Alphand, un grand maître de l’horticulture urbaine

Daniel Lejeune

D’une manière curieusement confidentielle, Paris et l’Horticulture ont commémoré, en automne 2017, le bicentenaire de la naissance de Charles-Adolphe Alphand. Pourtant, on doit beaucoup à ce grand acteur de l’horticulture urbaine du XIXe siècle.

Polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, rien ne destinait a priori Alphand au jardinage. Tout au plus peut-on noter qu’en poste à Bordeaux, il est adhérent à la Société d’Horticulture de la Gironde, tout comme un certain Georges-Eugène Haussmann et qu’il y côtoie l’horticulteur Jean-Pierre Barillet-Deschamps. Le goût du préfet Haussmann pour les réceptions fastueuses et la venue à Bordeaux du prince-président en octobre 1852 furent à l’origine d’une mise en scène végétale, exécutée de main de maître par Barillet mais qui fit beaucoup pour la gloire d’Alphand. Le prince-pré­sident céda la place à l’empereur et à ses pleins pouvoirs. Le projet, longuement mûri pour Paris au fort de Hamm et nourri d’ambiances londoniennes, allait pouvoir se concrétiser. Paris étouffait, Paris était malsain, Paris était un terroir de barri­cades et de révolutions. Un nouvel urbanisme allait être appli­qué globalement et avec méthode sur les voies de la capitale, sur son bâti et sur sa verdure.

Adolphe Alphand (Grenoble 26 oct. 1817 – Paris 6 déc. 1891). Portrait peint en 1888 par Alfred-Philippe Roll – Paris, musée du Petit Palais – © J.-F. Coffin

À la recherche d’une perle rare

L’histoire commence par la mise en place d’une première équipe administrative et technique. Le préfet Berger n’agit pas assez rapidement au gré d’un empereur pressé. Le ministre de l’Inté­rieur, Fialin de Persigny, est chargé de le remplacer par une perle rare, capable de dévouement, d’énergie, d’innovations admi­nistratives et financières. Ce sera Haussmann l’ambitieux.
Les premiers travaux d’embellissement s’étaient portés sur le bois de Boulogne. Napoléon III voulait faire de ce grand poumon vert de Paris un lieu de promenade pour les piétons et pour les cava­liers. Hyde Park était une bonne référence. La grande expérience touristique du prince de Pückler-Muskau avait été consultée…
Le chantier avait été confié au tandem Hittorff-Varé. Le premier était un architecte de valeur sans expérience dans le domaine des jardins. Le second s’arrogeait le titre de jardiniste et maîtri­sait les terrassements mais pas les végétaux.

Un service des promenades devenu une référence

Très vite, Haussmann comprit qu’il ne s’entendrait ni avec l’un ni avec l’autre. L’opportunité, un peu fabriquée sans doute, d’une faute de terrassement au niveau du grand lac du bois de Boulogne, permit de mettre fin à l’expérience.

Haussmann conservait de son passage dans ses postes succes­sifs le souvenir de collaborateurs compétents et dévoués. Il fit venir Alphand à Paris pour créer un service des promenades et en prendre la tête, tout comme il fit venir de l’Yonne Eugène Belgrand pour développer et gérer le service du Paris souter­rain avec ses adductions d’eaux potable et ses égouts.

Alphand fit à son tour venir Barillet et s’entoura d’ingénieurs tels Darcel ou d’architectes tel Davioud. L’équipe allait pouvoir tourner à plein. Le bois de Boulogne, le bois de Vincennes, la réhabilitation du parc Monceau, l’incroyable et féérique construction des Buttes-Chaumont, inaugurées le même jour que l’Exposition universelle de 1867, la mise en chantier du parc Montsouris, l’annexion des territoires compris entre le mur des fermiers généraux et les fortifications de Thiers, la guirlande des squares de quartier, constituèrent un ensemble cohérent envié par l’ensemble du monde civilisé.

