Quand le végétal se fait œuvre d’art : les buis de marqueyssac

Ce site en belvédère, au dessus de la Dordogne, offre un panorama prodigieux. Mais son originalité réside dans la façon dont les buis, qui se comptent ici par dizaines de milliers, sont taillés : de formes aléatoires ou régulières, ils expriment toute la fantaisie qu’apportent à leur entretien des jardiniers qui sont de véritables artistes. Ouverts à la visite depuis 1997, les jardins de Marqueyssac ont reçu, à l’été 2018, leur trois millionièmes visiteurs.

Le site de Marqueyssac, en belvédère au-dessus de la Dordogne, offre un panorama prodigieux. Ici, des dizaines de milliers de buis sont taillés dans autant de formes prodigieuses – Les Jardins de Marqueyssac © Laugery

L’origine du parc de Marqueyssac, en Dordogne, remonte au XIXe siècle, quand Julien de Cerval, juge au parlement de Sarlat, membre de la Société d’agriculture de la Dordogne, hérite des lieux en 1861. Très inspiré par les jardins italiens, il va y planter des dizaines de milliers de buis, complétés par des tilleuls, cyprès et pins parasols, et aménager une promenade de six kilomètres, dont une grande partie en encorbellement. À sa mort en 1893, son gendre, Maximilien d’Erp, reprend le domaine sans modifier la composition de ces jardins. Mais après la Seconde Guerre mondiale, ils ne vont plus être entretenus. Les buis, laissés à l’abandon, poussent considérablement et atteignent des dimensions inattendues, certains en se dégarnissant de la base.

En 1996, Kléber Rossillon, enfant du pays passionné par les vieilles pierres, qui a déjà assuré le sauvetage du château voisin de Castelnaud racheté par ses parents en 1966, reprend Marqueyssac et entreprend la réhabilitation de la bâtisse et des jardins. Il les ouvre à la visite dès l’année suivante et y accueille alors 38 000 amoureux de la nature. Aujourd’hui, les jardins de Marqueyssac, classés « Jardin remarquable » depuis 2004, sont les plus visités de Nouvelle-Aquitaine, avec plus de 200 000 visiteurs par an. Le 5 juillet 2018, lors d’une soirée aux chandelles, ils ont accueilli leur trois millionièmes visiteurs, qui a reçu un accès gratuit… à vie.

Le 5 juillet 2018, lors d’une soirée aux chandelles, les Jardins de Marqueyssac ont accueilli leur trois millionièmes visiteurs, qui a reçu un accès gratuit… à vie. Les Jardins de Marqueyssac © Laugery

 

Une taille tout aléatoire

Le « chaos de buis » dans la cour du château est un nouveau parterre créé en 2003, il représente des blocs qui se seraient écroulés les uns sur les autres, à la manière de morceaux de sucre empilés et dispersés par une main joueuse. Les Jardins de Marqueyssac © Laugery

Le buis à Marqueyssac est omniprésent, certains l’appellent « forteresse de buis ». Il s’agit d’une buisseraie historique, traitée d’une façon particulièrement originale. Ce patrimoine est estimé à 150 000 buis, essentiellement de l’espèce Buxus sempervirens, dont beaucoup sont plus que centenaires. Pour cette restauration, raconte Kléber Rossillon dans le livre qui lui est consacré dans la collection Des Jardins d’exception aux éditions Ulmer, dix-huit mille pieds de buis ont été taillés le long des allées, et des milliers d’autres autour du château, pour rafraîchir l’ensemble… mais ne rien changer ! Retrouver l’esprit du créateur, mais en l’interprétant avec des créations très contemporaines.

Le « bastion » est la pièce maîtresse de ces jardins : plantés au XIXe siècle, ces buis adoptent des formes arrondies et irrégulières au gré des cisailles des cinq jardiniers du domaine, qui les taillent à la main, deux fois par an. De véritables moutonnements, qui changent d’aspect au long d’une même journée, animés par les variations de la lumière. Les troncs et les branches de ces très vieux buis, retaillés à la restauration du jardin, ont développé de jeunes pousses qui, une fois ciselées, laissent émerger des têtes arrondies, d’allures et de tailles différentes.

Le « chaos de buis » dans la cour du château est un nouveau parterre créé en 2003 : un jeu de formes parallélépipédiques, en opposition aux formes arrondies et organiques qui règnent partout ailleurs dans le jardin. Des blocs qui se seraient écroulés les uns sur les autres, à la manière de morceaux de sucre empilés et dispersés par une main joueuse. Le chemin de la promenade aménagée sur le promontoire est entouré, quant à lui, de deux haies de buis rectilignes. Elles se doublent de romarins et de santolines, qui chargent l’air de senteurs méditerranéennes.

Des buis poussent également sur les falaises, taillés par des jardiniers qui doivent s’encorder comme des alpinistes. Une grande allée au fond du parc s’encastre entre deux rangées de buis taillés alors qu’ils gardent une forme sauvage sur l’autre côté. Au sortir de la grande pelouse qui revient vers le château, des buis palissés forment une voûte en berceau. Enfin, des buis sont également taillés en topiaires plus classiques, avec des formes géométriques.

À gauche : Vue aérienne depuis un drone.
À droite : Le chemin de la promenade aménagée sur le promontoire est entouré de deux haies de buis rectilignes. Elles se doublent de romarins et de santolines, qui chargent l’air de senteurs méditerranéennes – Les Jardins de Marqueyssac © Laugery

 

Un patrimoine à sauvegarder

Les espaces jardinés nécessitent deux tailles chaque année, la première plus importante au printemps, entre mai et début juillet, quand les jeunes pousses ont fini de se développer, la seconde fin septembre, pour garder des buis parfaitement nets tout l’hiver. Des interventions ponctuelles sont parfois nécessaires pendant l’été, si les conditions météorologiques sont favorables aux repousses. En sous-bois, une seule taille annuelle est suffisante.

Bien sûr, depuis son promontoire Marqueyssac n’est pas à abri des ennemis qui menacent les buis aujourd’hui : la pyrale et les deux champignons Cylindrocladium buxicola et Volutella buxi. Pour le jardinier en chef Jean Lemoussu, la bataille recommence chaque année, afin de sauvegarder ce patrimoine exceptionnel. Elle est orientée vers des méthodes biologiques : bacille de Thuringe et trichogrammes permettent de lutter contre la pyrale, et pour renforcer la résistance aux champignons, des mélanges de purins de plantes – ortie, prêle, consoude – sont pulvérisés tous les mois entre avril et octobre.

Marie-Hélène Loaëc
Journaliste horticole, membre du conseil d’administration de la SNHF .