Le frelon asiatique à pattes jaunes : une invasion en question

Claire VillemantQuentin Rome

Le frelon asiatique à pattes jaunes, Vespa velutina est la première espèce de frelon introduite en Europe. Observé en Aquitaine en 2004, il s’est répandu depuis dans plus des 3/4 de la France.

 

Ouvrière de Vespa velutina découpant une abeille domestique.
Figure 2 : Ouvrière de Vespa velutina découpant une abeille domestique. © Quentin Rome

 

L’invasion du frelon asiatique pose de nombreuses questions sur les capacités de dispersion du frelon et son impact potentiel sur les écosystèmes et la production apicole. Même si le varroa[1], les maladies virales ou les pesticides sont de plus fortes menaces, V. velutina par sa prédation représente un facteur supplémentaire de déclin des colonies d’abeilles.

Une invasion de 60 km par an

La carte de l’invasion est visible sur le site https://frelonasiatique.mnhn.fr, qui offre aussi un formulaire de signalement en ligne, un bilan des connaissances, des fiches d’identification et de nombreux articles téléchargeables. Mise à jour régulièrement, la carte montre que le front progresse d’environ 60 km par an. Des photos sont demandées aux observateurs pour valider les signalements car un tiers est erroné ou correspond à des doublons. Depuis 2010 le frelon a atteint d’autres pays : Espagne (2010), Portugal (2011), Italie (2012), Allemagne (2013). Sa progression corrobore les prévisions établies à partir de modèles climatiques montrant que le climat d’une grande partie de l’Europe lui est favorable et qu’il peut s’acclimater dans d’autres régions du monde si on l’y introduit accidentellement. Les modèles montrent aussi que le réchauffement climatique risque d’accentuer encore la progression de cet envahisseur.

En provenance de Shanghai

La comparaison génétique de frelons capturés en France ou dans son aire d’origine (Indonésie, Vietnam, Chine, Népal) a montré que la lignée invasive provient des environs de Shanghai, ce qui conforte l’hypothèse d’une introduction via le commerce horticole chinois. Cette étude montre aussi que seul un petit nombre de reines voire une seule reine fécondée par plusieurs mâles est à l’origine de l’invasion en France, témoignant ainsi des grandes capacités de multiplication de la lignée invasive malgré sa faible diversité génétique. La forte consanguinité de la population française de V. velutina favorise l’apparition de mâles diploïdes**[2] (observés depuis 2009) ; cependant l’invasion continue et rien à ce jour ne permet de dire que cette pauvreté génétique conduira à l’extinction de cette lignée.

Importance de la génération sexuée

Comme chez les autres frelons, chaque colonie est fondée au printemps par une reine sortant d’hibernation. Jusqu’en automne, ses descendants sont des ouvrières qui assurent l’alimentation des larves, la croissance, l’entretien et la défense du nid tandis que la reine se consacre à la ponte. 70 % des colonies délocalisent au cours de l’été, le nid primaire fondé par la reine étant abandonné pour un nid secondaire construit par des ouvrières au sommet d’un grand arbre. Une colonie peut produire plus de 13 000 individus d’avril à novembre, dont plus de 500 futures reines et autant de mâles qui quittent le nid en automne pour s’accoupler. Contrairement au frelon d’Europe, les futures reines de V. velutina ont la même taille que les ouvrières mais elles sont plus lourdes car elles accumulent de la graisse pour passer l’hiver cachées dans le sol ou un abri. Le reste de la colonie meurt au début de l’hiver et le nid n’est jamais réutilisé.

Pas plus dangereux qu’une guêpe

L’opinion publique s’inquiète du risque lié aux piqûres. Or, les piqûres de frelon sont douloureuses mais pas plus dangereuses que celles d’une guêpe ou d’une abeille, sauf si on est allergique au venin d’Hyménoptères ; mais dans ce cas, tous ces insectes sont aussi dangereux. V. velutina n’est jamais agressif envers l’homme lorsqu’il vole en solitaire et il n’attaque jamais sauf si l’on s’approche à moins de 5 m de son nid (périmètre de défense). Mais comme son nid est situé en général à plus de 10 m dans un arbre, les risques de rencontre sont moindres qu’avec les abeilles et les guêpes sociales qui ont le même comportement de défense de leur colonie.

