Anémones et Renoncules, de l’Inra aux professionnels

Jacques Meynet

L’anémone (Anemone coronaria L.) et la renoncule des fleuristes (Ranunculus asiaticus L.) sont deux espèces originaires de l’Est du bassin méditerranéen introduites et cultivées à des fins ornementales depuis de nombreux siècles, elles sont cultivées pour leurs fleurs coupées dès le milieu du XXe siècle. Pour des raisons techniques (état sanitaire, efficacité et coûts des méthodes de multiplication végétative), ces espèces sont cultivées à partir de tubercules (« pattes » d’anémone et « griffes » de renoncule) pour améliorer les performances de floribondité et de précocité.

Anémone : Une variété typique du niveau tétraploïde par sa forme et son coloris - © Ets Comptoir Paulinois

La filière comprend des sélectionneurs, des producteurs de graines (pollinisations manuelles de géniteurs sélectionnés), des bulbiculteurs (une année de grossissement de tubercules à partir de graines), et des floriculteurs producteurs de fleurs. Les travaux de recherche à Fréjus ont porté d’une part sur l’approfondissement des connaissances de physiologie et, d’autre part, sur la création de variétés nouvelles.

 

Physiologie des anémones et renoncules

La croissance et le développement des anémones et renoncules sont parfaitement adaptés aux conditions climatiques méditerranéennes. Elles fleurissent naturellement au printemps après une phase juvénile soumise à la fraîcheur hivernale, puis les organes de conservation (tubercules) et de dissémination (graines) drainent à leur profit les ressources nutritives avant d’entrer en dormance pour traverser les rigueurs de l’été dans un état de déshydratation très poussé (souvent moins de 15 % d’eau). Chez l’anémone la tubérisation de l’épicotyle débute aussitôt après la germination, puis le collet de la rosette se renfle pour constituer un très court rhizome (photo a), elle se poursuit pendant toute la vie de la plante (photo b) ; en revanche chez la renoncule la tubérisation des racines (photo c) est induite par les jours dont la longueur dépasse 13 heures. Dans les deux cas la levée de dormance est favorisée par des températures élevées (35oC).

Ces caractéristiques ont des conséquences évidentes sur les cultures :

- Pour les horticulteurs méditerranéens, autant il est facile de reproduire le cycle naturel avec une floraison en février mars, autant la floraison hâtive et continue à contre saison nécessite une grande maîtrise des principaux facteurs contrôlant la physiologie de ces deux espèces.

- Pour les autres, les contraintes climatiques sont extrêmement pénalisantes : dans le Nord, les déficits lumineux hivernaux les astreignent pratiquement à une seule floraison de printemps ; dans les zones subtropicales les températures excessives et peu contrastées excluent de fait toute production florale.

aPatte d'anémone jeune - © N. DorionbPatte d'anémone âgée - © N. DorioncGriffe de renoncule - © N. Dorion


L'importance de la température

Seules les cultures à partir de pattes et de griffes permettent d’assurer une production de fleurs tout à la fois précoce, abondante et de bonne qualité. Contrairement à une plante issue de graine, le tubercule porte un ou plusieurs bourgeons qui donnent rapidement des feuilles adultes (limbes larges et découpés) et il fournit une alimentation aux jeunes pousses se traduisant par un véritable effet « starter ». Cet effet est d’autant plus net que le rapport du poids des tubercules sur le nombre de pousses est plus élevé. Chez l’anémone le « clou » (patte d’un an) ne porte qu’un seul bourgeon terminal ; nous observons une bonne relation entre son poids et la vitesse de croissance initiale et la précocité de floraison. Chez la renoncule cette relation n’existe que pour les petites griffes car au-delà d’un certain calibre (poids moyen d’une griffe sèche = 1 g), c’est le nombre de pousses qui augmente corrélativement avec le poids de la griffe, mais la précocité de floraison reste inchangée. Chez les deux espèces, l’induction florale est favorisée par les températures basses de sorte qu’il est théoriquement possible de hâter la floraison en soumettant les pattes et les griffes au froid. Pour que ce traitement soit efficace, les tubercules doivent être réhydratés et physiologiquement actifs (non dormants).En réalité, l’expression de la vernalisation varie beaucoup chez les deux espèces en fonction de la température du sol pendant la phase juvénile. La vernalisation peut hâter la floraison sans arrière effets négatifs sur la qualité et le nombre de fleurs produites si les températures sont proches de l’optimum pour la croissance des plantes soit 16oC à 18oC, et au maximum 22oC à 10 cm dans le sol.