Le service des promenades était devenu une référence multiple car, à l’activité conceptuelle s’ajouta rapidement une intense production horticole placée sous la houlette de multiplicateurs ultra-performants comme Gustave Delchevalerie, de dessina­teurs comme Lambotte, d’horticulteurs botanistes et chroni­queurs comme Édouard André.

Le monument Alphand avenue Foch à Paris par l’architecte Jean-Camille Formigé et le sculpteur Jules Dalou (1899). Alphand, debout sur le monument, donne ses ordres à ses collaborateurs, l’architecte Bouvard, le peintre Roll, l’ingénieur Huet et le sculpteur Dalou lui-même (source : www.paristoric.com) – © D. Lejeune

Des jardiniers qui plantent "plus vite que leur ombre"

Les innovations techniques devaient marcher du même pas pressé que la mise en œuvre des projets. Tout comme sous Louis XIV à Versailles, les jardiniers expérimentaient et plantaient « plus vite que leur ombre ». Les parisiens voyaient passer devant leurs fenêtres des arbres adultes transportés sur des chariots spécialement mis au point pour une plantation de reprise assurée, après avoir été arrachés dans des parcs nordiques lointains et avoir navigué sur les canaux. Les villes de province, incitées en cela par l’arrivée du chemin de fer, suivirent le mouvement avec l’aide de la capitale. Le parc de la Tête d’or à Lyon, le parc Borély à Marseille, le jardin Vauban à Lille, sont les plus connus mais non les seuls.

Parcs, jardins et expositions, un même combat et un même objectif : donner une excellente image du régime, proposer aux parisiens de toutes catégories sociales une fête perpétuelle. Le modèle du parc du second Empire ( le patron devrait-on dire ) survivra jusqu’au milieu du siècle suivant. Il a son vocabulaire et sa grammaire propres, ses rocailles, grottes et cascades factices si bien mises en œuvre par l’entrepreneur Combaz, ses ornementations florales d’été où les nouvelles introductions exotiques sont exhibées avec ostentation. Il sera longtemps imité en France et jusque sous les tropiques où œuvrera toute une diaspora de paysagistes français, tels Édouard André en Uruguay, Thays en Argentine, Glaziou au Brésil…

Le préfet Haussmann (1809–1891) fit venir Alphand à Paris pour créer un service des promenades. Statue par François Cogné – ©
J.-F. Coffin
Un exemple de réalisation de l’équipe d’Alphand « qui tournait à plein » : la réhabilitation du parc Monceau – © J.-F. Coffin

Une dynamique parisienne poursuivie

Le désastre de la guerre franco-prussienne de 1870, aggravé par l’épisode de la Commune de Paris, ne remettra pas en cause la dynamique parisienne. La troisième république n’infléchira que peu la trajectoire des grands aménagements urbains, confir­mant même Alphand dans un rôle de directeur des travaux de la ville et du département, ressemblant à s’y méprendre au poste d’Haussmann qui dira dans ses mémoires qu’il a fait mentir le proverbe « qui brille au second rang s’éclipse au premier ».

Alphand, qui sera en outre le grand directeur des expositions universelles de 1878 puis de 1889, héritera même, très peu de temps avant de disparaître, du fauteuil d’Haussmann à l’Acadé­mie des Beaux-arts

Les promenades de Paris, un service et un ouvrage

«Les Promenades de Paris», c’est aussi le titre d’un ouvrage proprement monumental ( deux volumes de 15kg chacun ) dédié à la gloire de ce service. Rédigé sous la direction personnellement intéressée d’Alphand, il est destiné aux grands de l’époque. L’éditeur horticole Jules Rothschild a, lui aussi, réalisé une performance mémorable, apogée peut-être de son art ( voir l’article « L’art de la littérature horticole. L’éditeur Jules Rothschild » par Chiara Santini ).

Plan du « Fleuriste de la Muette ». Extrait des Promenades de Paris. Editeur Jules Rothschild. 1867-1873 – © D. Lejeune