Un impact à chiffrer

V. velutina attaque un insecte en vol puis s’accroche à un support pour dépecer sa proie (Fig. 2). Il ne conserve que le thorax contenant les muscles du vol, le ramène au nid et la malaxe pour en nourrir les larves. L’adulte n’absorbe que des liquides sucrés et le liquide protéique qu’il incite les larves à régurgiter.

Le régime alimentaire de V. velutina a été étudié en capturant des ouvrières revenant au nid avec leur proie. L’identification des proies a été confirmée par analyse moléculaire (barcoding). Le frelon montre une nette préférence pour les abeilles, guêpes et mouches (environ 1/3 des proies chacune), mais prélève aussi divers insectes et araignées ou la chair de vertébrés morts. Il recherche surtout les insectes groupés, dans un nid d’abeilles et de guêpes ou sur un support nutritif (ombelles pour les pollinisateurs, cadavres ou bouses pour les mouches, etc.). En milieu urbanisé, où les insectes sont moins divers, les abeilles représentent 2/3 de ses proies. En automne, le frelon a localement un fort impact sur un rucher, en capturant des abeilles mais surtout par sa présence en vol stationnaire devant la ruche qui provoque un arrêt du butinage. Si ses réserves de miel sont insuffisantes, la colonie d’abeilles risque de mourir de faim au cours de l’hiver suivant. Mais l’impact de V. velutina sur l’apiculture et la biodiversité reste encore à chiffrer.

Absence d’ennemis naturels

La multiplication du frelon en Europe est favorisée par l’absence d’ennemis naturels du pays d’origine. Mais d’autres peuvent prendre le relais. C’est le cas du ver nématode Mermithidé qui parasite les guêpes sociales en Europe, et d’une mouche Conopidé parasite des guêpes sociales et des bourdons. En dix ans, seuls quelques frelons parasités ont été trouvés. Ces parasites n’ont aucune chance de freiner l’invasion car ils s’attaquent aux frelons individuellement et une colonie de frelon peut encore se reproduire après avoir perdu la moitié son effectif.

En 2015, les jardiniers du Muséum d’Histoire Naturelle de Nantes ont observé que des plantes carnivores originaires d’Amérique du Nord (sarracénies) capturaient de nombreux frelons asiatiques. L’analyse des urnes a révélé que la moitié des proies (mouches et guêpes sociales surtout) étaient des frelons asiatiques. Des recherches sont en cours pour identifier si certains des signaux attractifs de ces plantes attirent spécifiquement V. velutina.

Un plan national de lutte

Aucune méthode ne permet actuellement de lutter efficacement contre le frelon asiatique. Pour limiter son impact sur un rucher, la destruction de tous les nids présents dans le voisinage demeure la solution la plus efficace. Le piégeage des frelons en automne dans le rucher peut être envisagé mais en l’absence d’appât spécifique, de nombreux insectes non cible risquent d’être capturés. Les recherches pour tenter d’isoler une substance attractive spécifique de V. velutina (phéromone par exemple) n’ont pas encore abouti. En l’absence d’appât spécifique, les piégeages de masse demeurent une menace pour la biodiversité.

V. velutina a été classé « danger sanitaire de 2e catégorie » au titre du code rural en 2012, et « espèce exotique envahissante » au titre du code de l’environnement en 2013. Un groupe de travail est chargé de mettre en place des mesures de surveillance, de prévention et de limitation de l’impact de Vespa velutina sur les ruchers. L’ITSAP (Institut de l’abeille) et le MNHN ont été mandatés pour tester l’efficacité et l’innocuité pour les insectes non-cibles du piégeage des reines au printemps et d’un piège à appât toxique. Le MNHN teste aussi en partenariat avec son concepteur (A. Lavignotte – GDSA64) un dispositif mécanique de type « Muselière : un grillage placé autour de la planche d’envol éloigne les frelons et diminue ainsi le stress des abeilles qui peuvent continuer à butiner.

 

 Distribution de Vespa velutina en Europe fin 2015
Figure 1 : Distribution de Vespa velutina en Europe fin 2015 – © Q. Rome, MNHN

 

[1] Le varroa est un acarien originaire d’Asie qui parasite les abeilles domestiques. Il est désormais répandu dans le monde entier.

[2] Chez les Hyménoptères (guêpes, abeilles, fourmis) les femelles sont issues d’un œuf fécondé (diploïde) et les mâles d’un œuf non fécondé (haploïdes). Des mâles diploïdes stériles peuvent apparaître en cas de forte consanguinité.

 

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