Enflammons-nous pour une haie sans feu

Bruno Teissier du Cros

En assurant une continuité végétale avec la forêt, la haie peut facilement propager un incendie loin à l’intérieur d’un lotissement, pour détruire des habitations – © INRA

Se pensant à l’abri chez eux, au sein de leur quartier résidentiel, les témoins observent, médusés, le mur de flammes immenses ravageant la forêt voisine se ruer entre les maisons, dans un bruis assourdissant, une chaleur intenable et des fumées irrespirables. Les pompiers sont débordés, des toits sont en torche, pourtant loin du front de feu principal, c’est l’enfer !

Après le passage des flammes, c’est le constat. Certaines maisons calcinées sont au cœur du quartier et d’autres, épargnées, sont en lisière de la forêt détruite. Un peu partout, des rangées de moignons carbonisés ont remplacé les haies. A l’évidence, ce sont elles, qui ont propagé le feu dans la résidence.

Pourquoi cette maison et pas l’autre ?

Le type de haie qui propage un feu suffisamment intense pour impacter une maison est constitué d’une succession linéaire d’une espèce unique – © INRA

Avec la disparition progressive de l’agriculture extensive et du pastoralisme, il y a 150 ans, la forêt a repris du terrain. Dans le même temps, l’attrait du soleil et la douceur du climat méditerranéen ont favorisé l’extension des villes et villages, de plus en plus en contact direct avec les milieux boisés alentours. Avec le morcellement du paysage par l’urbanisation individuelle du pourtour méditerranéen, la haie est devenue très courante. En assurant une continuité végétale avec la forêt de proximité, la haie peut facilement propager un incendie loin à l’intérieur d’un lotissement, pour détruire des habitations à l’écart de la forêt.

Lorsqu’il n’est pas éteint au stade initial, l’incendie de forêt dégage une telle quantité d’énergie qu’il est difficilement maîtrisable. Dans le pire des cas, les moyens humains ne font pas le poids. Seuls la mer, un vent contraire ou une grosse pluie peuvent arriver à l’arrêter ou tout du moins le ralentir suffisamment pour aider les secours à l’éteindre. C’est un fait, sous climat méditerranéen, ce n’est pas le feu qui s’introduit chez l’homme mais c’est l’homme qui s’invite chez le feu.

Doit-on éradiquer toutes les haies ?

Les haies sont essentielles à la biodiversité et au paysage, y compris dans les jardins. Elles doivent être préservées par des actions souvent simples, sans qu’elles deviennent un danger pour autant.

Les experts constatent que le type de haie qui propage un feu suffisamment intense pour impacter une maison est constitué d’une succession linéaire d’une espèce unique. Cette haie se caractérise par une croissance homogène et un entretien réduit, voire inexistant. Au contraire, les experts observent qu’un autre type de haie ne se consume pas bien. A leur contact, les jardins concernés sont restés verts et les maisons intactes. Cette haie que l’on nomme « libre » est constituée d’espèces variées, de tailles différentes. En cas d’incendie, les quelques espèces inflammables dans la haie seront protégées par les espèces peu inflammables. La propagation des flammes sera moins aisée et surtout moins intense.

Ce type de haie devient à la mode dans le monde du jardinage actuel : haie fleurie, haie vive, haie champêtre, haie basse… Même si tout végétal est inflammable dans les pires conditions, on peut considérer que la haie libre ne deviendra pas systématiquement un vecteur de flammes. Majoritairement constituées d’arbustes persistants (buis, Elaeagnus, laurier, troène…), ces haies remplissent très bien aussi leur fonction de rempart visuel.

Les espèces à bannir

Le cyprès
Le cyprès, très peu inflammable au laboratoire, devient explosif sur le terrain- © INRA

De façon à apporter plus de finesse à la seule observation empirique des haies en feu, l’ONF a réalisé une étude sur les paramètres d’inflammabilité d’une vingtaine d’espèces d’ornement présentes majoritairement dans les haies. Ceux-ci ont été mesurés à l’aide d’un laboratoire, prêté par l’INRA et spécifiquement dédié à ces mesures.

Il existe une cohérence réelle entre le comportement de l’espèce sur le terrain et l’espèce au laboratoire. Une seule sort totalement du lot : le cyprès. Très peu inflammable au laboratoire, il devient explosif sur le terrain. Ceci s’explique par sa physionomie. Sa partie vivante à la bordure du houppier, mesurée en laboratoire, est peu sensible au feu. Par contre, la présence de résidus morts et secs, bourrés d’essences naturelles, accumulées en son sein, dégage une telle énergie qu’elle correspond à peu près à la puissance d’un avion de chasse au décollage. Tout bâti à proximité n’y résiste pas. Emblème méditerranéen, peu exigeant, le cyprès est un phénomène de mode depuis quarante ans. Du coup, si on tient compte du risque, il est trop présent partout. Le conseil est simple, l’éloigner le plus loin possible des habitations et à plus de 50 mètres de la forêt.

