André Briant (1933-2009), un temps d’avance

Cristiana Oghină-Pavie

En 2006, André Briant a accepté de participer à une enquête historique qui avait pour objectif de recueillir les témoignages des acteurs du végétal en Anjou. Trois entretiens, d’une durée totale de quatre heures, ont eu lieu au siège de l’entreprise André Briant Jeunes Plants, à la Bouvinerie, à Saint-Barthélemy-d’Anjou. Ces entretiens ne forment pas un autoportrait car André Briant, discret et peu enclin à la nostalgie, a évité de parler de lui-même.

André Briant a préféré se livrer à une réflexion sur les décisions stratégiques prises face aux défis soulevés par les transformations de l’horticulture depuis les années 1960 jusqu’au début des années 2000. Se profile toutefois, en filigrane, le portrait d’un homme discret, instruit et intelligent, dont le goût pour l’analyse des situations complexes et le discernement se reflètent dans l’histoire de l’entreprise qu’il a dirigée.

Il est né en 1933, l’année où son père, Charles Briant, horticulteur à Saint-Florent-le Vieil, reprend la pépinière Jacques Mulot à Angers. Parmi les neuf enfants de la famille Briant, deux ont choisi l‘horticulture. Jacques, formé par une suite de stages dans plusieurs pays européens, a fondé sa propre pépinière, à laquelle il a adjoint en 1963 le commerce par correspondance et, en 1977, une jardinerie. André a choisi une autre voie, celle de la formation d’ingénieur à l’École Nationale Supérieure d’Horticulture de Versailles, suivie d’une année d’études au Washington State College à Pullman, au nord-ouest des États-Unis. Il a commencé sa carrière en tant qu’ingénieur détaché à l’Inra de Versailles. En 1962, il est revenu à Angers et dès l’année suivante, il a succédé à son père à la direction de la pépinière.

André Briant, le 31 mai 2006 au siège de l’entreprise André Briant Jeunes Plants, à La Bouvinerie, Saint-Barthélemy-d’Anjou © Cristiana Oghina-Pavie

Un nouveau type de pépinière

L’entreprise se trouvait alors confrontée à la nécessité de déplacer les terrains de production en dehors de la ville, sous la pression de l’urbanisation. Le choix de la Bouvinerie s’est fait en dépit de l’exiguïté et la médiocre qualité de ces 4 hectares, insuffisants pour une production de pépinière classique.
L’intention d’André Briant était de changer radicalement le profil de l’entreprise pour se concentrer uniquement sur la production de jeunes plants.

En faisant le pari de la spéciali­sation, André Briant avait envisagé une stratégie à long terme. L’observation des pratiques en Europe et aux États-Unis l’avait convaincu d’une imminente fragmentation de la production de végétaux entre des « multiplicateurs » et des « éleveurs ».
Devancer cette transformation, c’était occuper précocement un créneau qu’il trouvait prometteur. Cela revenait également à concevoir un nouveau type de pépinière, jusqu’alors inexistante en France et à miser continuellement sur l’innovation. Pour cela, sa formation d’ingénieur, sa connaissance des milieux de la recherche et son réseau international se sont avérés être des atouts précieux.

Tourné vers l’Europe

La spécialisation dans la production de jeunes plants fut rapide car la pépinière, de petite taille, s’est adaptée facilement à cette transformation.
Selon André Briant, le succès s’explique aussi par le capital de confiance auprès des anciens clients de Charles Briant et à l’expansion du marché de la pépinière entre 1965 et 1975 car la production de végétaux profitait plei­nement de la grande période de construction d’habitats indi­viduels et collectifs et d’infrastructures routières.
Cependant, après le premier choc pétrolier qui a touché de plein fouet l’horticulture, André Briant a entrepris d’élargir sa clientèle à d’autres pays européens : Grande-Bretagne, Italie, Allemagne, Espagne, Hollande, pays scandinaves, etc.
Cette expansion commerciale a permis à l’entreprise de compenser la décélé­ration du marché français et d’éviter les effets de la crise qui a atteint les pépinières françaises en 1980-1981:

« À partir de ce moment-là, nous jouions dans la cour des grands ».

