Des bizarreries plein nos jardins

Jean-Michel Groult

Dans bien des cas, les plantes que l'on cultive sont très différentes de leurs consœurs poussant dans la nature. Pour le plaisir des yeux, l'homme a sélectionné une incroyable panoplie de bizarreries… botaniques, bien entendu.

La panachure de la capucine "Alaska" est causée par un virus. La répartion des tâches est très différente de celle d'une panachure sur le marronier - © Jean-Michel Groult

La domestication d'une plante s'accompagne toujours d'une sélection afin qu'elle réponde au mieux à nos besoins. On souhaite en effet que la plante domestiquée se cultive facilement, qu’elle soit plus belle ou plus productive que sa version « sauvage ». Ainsi, les formes domestiquées possèdent souvent des plus grandes fleurs, des fruits plus nombreux et plus gros. Cela n'est pas seulement propre aux plantes : les animaux domestiqués affichent souvent un tempérament plus doux et une corpulence différente en comparaison avec leurs cousins sauvages.

 


Les zones blanches sont dues à des cellules qui ont perdu la faculté de fabriquer de la chlorophylle © Jean-Michel GroultDouble ration de pétales

Pour agrémenter son jardin, l'homme a souvent privilégié l’utilisation de « mutants », individus qui présentent des caractères différents de leurs congénères. C'est très simple : il suffit de bouturer la branche qui porte des fleurs d'une couleur ou d'une forme différente. Les variétés à fleurs doubles sont les exemples parmi les plus communs de ces mutants. Sur le plan botanique, une fleur double constitue un véritable monstre par rapport à la fleur simple rencontrée chez les espèces sauvages. La fleur double se compose de pétales formés en grand nombre au détriment des parties génitales mâles, les étamines, elles-mêmes transformées en pétales. Bien souvent, la mutation touche les parties génitales femelles qui se transforment elles aussi en pétales. On dit alors qu'il s'agit de « fleurs pleines » : tout le volume de la fleur est dans ce cas occupé par des pétales. Toutefois, ces fleurs sont incapables de produire des graines. Leurs parties femelles pouvant être fécondées sont transformées en pétales. Et même si ce n’est pas le cas, la fleur double, très souvent, ne produit pas de graines. La stérilité des variétés cultivées à fleurs doubles est souvent due à une faible production de pollen et surtout de nectar. Les abeilles et autres insectes butineurs apprennent d’ailleurs vite à se détourner de tels spécimens. En général, les plantes à fleurs doubles ne produisent pas de graines. Il faut donc les multiplier par bouture, division, greffe ou par d'autres techniques végétatives… à quelques exceptions près… Chez la saponaire, la variété à fleurs doubles produit des graines dont la descendance aura également des fleurs doubles. Les pavots somnifères à fleurs doubles ou pavots à fleurs de pivoines forment également de nombreuses graines.


Les plantes à feuillage ornementé présentent aussi quelques exceptions botaniques dues à des diverses mutations. C'est le cas des plantes à feuilles panachées de blanc, de vert pâle, de jaune, de rouge ou encore de rose. Ces espèces possèdent deux sortes de cellules, avec et sans chlorophylle. Les premières sont vertes et les secondes, à moins de posséder un pigment rouge ou jaune, sont incolores et donc paraissent blanches. En réalité, ces cellules qui ont perdu la faculté de fabriquer de la chlorophylle vivent au détriment des autres, comme des parasites. Elles sont plus sensibles au soleil que les cellules vertes. Dans la nature, une pousse panachée a souvent tendance à « végéter » et finir étouffée par les pousses entièrement vertes et plus vigoureuses. Au jardin, il n'est pas rare de voir surgir une branche entièrement verte dans un buisson à feuilles panachées. Il s'agit tout simplement d'un bourgeon qui ne contenait que les cellules chlorophylliennes. Sans intervention du jardinier, l'arbuste tout entier finira par devenir vert. Il faut donc couper ces « retours au type sauvage », afin de favoriser le développement des pousses panachées. Inversement, l’on remarque aussi l’apparition de pousses entièrement blanches parmi des pousses panachées, mais elles s'arrêtent vite de pousser. Il est impossible de les bouturer puisqu'elles ne peuvent capter la lumière. Les rameaux sans chlorophylle survivent en parasitant les autres pousses avec de la chlorophylle. Citons l’exemple du  « cactus fraise » et du « cactus banane » qui sont des bizarreries botaniques dépourvues de chlorophylle, mais renfermant un pigment rouge ou jaune. Il est impossible de les bouturer. Ils survivent uniquement s’ils sont greffés sur un cactus vert.

