Une part de marché à reconquérir

François Pauly

Après son succès dans les années 90, le conifère ne représente aujourd’hui que 3 % du marché des végétaux de pépinières. Une évolution qui suit celle de la transformation du marché du jardin. Mais le conifère n’a pas disparu pour autant et peut connaître un nouveau regain d’intérêt. Il suffit de mieux l’expliquer au jardinier et lui transmettre l’émotion que peut susciter ce végétal.

Chamaecyparis lauwsoniana minima glaucaDepuis le début des années 80, période où la distribution horticole s’est organisée, la commercialisation de conifères a pris sa place. Celle-ci représentait une part importante des ventes avec, essentiellement, les Thuja plicata ‘Atrovirens’ et les Cupressocyparis leylandii destinées à la création de haies chez les particuliers, mais les conifères de rocailles suscitaient aussi un intérêt non négligeable auprès des consommateurs. Dans les années 90, la vente de conifères représentait, en valeur, plus de 10 % des ventes de végétaux de pépinières en jardineries. Malheureusement, une lente et incessante érosion s’est opérée au fil des années pour aboutir en 2012 à un poids de vente avoisinant les 3%. Pourtant, producteurs et distributeurs étaient mobilisés pour susciter l’intérêt de cette plante et lui redonner ses lettres de noblesse. Abies, Cedrus, Juniperus, chamaecyparis, Pinus, Taxus, Thuja… chaque genre était décliné en nombreuses variétés plus intéressantes les unes que les autres. Des coloris vert tendre aux jaunes en passant par les bleutés, des ports érigés, semi érigées jusqu’aux rampants, sans oublier les formes et couleurs de cônes, rien n’était laissé au hasard. Si l’on y ajoute la diversité de tailles et contenants, nous avions à disposition une offre dépassant les 200 références. Mais le marché du jardin se trouve lui aussi en perpétuelle évolution. Les prix de l’immobilier et du foncier ayant considérablement augmenté au fil des années, les surfaces de jardins particuliers se sont réduites de façons très significatives. Il en résulte donc un impact immédiat sur le nombre de végétaux plantés et, logiquement, le volume de plantation de conifères s’est trouvé amoindri, mais ce n’est pas la seule explication.

 

Un monde de néophytes

D’abord, les propriétés étant plus petites, les conifères à grand développement n’avaient plus leur légitimité au sein de ces espaces plus réduits. C’est ainsi que Araucaria, Calocedrus, Cedrus et autres Sequoiadendron, durent battre en retraite hors de nos jardins. D’ailleurs, certains vendeurs  peu scrupuleux ou inexperts ont parfois provoqué des erreurs de conception et d’aménagement de jardins, dont les conséquences ont été dramatiques dans le long terme. Effectivement, un arbre de grand développement tel un cèdre a besoin de grands espaces pour se développer, pourtant certains sujets de ce type ont été préconisés pour être plantés dans de petits jardins, ce qui les a déstructurés et nécessité l’abattage après 15 à 20 années. Mais le jardinier amateur n’est pas en reste quant à l’évolution des tendances et de l’art paysager. Nous avons constaté au fil du temps un engouement grandissant pour les végétaux à fleurs, réduisant ainsi la part des conifères. Perçu comme monotone et peu évolutif, le conifère n’a pas très bien résisté face à la montée en puissance des arbustes à floraisons printanières et estivales dotées de fleurs incomparables mais aussi de feuillages décoratifs au port souvent souple, léger et harmonieux. De plus, lassitude, monotonie, contraintes de taille ont eu raison des haies de conifères dans les jardins, ce n’est pas pour s’en plaindre. En France, durant trop d’années, la mode des cloisons végétales a sévi de façon arbitraire. Il était logique de commencer ses plantations par une séparation stricte et infranchissable en vue de se protéger du voisinage, tout au moins psychologiquement. Heureusement cette ère est révolue et des interdictions de plantation de haies de conifères apparaissent dans le cahier des charges des lotissements, cela aussi pour des raisons phytosanitaires. Enfin, les consommateurs ont eux aussi évolué, nous sommes passés d’une population d’expérimentés à un monde de néophytes. La transmission intergénérationnelle a cessé d’opérer, et l’usage du  jardin s’est orienté vers des notions de loisir et détente, plus que de pur jardinage. 


Est-ce la disparition du conifère pour autant ? Pour le quidam, la place accordée à ce type de végétaux tient beaucoup à la façon dont on en parle sur les lieux de vente, à la pédagogie et à la passion du vendeur. Il faut savoir expliquer qu’un conifère contribue à structurer un jardin, qu’il y apporte un équilibre de composition, qu’il rompt la monotonie hivernale des caducs,  qu’il enrichit la diversité variétale et favorise l’installation de la biodiversité, mais pas seulement. Outre la pédagogie, il faut aussi savoir transmettre les émotions suscitées par la beauté de ces hôtes, et enseigner l’art de les admirer. Une aiguille, un cône, une silhouette, une couleur, une odeur…, qui n’a pas succombé à la splendeur d’un conifère vêtu de rosée ou de givre, par un matin ensoleillé.

 

De l’utilisation intensive à la recherche artistique… un marché en évolution

Durant plus de deux décennies, le conifère a été utilisé majoritairement pour répondre à des contraintes techniques telles que s’isoler, combler un trou dans un massif, faire de l’ombre, masquer un talus…, son rôle était plus fonctionnel qu’esthétique. Heureusement, la vente de conifère s’est réorganisée et professionnalisée et, au travers d’une gamme courte et pertinente, nous voyons à présent apparaître majorité de petits conifères originaux et esthétiques, tant par leurs ports que par la qualité de leurs feuillages. Abies balsamea ‘Nana’, Abies nordmanniana ‘Golden Spreader’, Chamaecyparis lawsonniana ‘Minima Glauca’, Cryptomeria japonica ‘Globosa Nana’ sont quelques exemples de sujets aptes à agrémenter les balcons et terrasses. Le végétal dans la ville connait un essor important et ce type de conifère y contribue fortement. Mais Picea et Pinus ne sont pas en reste : Picea pungens ‘Lucky Strike’, Pinus mugo ‘Carsten’ et autres Bregeon n’ont plus à faire leurs preuves et son particulièrement intéressant pour structurer une ambiance végétalisée. Depuis quelques années, l’arbre en nuage a fait son apparition en Europe. Pour la plupart persistants, ces végétaux façonnés artistiquement connaissent un engouement grandissant dans les lieux publics mais aussi dans les jardins privés. Véritables sculptures vivantes, certains de ces végétaux ont été travaillés durant plusieurs décennies par des maîtres jardiniers japonais. Taxus cuspidata, Pinus thunbergii, Pinus parviflora et bien d’autres, contribuent fortement à un regain d’intérêt pour le conifère. Enfin, il faut saluer l’implication permanente de passionnés invétérés de conifères. Croisements, multiplications, échanges…, conservatoires, collections, événements festifs…, les ambassadeurs de ce patrimoine végétal ont à cœur de mettre celui-ci en lumière.


Une nouvelle utilisation, un nouveau regard, une nouvelle page qui s’écrit, le conifère n’a pas fini de nous étonner, et pour quelques années encore.