En revanche, si les températures sont excessives on observe :

Chez l’anémone, un avortement des boutons induits et un prolongement de la phase juvénile avec une production anormalement abondante de feuilles;

Chez la renoncule, les boutons induits se développent et croissent très rapidement pour ne donner qu’un petit nombre de fleurs de mauvaise qualité. La végétation ne pourra redémarrer que très tardivement de sorte que la vernalisation des griffes de renoncule apparaît comme très risquée.

D’une manière générale, la température du sol joue un rôle déterminant sur la vitesse de croissance et de développement des deux espèces, et corrélativement sur la qualité des fleurs (poids, dimensions des pétales, duplicature des fleurs de renoncule); cette influence est aggravée au printemps avec l’allongement des jours.

Serre de séléction - © Ets Comptoir Paulinois


Serre de séléction - © Ets Comptoir Paulinois Architecture et multiplication

L’architecture des plants d’anémone et de renoncule résultant de l’activité méristématique explique en grande partie le calendrier de floraison. L’anémone fonctionne selon un schéma de développement de type sympodial : les relais de croissance sont assurés par des bourgeons axillaires situés dans la zone apicale, leur développement successif constitue un axe florifère à entrenoeuds très courts. Des ramifications peuvent survenir produisant autant d’axes sympodiaux dont le nombre est un élément important de la productivité. En revanche la renoncule présente une croissante déterminée. Chaque pousse primaire, portée par la griffe, produit 2 à 4 inflorescences qui prennent toutes naissance dans la zone apicale. Ce n’est qu’après cette première vague de floraison que le relais de croissance est pris par des bourgeons axillaires basitones (originaires de la base) de la rosette. Ces bourgeons vont se développer comme la pousse initiale en produisant d’abord des feuilles en rosette puis une deuxième vague de floraison printanière. Chaque pousse développe son propre système racinaire et réitère une plante autonome ; après tubérisation des racines il sera relativement aisé de fragmenter la griffe mère. L’architecture des plantes est donc très différente chez les deux espèces et explique en particulier la possibilité de multiplication végétative chez la renoncule. Les principaux facteurs physiologiques de la floraison ont été succinctement présentés. Il faudrait ajouter les effets variétaux et culturaux notamment la maîtrise de l’alimentation hydrique. Ce sujet a certainement une importance capitale surtout dans les conditions de températures élevées. Les déséquilibres entre les besoins en eau liés à une forte évaporation et une croissance rapide d’une part, et les apports restreints par un mauvais fonctionnement racinaire d’autre part sont probablement à l’origine des problèmes de qualité florale et la survenue de phénomènes irréversibles de la sénescence.

 

Biodiversité et amélioration variétale

La multiplication végétative des renoncules a parfois été mise en œuvre pour obtenir et diffuser des variétés clones mais systématiquement celles-ci sont très vite atteintes par des viroses et des maladies vasculaires incompatibles avec un usage commercial. Les programmes conduits à l’INRA ont donc visé la création de variétés nouvelles reproduites par graines. Chez l’anémone, un des principaux objectifs du travail réalisé a été l’obtention de variétés à très grandes fleurs permettant de valoriser au mieux la culture sous serres. L’observation de l’incidence du niveau de ploïdie sur les dimensions des organes floraux a incité à orienter ce programme vers la création de variétés tétraploïdes. La polyploïdisation mitotique a été réalisée après l’application in situ de colchicine (2 o/oo) mêlée à de la lanoline sur des bourgeons apicaux. Ces traitements ont abouti à des plantes dont les cellules constituent des sortes de mosaïques de deux niveaux de ploïdie : diploïdes et tétraploïdes. Ces plantes sont dites mixoploïdes. Ces mélanges (chimères) se retrouvent dans les cellules sexuelles, en particulier dans le pollen. Les plantes mixoploïdes peuvent donc être repérées par examen de la taille des grains de pollen dépendant de leur niveau de diploïdie. Les croisements entre plantes mixoploïdes permettent d’obtenir des descendants entièrement tétraploïdes donnant eux-mêmes des descendances homogènes tétraploïdes. Ces premières plantes tétraploïdes à fleurs géantes présentaient de fréquentes malformations du gynécée, des tépales trop larges et courts, des pédoncules fasciés… Ces défauts ont été corrigés après 4 à 6 générations d’hybridation et de sélection au niveau tétraploïde. Ce travail a été concrétisé par une gamme de variétés synthétiques commercialisées sous le nom de « Tétranémones » comprenant tous les coloris connus chez les anémones diploïdes et un coloris nouveau rose pâle à cœur noir. Pour améliorer la longueur des tépales et la forme de la fleur, il a été introduit dans le matériel de base une remarquable variété diploïde à grandes fleurs en forme de tulipes nommée « Mona Lisa » dont le nombre chromosomique avait été préalablement doublé. Les hybrides obtenus entre les deux familles de géniteurs tétraploïdes (Tétranémone et « Mona Lisa » 4x) ont abouti à une nouvelle gamme variétale appelée « Mariane ». Enfin un assortiment de variétés triploïdes a été obtenu par hybridation de géniteurs tétraploïdes utilisés comme parent femelle et un parent mâle diploïde. Ces variétés présentent souvent des caractéristiques morphologiques proches de celles des tétraploïdes avec une meilleure précocité et une productivité florale supérieure. Cependant la production de graines hybrides et la germination des pattes sont parfois délicates et irrégulières.