Un dahlia finement panaché : dans les zones rouges, le gène sauteur a laissé des cellules fabriquer leur pigment - © Jean-Michel Groult  Un bien joli "monstre" les organes mâles de cette anémone se sont transformés en pétales, mais elle ne produira jamais autant de graines que ses cousines sauvages - © Jean-Michel Groult

Le virus de la décoloration

La panachure causée par le mélange de cellules vertes et de cellules colorées est parfois due à la coexistence de deux types de cellules. Ce phénomène, nommé une chimère, se transmet par graines chez les dicotylédones (l'embryon lui-même portant les deux types de cellules). Chez les monocotylédones, les embryons ne sont issus que d'un seul type de cellules. Les plantules complètement vertes se développent alors que les blanches meurent. Les panachures chimériques sont facilement reconnaissables : les zones blanches sont pures, le mélange se fait en grosses taches ou selon un dessin net qui apparaît sur le bord des feuilles ou encore près de la nervure centrale. Il existe également des panachures d’origine virale. Les virus ne causent pas forcément la mort de la plante et peuvent, dans certains cas, entraîner l’apparition des symptômes panachés de vert et de blanc. Le dessin d’origine virale est très différent : les zones panachées sont très petites et imbriquées. Les panachures des variétés 'Pulverulenta' sont souvent d’origine virale. La capucine 'Alaska', une variété naine, en est un autre exemple. Et vous pouvez, si vous aimez les expériences, transférer la virose à des capucines à longues tiges.

Mais les panachures et les décolorations dues aux virus sont encore plus intéressantes chez les fleurs. Le virus agit comme un petit morceau d'ADN qui se promène dans le patrimoine génétique des cellules de la plante, d'où son surnom de « gène sauteur ». Il peut s'insérer dans la partie responsable de la synthèse d'un pigment par exemple, en empêchant ainsi sa synthèse. Le gène sauteur change de place, en laissant ou pas la possibilité à la cellule de synthétiser son pigment. Si cela arrive à un stade assez jeune de la fleur, celle-ci aura des larges taches colorées et non colorées. Mais ce petit jeu de chaise musicale peut aussi se produire au moment du développement avancé de la fleur. Dans ce cas, les zones concernées seront plus petites et le dessin de la fleur sera beaucoup plus élaboré. Les fameuses tulipes 'Rembrandt', la rose 'Henri Matisse' (Delbard) et les belles-de-nuit à fleurs panachées résultent toutes de ce même mécanisme. Toutefois, chaque fleur est unique ! La répartition des panachures est due au hasard, ce même hasard qui fait qu’un gène « saute » et change de place…

Curieuses et très prisées, les variétés panachées ou à fleurs doubles sont certainement les « bizarreries » botaniques parmi les plus connues de nos jardiniers. Mais bien d'autres encore s’aventurent au sein de nos jardins, garnissent des massifs si agréables à contempler…
Ce houx panaché a produit des rameaux incolores qui "parasitent" les parties vertes... - © Jean-Michel Groult  Ce croton (Codiaedum variegatum) est naturellement panaché. Dans la pénombre tropicale, certaines plantes vertes se font vite remarquer...- © Jean-Michel Groult

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