Variétés, variations, cultivars et obtentions

Valéry Malécot

 

On entend régulièrement, dans le langage du jardinier, le mot « variété » pour désigner un ensemble de plantes qu’il cultive et qui sont identiques. Ici ou là, on a pu entendre dire que ce terme n’était pas adapté et qu’il fallait lui substituer le terme « cultivar ». D’autres estiment que c’est le terme « obtention » qui est le plus adapté. Alors que l’on est dans un monde où la communication est de plus en plus rapide, et que la précision est parfois mise de coté au profit de cette rapidité, il peut être judicieux de «se poser un peu» pour clarifier l’usage de ces mots.

Figure A : Epacris impressa var. nivea, l’une des quatre variétés d’Epacris impressa, se distinguant des autres par ses fleurs blanches (les autres variétés sont à fleurs roses, rouge ou bicolores rouge/blanc). En milieu naturel, certaines populations sont composées exclusivement d’individus à fleurs blanches, d’autres comprennent des individus à fleurs blanches et des individus à fleurs colorées.  © V.Malécot

Variété et variation

Sans vouloir remonter loin dans le temps, lorsque l’on souhaite qualifier un ensemble de plantes cultivées, sélectionnées par l’homme, conservant leur ressemblance dans des conditions de multiplication données, alors le terme « variété » semble être celui le plus classiquement utilisé dans le domaine horticole. Toutefois, ce terme est également utilisé dans le domaine botanique pour désigner des ensembles de plantes sauvages, qui partagent certaines caractéristiques morphologiques mineures (au regard des caractères servant à distinguer deux espèces ou deux sous-espèces) (figure A). Pour les botanistes, le terme variétés, et plus précisément varietas (un terme latin), désigne un rang dans la classification. C’est un rang qui se situe en dessous de celui de la sous-espèce et qui s’abrège par l’indication « var. ». On est là dans un champ lexical académique (scientifique) qui utilise fondamentalement un terme latin (varietas) et qui le traduit par « variété » en français. Dans ce même champ lexical, les plantes cultivées nommées variétés par le jardinier ont parfois été nommées variations (en particulier par Alphonse de Candolle dans les premières lois de nomenclature botanique).

 

Cultivar

Fig B :Page de couverture de la dernière édition du Code International pour la Nomenclature des Plantes Cultivées © V.Malécot Depuis 1953, c’est le terme cultivar qui sert à désigner ces plantes cultivées. Ce terme, contraction de « cultigen variety » a été créé en 1923 par Bailey. Il a été intégré dans un recueil de règles de nomenclature intitulé, Code International pour la Nomenclature des Plantes Cultivées, dont la 8ème édition a été publiée en 2009 (figure B).
Dans ces règles, l’indication du rang de cultivar dans un nom se fait par l’usage de guillemets simples anglais, par exemple Prunus persica ‘Casasil’. Avant 1997, l’abréviation «cv.» était utilisée pour désigner le rang de cultivar dans les noms scientifiques, depuis ce n’est plus le cas et ce sont les guillemets simples qui s’y sont substitués (figures C et D).


Fig C : Individu sauvage de Cytisus scoparius, à fleurs entièrement jaune  © V.Malécot Fig D : Individu de Cytisus scoparius ‘Luna’, un cultivar sélectionné pour ses fleurs plus pâles, au moins au niveau de l’étendard  © V.Malécot


 

 

Obtention

Dans un autre contexte, celui de la réglementation, on va rencontrer les termes obtentions et variétés pour désigner ces mêmes plantes. Initialement, c’est le terme obtention qui a été retenu en français, il est en particulier présent dans le titre d’une convention internationale, établie en 1961, l’UPOV dont le nom complet est « Union Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales ». Traduit en anglais ce nom complet devient «International Union for the Protection of New varieties of Plants ». Depuis, lors de la traduction des textes réglementaires vers le français, c’est le terme variété qui a été généralement retenu plutôt que celui d’obtention. On retrouve donc de nouveau le terme variété pour désigner, dans un contexte cette fois-ci législatif et règlementaire, les ensembles de plantes cultivées, sélectionnées par l’homme, conservant leur ressemblance dans des conditions de multiplication données. Dans ce contexte règlementaire, ces plantes peuvent se voir décerner une protection, qui en Europe porte le nom de COV pour Certificat de protection communautaire d’Obtention Végétale (on retrouve donc le terme Obtention). Mais, comble de l’usage, on trouve parfois (y compris sur les sites institutionnels) l’expression «des obtentions de variétés végétales», ce qui revient à une lapalissade.

 

Si l’on doit résumer ceci, l’usage des mots dépend alors principalement du contexte ou de la posture de l’utilisateur. Dans un contexte légal ce sont les termes obtention et variété qui sont utilisés de manière interchangeable. Dans un contexte scientifique c’est le terme cultivar qui désigne la même chose, le terme varietas, traduit en variété, désignant un autre ensemble de plantes. Enfin, dans un contexte quotidien, c’est le terme variété qui est le plus usité.

