Un potager bien pourvu en azote grâce aux légumineuses

Il est communément admis que les pois, haricots, fèves… poussent très bien sans engrais au potager. Mieux, ces légumineuses sont capables de fixer l’azote de l’air et présentent ainsi l’avantage de fournir un engrais azoté naturel aux cultures suivantes ou aux plantes voisines. En fait, ce sont les bactéries logées dans des nodosités sur les racines qui jouent ce rôle principal. Focus sur ce mécanisme un peu complexe, mais qui nous révèle les mystères cachés du sol.

Ce sont les bactéries logées dans les nodosités racinaires de la légumineuse (ici le pois chiche) qui ont la capacité de fixer l’azote de l’air et de le rendre disponible à la plante © Semae
Après la culture de haricots au potager, le sol sera bien pourvu en azote pour accueillir les plantes les plus gourmandes © Semae

Toutes les plantes ont besoin d’azote. Cet élément minéral entre dans la constitution des protéines des acides nucléiques, comme l’ADN, et dans la chlorophylle, qui permet la photosynthèse. L’azote est présent à l’état libre dans l’air que nous respirons. Dans le sol, il se trouve à l’état combiné, soit sous forme minérale (ammoniaque, nitrite, nitrate), soit sous forme organique. La forme la plus facilement assimilable par les plantes est minérale : c’est l’ion nitrate NO3 -. L’azote organique, contenu dans les déchets de culture ou apporté sous forme de tourbe, compost, etc., nécessite une transformation par des microorganismes, afin de passer sous forme d’ion nitrate. C’est le processus de la minéralisation.

Azote minéral et organique, comment faire le bon choix ?

Lorsque l’azote vient à manquer pour la plante, on parle dans le jargon des jardiniers de « faim d’azote ». Les plantes jaunissent, paraissent chétives et deviennent plus sensibles aux maladies. Cela peut être dû à un manque de nitrates, quand la terre n’a fait l’objet d’aucune fertilisation depuis quelque temps. Étonnamment, cela peut aussi être dû à un excès d’azote organique, si un compost vient d’être enfoui dans le sol. Ce paradoxe vient du fait que les micro-organismes chargés de la transformation des matières organiques ont besoin d’azote pour travailler. Tout l’azote est donc mobilisé pour ces réactions chimiques complexes, et n’est plus disponible pour les plantes. On peut observer également une faim d’azote, lorsque le sol n’est pas suffisamment réchauffé au début du printemps. Le froid ralentit l’activité des bactéries responsables de la minéralisation et aussi le bon fonctionnement des enzymes. Ce sont surtout les légumes-feuilles (salades, choux, poireaux, endives, oseille, etc.) qui souffrent le plus du manque d’azote au printemps. Les légumes-racines (carottes, radis, fenouils, etc.) ou fleurs (artichauts, choux-fleurs, brocolis, etc.) ont un besoin accru en potasse, à apporter en automne et en hiver. Le phosphore est, lui, indispensable aux légumes-fruits (aubergines, tomates, poivrons, concombres, etc.).

Légumineuses et rhizobiums, une symbiose réussie

Les seules plantes qui ne vont pas souffrir de cette « faim d’azote » sont celles qui sont capables de fixer l’azote atmosphérique. Elles appartiennent toutes à la famille des légumineuses : haricots, pois, fèves, trèfle, luzerne, etc. Ce ne sont pas les plantes qui fixent directement l’azote de l’air. Pour cela, elles s’associent à des bactéries (Rhizobium) qui vivent dans des nodules, appelés aussi nodosités, au niveau du système racinaire. Ces bactéries vont puiser l’azote gazeux de l’air dans le sol, et le transformer, afin qu’il puisse être utilisé par le végétal. En contrepartie, la plante fournit à la bactérie de l’énergie par le biais de la sève élaborée : des hydrates de carbone qui proviennent de la photosynthèse. C’est ce qu’on appelle une « symbiose » (1*). Chaque organisme reçoit quelque chose de l’autre en retour. Mais cet « échange de bons procédés » doit rester équilibré. La réduction de la masse foliaire, notamment après la récolte, réduira également la quantité d’énergie fournie à la bactérie. Et cela aura pour effet de réduire la capacité de fixation de l’azote. De même, on remarque que la légumineuse ou plutôt ses rhizobiums peuvent se révéler fainéants. Si des engrais sont apportés dans le sol, ceux-ci sont puisés en priorité, avant le déclenchement de l’activité des enzymes, notamment les nitrogénases, qui décomposent le diazote de l’air N2 en azote ammoniacal NH3. Parmi les nombreuses espèces de légumineuses, certaines sont plus efficaces que d’autres. On les classe en mesurant le taux de fixation symbiotique, c’est-à-dire la part d’azote de l’air fixée par rapport à celle qui est prélevée dans le sol. Pour le haricot, ce taux est de 40 %. Il monte à 60-70 % pour le pois ou la lentille et peut grimper à 90 % pour le trèfle fourrager ou la luzerne.