Un adepte des nouveautés techniques

Premier à adopter la culture de jeunes plants en conteneur et sous serre, il a compris que cette révolution technique ne pouvait réussir sans l’apport de la recherche.
Dans les années 1970, il s’est engagé, aux côtés des pépiniéristes Jacques Derly et Robert Minier, dans l’implémentation de la méthode Coïc-Lesaint pour le calcul des solutions nutritives des plantes en conteneur et a poursuivi cette collaboration avec Louis-Marie Rivière et le centre d’Angers de l’Inra pour l’étude expéri­mentale des substrats.
L’emploi des hormones de bouturage, l’aménagement de serres en plastique, la brumisation, le rem­placement des godets par des plaques alvéolées, l’utilisation de la méthode in vitro pour accélérer la multiplication et garantir la santé des jeunes plants, André Briant a testé, expérimenté et adopté les nouveautés techniques.

Répondre à d’autres critères de choix

La multiplication de jeunes plants positionnait également l’entreprise sur le terrain de l’innovation variétale. Si elle n’avait pas pour clients les consommateurs finaux, elle devait saisir en avance les changements dans les pratiques de consommation pour pourvoir les pépiniéristes en plantes nouvelles.
Or, le marché subit une rupture au début des années 1980. Si les principaux clients des pépinières étaient jusqu’alors les ser­vices des espaces verts des municipalités et les paysagistes, à partir de cette date le marché des particuliers est devenu proportionnellement plus important, soit en vente directe, soit par l’intermédiaire des jardineries. Par conséquent, les végétaux produits devaient répondre à d’autres critères de choix : les particuliers cherchaient des plantes de dimensions plus réduites, des espèces ornementales florifères, étaient plus sensibles à la nouveauté et aux espèces exotiques.
Il était donc important d’impliquer l’entreprise dans l’édition et la diffusion des obtentions françaises et étrangères. Président du Syndicat d’amélioration des plantes horticoles ornementales (SAPHO) créé en 1974, André Briant s’est impliqué dans les programmes d’obtention variétale pilotés par Luc Decourtye, chercheur au centre Inra d’Angers, portant notamment sur des variétés ornementales résistantes aux maladies.

Acteur de l’horticulture angevine

Acteur de la construction des structures collectives de l’hor­ticulture angevine, André Briant voyait dans cette dynamique territoriale une chance de renforcer la profession. Après avoir été membre du conseil d’administration du Groupement départemental de développement horticole, il a contribué à la création du Bureau horticole régional et en est devenu son premier président, de 1983 à 1995. Il s’est trouvé ainsi à l’origine du salon « Anjou Vert » en 1981, devenu en 1985 le Salon du végétal, et des actions qui, pendant les décennies suivantes, ont donné réalité au pôle végétal angevin.

Rendre l’entreprise indépendante

Pour concilier la direction de l’entreprise avec la démarche volontaire d’innovation, la stratégie commerciale, l’engage­ment collectif, André Briant s’est entouré progressivement de collaborateurs fiables. « J’avais confiance en moi pour moder­niser l’entreprise, mais mon principal souci était de trouver des personnes pour me seconder ». Un chef des cultures, des chefs d’équipe, un responsable du laboratoire, un spécialiste de l’innovation variétale…, les recrutements ont marqué des étapes dans l’histoire de l’entreprise car ils permettaient au directeur de déléguer un secteur et d’attaquer un autre défi.

Lequel de ces défis a été le plus difficile ? À cette question, André Briant a répondu sans hésitation : « Rendre l’entreprise indépendante d’André Briant ». En 2006, il considérait avec sérénité que ce dernier objectif était atteint.

Une des avancées techniques importantes effectuées du temps d’André Briant et encore actuelles : la « supercut » pour la taille des « liners » © Cristiana Oghina-Pavie

Toutes les citations sont extraites des entretiens avec André Briant, mars-mai 2006. Le fonds d’archives sonores de l’enquête Histoire, mémoire et archives du végétal en Anjou a été déposé aux Archives départementales du Maine-et-Loire