Une petite fille dans un jardin : Aux origines de la pensée de Colette

Colette, dans son amour des jardins, a reçu énormément de Sido, sa mère. C’est par elle qu’elle a développé l’aigu sens de l’observation et du détail qui feront d’elle une gloire des lettres française.

Colette et son frère Léopold dans le Jardindu-Haut, vers 1883. Collection : La Maison
de Colette

Colette eut autant de jardins que de maisons : aux Monts-Boucons, la propriété que Willy, son premier mari, avait achetée près de Besançon, à Rozven, près de Saint-Malo, le décor du Blé en herbe, à la « Treille Muscate », à l’écart de Saint-Tropez entre vignes et mer et, bien sûr, au Palais-Royal, à Paris. Tous ces jardins et ces parcs, aussi différents soientils, gardent en commun l’empreinte de celui qui en fut en quelque sorte le modèle : le jardin de sa maison natale, à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).

La maison natale, fondation de sa personnalité

Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette, est née dans la vaste maison bourgeoise qui domine la rue de l’Hospice (aujourd’hui rue Colette) au centre d’un modeste village de l’Yonne. Elle y grandit à l’écart des habitants qui n’ont jamais caché leur hostilité envers Sido, sa mère, une libre-penseuse, et le capitaine Colette, son père, épris de gloire, mais tous deux considérés comme des parias. Aux yeux de « La Petite », la maison apparaît comme une citadelle ou un refuge, dont la façade « grave et revêche » et les murs hauts et anciens cachent aux passants son véritable trésor : « Ma maison ne souriait qu’à ses jardins ».

Comme la plupart des maisons du « quartier natal », la maison des Colette possède son « jardin-de-derrière ». Profitant de la déclivité du sol, il s’étage en plusieurs espaces reliés par des escaliers : jardin d’en face, cour intérieure, Jardin-du-Haut et Jardin-du-Bas, chaque espace fonctionne indépendamment des autres et s’en distingue par sa fonction : le Jardin d’en face protège la maison de tout risque de vis-à-vis et est réservé aux arbres fruitiers, la cour intérieure est le lieu autour duquel se regroupent les bâtiments utilitaires (poulailler, grange, laiterie, buanderie), le Jardin-du-Haut est un lieu d’agrément et le Jardin-du-Bas, « consacré à l’aubergine et au piment », aux tomates et aux abricotiers, est le jardin nourricier.

Dans les pas de sa mère

Sido éprouve de la passion pour la botanique. Dans le Jardin-du Haut, elle tente d’acclimater à la rude Puisaye toutes sortes de plantes. Elle acquiert quelques arbres rares et exotiques, ici un araucaria aux bras barbelés, là un gingko-biloba dont les feuilles en éventail servent de monnaie d’échange à Gabrielle dans la cour de récréation de l’école. Dans les parterres, à l’entrée du jardin, elle expose fièrement des essences nouvelles comme les pensées « Faust », arrivées en province en même temps que la partition de Gounod.

Sur la terrasse dallée, elle aménage son petit « musée d’essais » protégé des fortes chaleurs par « un manteau de glycine et de bignonnier mêlés », et placé à l’angle de deux murs chauds, à l’abri des vents froids. Partout, elle dispose dans des godets d’argile ses essais de boutures : « géraniums rares, rosiers nains, reines-des-prés aux panaches de brume blanche et rose, quelques “plantes grasses” poilues et trapues comme des crabes, des cactus meurtriers… ».

Si, en matière de jardinage, Sido suit les préceptes de Madame Millet-Robinet, auteure d’un célèbre manuel de l’époque, La Maison rustique des dames, adoptant selon son conseil les allées courbes et les parterres « bombés », elle entretient avec la nature un lien mystérieux et presque surnaturel. Elle sait voir ce que les autres ne voient pas et interpréter les signes. Elle a ses rites et ses instruments de divination « un pince-nez, deux pince-nez, une paire de lunettes, une loupe » et son enseignement tient en un mot : « “Regarde” : Son grand mot “Regarde !” signifiait : Regarde la première pousse du haricot, le cotylédon qui lève sur sa tête un petit chapeau de terre sèche… Regarde la guêpe qui découpe, avec ses mandibules en cisailles, une parcelle de viande crue… Regarde la couleur du ciel au couchant, qui annonce grand vent et tempête. […] Regarde, vite, le bouton de l’iris noir est en train de s’épanouir ! Si tu ne te dépêches pas, il ira plus vite que toi…  » Mélange d’acuité et de passion qui refuse toute exclusion. Acuité et passion du regard ne quitteront jamais Colette.

Lieu d’émerveillement, lieu d’apprentissage, les jardins revêtent aux yeux de « la Petite » un caractère sacré, presque magique, apaisant bêtes et enfants, imposant le silence, apportant à tous un baume salutaire. Ils sont « le centre et le secret » à partir duquel tout prend sens, « au-delà, tout est danger, tout est solitude ».

La Maison de Colette : ne pas cesser d’éclore

Devenue écrivaine, Colette n’aura de cesse de recréer par la littérature et l’imagination le paradis perdu de son enfance. Fidèle aux leçons reçues de sa mère, elle fera du respect du vivant et de l’attention aux éclosions des thèmes centraux de son œuvre. Aujourd’hui fidèlement reconstitués grâce au travail de l’architecte-paysagiste Françoise Phiquepal et de passionnés de l’écrivaine, les jardins de Sido revivent. En les parcourant, le visiteur pourra se prendre à imaginer au détour d’une allée, dans les branches de l’if ou les entrelacs de la glycine, le visage d’une enfant heureuse qui, au terme de sa vie, devenue une gloire des lettres françaises, confiait à des étudiants : « Je ne cesserai d’éclore que pour cesser de vivre.  »

Frédéric Maget
Directeur de la Maison de Colette

La glycine centenaire continue à arracher la grille au fond du jardin © Colombe Clier