Autre poids lourd de l’inflammabilité : le mimosa. Si le feu prend dans une haie ou un peuplement de mimosas, des flammes d’une rare intensité vont se propager dans un crépitement assourdissant et projeter des millions d’étincelles sur plusieurs centaines de mètres. Très difficiles à défendre, les habitations concernées auront beaucoup de chance d’en réchapper.

Moins grave certes, il faut aussi se méfier des haies de fusains, de laurier noble, laurier tin et même laurier rose. On peut éventuellement les garder à conditions de les arroser périodiquement, surtout quand il fait chaud.

Les espèces à privilégier

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Privilégier et varier les espèces les moins sensibles au feu – © INRA

Les autres espèces employées pour les haies sont moins sensibles car elles ont naturellement une meilleure teneur en eau. Certes, elles vont brûler mais globalement, elles ne dégageront pas assez d’énergie pour inquiéter une maison. Il s’agit, en particulier, du lierre et de la vigne vierge qu’on peut laisser se développer le long des murets. De même pour les Pyracantha. Et ce, malgré leurs inconvénients : espèce envahissante, aux piquants acérés et dangereux au point de crever des pneus de voiture, fruits toxiques. Attention cependant à ne pas sous-estimer la puissance d’un feu capable de transformer en torche l’espèce la plus inoffensive. Pour preuve, à Marseille en 2009, une maison a brûlé à cause d’un agave planté au pied du mur.

Certes, plus sensible au feu que les trois espèces précédentes, on peut aussi faire appel à l’aubépine si elle est contenue par la taille et si elle n’est pas trop proche de la forêt. Dans le même registre, les Cotoneaster, les Elaeagnus, les fusains, les Pittosporum et les troènes peuvent faire l’affaire. Dans tous les cas, le mélange est à privilégier.

Transformer progressivement sa vieille haie

Quand il n’est pas possible de tout couper d’un coup, toutes ces haies fortement inflammables peuvent être éliminées progressivement en coupant 2 arbres sur 3, afin de laisser la place à d’autres espèces moins inflammables. On peut donc petit à petit limiter la présence de ces espèces à risque, en les mélangeants aux autres espèces.

Même si les haies à risque sont progressivement remplacées par des haies libres moins sensibles, il ne faut pas pour autant les garder trop proche des maisons.

Débroussaillement obligatoire

N’importe quel végétal peut transmettre le feu à un bâti s’il est trop proche. A ce titre, les arrêtés préfectoraux des départements concernés par les obligations légales de débroussaillement indiquent tous que les haies doivent être éloignées de plus de trois mètres du faîtage du toit. Soyons vigilant tant pour soi, ses biens que ceux de ses voisins.

La garrigue, le maquis et le feu, unis pour la vie

Après un feu, la garrigue (sol calcaire) et le maquis (sol acide) retrouvent leur aspect d’origine au bout d’une quinzaine d’années en moyenne. Dans l’absolu, sans perturbation, ces formations végétales ne sont qu’une très lente évolution vers la forêt mésophile telle qu’elle existait avant le néolithique. Dans la réalité, l’homme et ses usages ont fait du feu une constante qui favorise le développement des espèces pyrophytes au détriment des autres. Leur atout c’est d’employer diverses stratégies pour subsister après le passage des flammes. Prenons deux exemples, le pin d’Alep et le chêne Liège. Avec ses aiguilles très inflammables, le houppier du pin va s’enflammer violemment. Les cônes vont exploser sous la chaleur pour libérer au loin leurs graines ailées. L’arbre est mort mais il aura rempli sa mission de dissémination dans un large périmètre. Le chêne liège, lui, n’est pas inflammable mais déteste la compétition avec les autres espèces. Son atout, c’est son écorce qui le protège du feu. Après les flammes, il sera le seul survivant. Les autres espèces reviendront mais elles mettront plusieurs dizaines d’années avant de l’inquiéter. Pour conclure, vivre avec les espèces pyrophytes, c’est vivre avec le feu.

Bruno Teissier du Cros

A lire …

Guide DFCI – Sensibilité des haies faces aux incendies de forêt sous climat méditerranéen. Téléchargeable sur : www.dpfm.fr

 

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