majeur de la gravité

Darwin pensait que la circumnutation était inhérente aux plantes et indépendantes de toutes les réponses tropiques ou nastiques. Des travaux récents (2005[8]), comparant le comportement d’un volubilis (Ipomoea nil) et de son mutant retombant (non volubile et insensible à la gravité) ont montré que la circumnutation et l’enroulement sont, en fait, des phénomènes dépendant de la pesanteur. Le fait de toucher le support n’aurait qu’un effet secondaire pour les tiges volubiles.

Dans les plantes, la pesanteur est perçue par des cellules particulières (statocytes) qui contiennent des plastes modifiés, lourds car riches en amidon (statolithes). Ils s’orientent dans la cellule en fonction de la gravité, de sorte qu’ils sont toujours à la face inférieure de la cellule. On connaît bien ceux présents dans la coiffe de la racine. On sait maintenant qu’ils en existent aussi dans la partie la plus interne des tissus superficiels de la tige (pseudo-endoderme). Dans les volubilis étudiés, le type sauvage possède un endoderme normal avec des amyloplastes sédimentés à la base des cellules, tandis que le mutant (un seul gène impliqué) ne possède pas d’endoderme. Ceci prouve, d’une part, le rôle majeur de la gravité dans les phénomènes de circumnutation et d’enroulement et contredit, d’autre part, l’hypothèse de Darwin.

Combinaison de deux processus

Le gravitropisme semble également être associé à une redistribution asymétrique du calcium dans la partie basale des cellules racinaires et dans la partie apicale des cellules de la tige ainsi qu’à une distribution asymétrique de certaines protéines de la famille PIN qui prennent en charge le transport polarisé de l’auxine. Une croissance différentielle se met ainsi en place assurant par exemple le retour à une croissance verticale vers le haut pour la tige et vers le bas pour la racine. On considère actuellement que ce processus serait une combinaison de deux mécanismes l’un interne, impliquant la gravité permettant à la plante de distinguer les parties membranaires hautes et basses d’une cellule, l’autre externe impliquant des mouvements intercellulaires de molécules tels que calcium et auxine. L’interaction entre ces deux mécanismes permettrait de créer une vague de croissance qui se propage autour de l’organe et le ferait tourner.

Remerciements pour sa relecture attentive à Jean Louis Hilbert, professeur à l’Université de Lille 1 et membre du conseil scientifique de la SNHF.

[1] Voir l’article d’Alain Cadic dans ce dossier

[2] Darwin C (1865) On the movements and habits of climbing plants. Journal of The Linnaean Society of London (Botany) 9 : 1-118 et Darwin C (assisted by Darwin F) (1880) The power of movements in plants – London J. Murray

[3] Se reporter aux articles sur « hormones végétales, régulateurs de croissance et horticulture » dans la rubrique botanique de Jardins de France

[4] Les phytochromes sont des pigments actifs dans les processus de morphogenèse végétale sensibles à la lumière rouge (hors photosynthèse).

[5] Les modifications de pression osmotique des cellules résultent schématiquement de l’entrée ou de la sortie de solutés des cellules, dues à des modifications de perméabilité membranaire et entraînant rapidement chez des cellules à parois souples des augmentations ou des diminutions de volume.

[6] Mouvement des plantes résultantes d’un choque ou d’un frottement.

[7] Voir note n°3

[8] Kitazawa et al. (2005) Shoot circumnutation and winding movements require gravisensing cells. PNAS, 102, 18742–18747

 

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