Renoncule : Biodiversité relative aux coloris - © Ets Comptoir Paulinois

Ressemblance et consanguinité

Chez la renoncule, l’objectif principal du programme a été l’obtention d’hybrides produisant des fleurs en abondance, notamment en hiver, et de grande qualité pour la confection de bouquets : tiges longues, rigides et peu ramifiées, duplicature intense et stable même au printemps, coloris francs et homogènes. Cette espèce diploïde ne produit pas de graines après autofécondation, elle est dite auto incompatible. Elle a fait l’objet de plusieurs cycles de sélection (souvent entre 6 et 10) comprenant alternativement une génération de croisement consanguin (entre frère et sœur d’une même famille) puis une génération d’hybridation entre plantes non apparentées. Généralement les plantes sélectionnées dans les plans de croisements sont retenues sur des critères de ressemblance et d’intérêt esthétique et agronomique. Ce schéma de sélection récurrent s’est poursuivi jusqu’à l’obtention d’hybrides jugés prometteurs et suffisamment homogènes. Les individus parentaux furent alors multipliés par voie végétative pour permettre la reproduction à grande échelle du prototype expérimental. Douze hybrides de clones consanguins ont ainsi été diffusés sous le nom générique de « Friandine ». A la suite d’essai de culture in vitro d’étamines visant l’obtention de lignées pures homozygotes, il est apparu des embryons somatiques ayant les mêmes bases génétiques que la plante donneuse d’origine. Cependant des plantes originellement à fleurs jaune pâle frangées de pourpre ont engendré des dérivés somatiques à fleurs entièrement pourpres. Ces dérivés ont été intégrés dans le programme de sélection et ont abouti à des coloris nouveaux (pourpre, bronze et violine). Une gamme nouvelle de variétés a ainsi été créée en co-obtention avec un établissement privé partenaire de l’Inra et est commercialisée sous la dénomination « Pauline ». Il est à noter que la polyploïdisation des renoncules n’a pas d’effet significatif sur la taille des organes floraux contrairement à ce qui a été observé et exploité chez l’anémone.


Une variété particulièrement appréciée par le marché actuel - © Ets Comptoir Paulinois Un rêve de lignées pures variées

Bien que les deux espèces étudiées appartiennent à la même grande famille botanique des Renonculacées, elles ont développé chacune des mécanismes d’adaptation au climat méditerranéen qui leur sont propres : dépendance ou non de la tubérisation au photopériodisme, antagonisme ou concomitance de la croissance et de la tubérisation. Ces connaissances de physiologie sont des acquis essentiels pour une bonne maîtrise de la conduite culturale mais aussi pour une bonne efficacité de la sélection sur des critères agronomiques. La création variétale, en revanche, apparaît comme une histoire sans fin traduisant des efforts pour répondre au mieux à des demandes socio-économiques qui évoluent sans cesse. Cette histoire procède par étapes, sa réussite dépend à la fois de la pertinence des méthodes de sélection et de la richesse des ressources de base. Nous avons appliqué ces principes en introduisant, par exemple « Mona Lisa » dans nos programmes d’amélioration de l’anémone ou les variants pourpres dans ceux de la renoncule. De telles applications se poursuivent traduisant l’intérêt de ces espèces et le dynamisme de sélectionneurs privés, nous avons ainsi noté par exemple l’obtention récente de renoncules à fleurs géantes ou à cœur vert. Les perspectives feront probablement appel à de nouvelles biotechnologies. Les applications de la culture in vitro ont abouti à un résultat marginal lié à la vitro variation. Les essais de multiplication conforme par bouturage in vitro ont été limités à la restauration sanitaire d’un ancien clone très cultivé « Barbaroux », et à la multiplication des clones parentaux des hybrides « Friandines ». Ces plantes ont été très vite de nouveau contaminées dès lors qu’elles constituaient un pied de cuve originel et qu’elles faisaient ensuite l’objet de multiplication traditionnelle par éclat de griffes. Il faudrait donc trouver une méthode de vitro propagation suffisamment efficace et économique pour que les vitro plants obtenus puissent être traités comme des plants de semis renouvelés chaque année. La culture d’anthère in vitro a donné naissance à des plantes d’origine pollinique ; elles sont pour la plupart diploïdes et dérivent du doublement spontané du nombre chromosomique de cellules haploïdes. L’aptitude à l’androgenèse (obtention de plantes issues de pollen) est très dépendante de l’origine génétique du donneur et fortement héritable de sorte qu’il paraît envisageable de sélectionner un matériel de base apte à l’androgenèse et très diversifié. Cette possibilité permet de rêver à l’obtention de lignées pures variées suffisamment vigoureuses pour servir de parents à de vrais hybrides F1 parfaitement homogènes.