 


Quelles plantes concernées ?

Une fois clarifiées ces questions de vocabulaire, quels ensembles d’individus peuvent être désignés par un nom de variété/obtention/cultivar ? A la base, il s’agit de tout ensemble de plantes ayant subi un processus, de sélection par l’homme, qui, dans des conditions de multiplication particulières, présente des caractéristiques morphologiques similaires, et qui respecte des critères dit de DHS (pour Distinction, Homogénéité et Stabilité).

 

Par « distinction » on entend différent des cultivars déjà disponibles. Par « homogénéité » on indique que tous les individus sont très fortement similaires sur des critères morphologiques et/ou génétiques. Enfin, la notion de « stabilité » fait référence au fait que, si l’on respecte les conditions de culture et de multiplication, alors il y a conservation des caractéristiques au cours du temps.

 

Historiquement, ces critères de DHS n’étaient pas nécessaires (il dérivent de la réglementation nationale et internationale), ce qui fait que certaines « variétés/obtentions/cultivars » anciennes peuvent présenter une certaine instabilité, avec par exemple un retour au type en particulier pour des plantes en chimère (figure 2). De manière supplémentaire pour les plantes de grande culture et la vigne, la commercialisation en France d’une nouvelle « variété/obtention/cultivar » (c'est-à-dire son inscription au catalogue officiel), n’est possible que si sa Valeur Agronomique et Technologique (VAT) est de même niveau ou supérieure aux « variétés/obtentions/cultivars » déjà commercialisées.

Dans le détail, peuvent être considérées comme « variétés/obtentions/cultivars » des plantes issues d’un même clone multiplié végétativement (par exemple par bouturage ou par division).

Dans certains cas, ce sont certaines pousses du clone qui doivent être utilisées pour la multiplication (on parle alors de clone topophysique). De même des plantes issues d’une même chimère (c'est-à-dire un organisme possédant deux lignées cellulaires distinctes, telles que de nombreuses plantes panachées) peuvent aussi être des cultivars.

Un ensemble de plantes multipliées par semis mais conservant leurs caractéristiques distinctives (quitte à exclure les individus hors-type) peuvent également appartenir au même cultivar.

Dans certaines situations, on peut aussi considérer comme une « variété/obtention/cultivar » un ensemble de plantes qui sont morphologiquement similaires car elles hébergent toute un virus ou un microorganisme (par exemple un mycoplasme).

A tout cela on doit aussi ajouter les plantes d’une même lignée (une série d’autofécondations) ou de plusieurs lignées très apparentées, les plantes issues de la même hybridation entre deux lignées pures (les hybrides F1).

Fig 2 : Un individu de fusain panaché doré (Euonymus japonicus ‘Aureomarginatus’) dont certaines branches, au feuillage entièrement verte, sont retournées au type  © V.Malécot Fig 3 : Un saule marsault pleureur (Salix caprea ‘Pendula’) traité sur tige. Le nom de cultivar ne s’applique pas au tronc qui est, dans ce cas, issu d’une bouture d’un autre individu  © V.Malécot

Par contre, dans les cas de greffage, seul le greffon appartient à la « variété/obtention/cultivar », le porte-greffe, y compris s’il constitue le tronc de la plante, n’en fait pas partie (figure 3). Par ailleurs, des individus d’espèces sauvages qui sont mis en valeur d’une manière ou d’une autre dans un jardin ne peuvent pas être assimilés à des « variétés/obtentions/cultivars (figure 4) ».

Fig 4 : Un individu de centaurée jacée (Centaurea jacea) et un de marguerite (Leucanthemum vulgare) évités par la tondeuse, ni l’un ni l’autre n’est une variété/obtention/cultivar  © V.Malécot

De manière globale, la « création » d’un nouveau cultivar ne nécessite pas toujours une haute technologie, un simple semis peut encore révéler des surprises dans certains groupes. Dans d’autres groupes, compte tenu de la diversité cultivée déjà existante, il devient difficile de passer outre certains schémas de sélection bien précis et nécessitant plus d’infrastructures (ne serait-ce que pour maintenir des lignées pures). Enfin, les procédures d’inscription au catalogue officiel ou de demandes de certificats d’obtention végétale sont coûteuses et complexes et peuvent constituer un frein à la diffusion de certaines plantes. Cependant, la procédure d’inscription au catalogue officiel a été adaptée pour les « variétés anciennes pour amateurs » et les « variétés de conservation ». Les débats sur ces derniers aspects sont nombreux, tout comme ceux concernant l’accès aux ressources génétiques, la notion de variétés essentiellement dérivées et la « libre utilisation » à des fins de sélection des « variétés/obtentions/cultivars ». Tous ces débats gravitent essentiellement autour des notions de propriété et sont loin d’être clos.