 

Michel Velé

Anémone et Renoncule : le point de vue d’un professionnel

L’anémone (Anemone coronaria L.) et la renoncule des fleuristes (Ranunculus asiaticus L.) sont deux espèces originaires et cultivées dans le bassin méditerranéen depuis des siècles. La production de griffes, pattes et clous est néanmoins ancienne dans les terres sablonneuses de la vallée de la Loire et spécialement en Anjou. Les travaux de recherche récents menés à l’INRA nous ont permis de poursuivre le développement de la production et de la commercialisation de ces deux espèces en Anjou, d’une part par l’approfondissement des connaissances de la physiologie, des caractéristiques culturales et d’autre part par la création de variétés nouvelles.

La création variétale
Pour des raisons économiques et techniques (état sanitaire), la production de ces deux espèces par graines a été privilégiée par rapport à la multiplication végétative. Les programmes conduits à l’INRA ont permis de commercialiser des variétés de haute qualité. Avec ces techniques et des matériels d’origine différente, nous avons pu créer trois catégories de renoncule (Estrella pour fleur à couper, Médinella pour massif et Orientina pour la culture en pot) par des croisements consanguins et l’hybridation entre plantes non apparentées. Au total 24 hybrides sont ainsi diffusés. Par la technique de la polyploïdisation, de la sélection et des croisements consécutifs, nous avons pu sélectionner et commercialiser 5 coloris d’anémone pour fleur à couper sous le nom « Extranémone », en utilisant des anémones d’origine très différente. Les travaux réalisés dans l’entreprise apportent une amélioration importante pour les fleuristes : tige solide et longue, fleur géante, coloris vifs …
Ces travaux nous ont permis également de diversifier certaines caractéristiques des anémones :
- obtention des plantes à tige très courte pour la culture en pot ;
- obtention de coloris jusqu’alors inexistants (crème, rose très claire, violet…).
Ces nouvelles sélections sont en cours d’évaluation.


La culture in vitro
La multiplication végétative par division des griffes des géniteurs de renoncule pose le gros problème de l’état sanitaire. En effet, la pratique de cette technique traditionnelle augmente le risque des maladies, notamment des viroses et des maladies vasculaires. La culture in vitro des méristèmes nous a permis d’assainir les plantes atteintes de ces maladies et de maintenir un état sanitaire satisfaisant pour les géniteurs. La création variétale par croisement consanguin est longue et lourde. La culture in vitro des étamines permet d’obtenir rapidement des lignées pures homozygotes. Par cette technique, nous avons pu améliorer la longueur de tige, la taille de la fleur, l’homogénéité de couleur de certaines sélections. Nous avons vu ainsi apparaître certains coloris jusqu’alors inexistants tels bronze, mauve et pourpre et des parfums intéressants. La micro-propagation est une autre voie rapide de diffusion des clones de très haute qualité de renoncule des fleuristes. Nous avons mis au point d’une technique de production de la renoncule au niveau industriel. Ces technologies - culture des méristèmes, micro-propagation, androgenèse, polyploïdisation… - pourraient dans l’avenir apporter d’autres progrès pour le développement de l’anémone et de la renoncule, à condition que les méthodes soient suffisamment efficaces et économiques pour la production. L’approfondissement des connaissances de la physiologie et des caractéristiques culturales améliorera certainement la productivité, la qualité, donc l’économie de ces deux espèces.

Michel Velé, Ernest Turc-Florinov

 

novembre-décembre 2012

3 thoughts on “Anémones et Renoncules, de l’Inra aux professionnels”

  1. Bonjour, je suis une ingénieure agronome et j’ai besoins si c’est possible des techniques culturales nécessaires pour la culture des renoncules et les traitements phytosanitaires et merci.

  2. Bonjour,
    Merci de ce très intéressant article.
    Auriez vous cet article en anglais?
    Ce serait génial
    Merci
    Verene Kutter

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