Semez les radis entre les rangs de haricots, pois ou fèves. Ils profiteront de l'azote mais aussi de l'ombre © CC BY-SA 0

Pois ou haricot au potager, un bon moyen pour fertiliser la terre

Pour résumer, les légumineuses, en fixant dans le sol l’azote de l’air, agissent comme un engrais azoté. L’avantage, c’est que cet azote accumulé dans le sol permet de nourrir d’autres plantes, à commencer par celles installées à proximité, qu’elles soient cultivées en association avec les légumineuses ou cultivées sur les rangs voisins dans le potager. Mieux encore, cet azote naturel va profiter à la culture suivante. Pour cela, bien sûr, il faut éviter d’arracher les plantes en fin de saison : ce sont un peu les racines et surtout les parties aériennes enfouies qui vont libérer le précieux élément azoté. En complément de l’azote, les légumineuses pourraient avoir aussi un effet positif dans la mobilisation du phosphore. Il serait dû à l’acidification de la rhizosphère, liée à la fixation symbiotique ou au fonctionnement mycorhizien (2*). Dans les exploitations de grandes cultures, les pois, luzernes, trèfles, lupins, etc. constituent d’excellents précédents dans les rotations céréalières. Certaines légumineuses peuvent également être utilisées comme « engrais verts », c’est-à-dire comme des plantes qui ne seront pas cultivées pour être récoltées, mais pour être retournées et enfouies, dans le but d’améliorer la fertilité du sol. Rien d’étonnant à ce que la culture d’engrais verts soit une des pratiques de base de l’agriculture biologique.

Le sol, un milieu vivant très complexe

Le sol est un milieu bien vivant. On estime qu’un gramme de terre végétalisée contient environ un milliard de bactéries réparties en 5 à 25 000 espèces. Voici encore à l’oeuvre des micro-organismes qui vont se révéler très utiles ! À la différence des Rhizobiums, vivant en symbiose, les bactéries Azotobacter sont libres dans le sol. Elles se nourrissent des molécules sécrétées par les racines (exsudats racinaires) et ont la capacité de fixer l’azote atmosphérique pour le restituer au sol sous des formes assimilables par la plante. Ce processus naturel est d’autant plus remarquable qu’il peut être comparé à la synthèse industrielle des engrais azotés. Il faut remonter un siècle en arrière et rappeler les découvertes des chimistes Fritz Haber et Carl Bosch, qui ont réussi à mettre au point la fabrication de l’ammoniac, à partir de l’azote moléculaire de l’air, en présence de méthane et d’eau. Le procédé Haber-Bosch est à l’origine de tous les engrais azotés chimiques. Dans le procédé industriel comme dans le processus naturel, intervient le même composé fonctionnel indispensable : l’enzyme nitrogénase, complexe enzymatique évoqué précédemment. Évidemment, en laissant opérer les bactéries du sol, les bénéfices environnementaux sont considérables puisque cela permet de diminuer l’apport d’intrants chimiques. Plusieurs start-up sont sur le pont pour exploiter une piste qui consiste à reproduire le phénomène sur des plantes autres que les légumineuses. Certaines entreprises proposent déjà des solutions azotées biologiques, vendues sous le terme de « biostimulants », à base de micro-organismes. Les mécanismes biologiques en jeu dans les sols n’ont pas livré tous les secrets de leur complexité. Les recherches se poursuivent.

 

Laure Gry
Ingénieur agronome spécialisé en horticulture

(1*) Voir aussi www.jardiner-autrement.fr/plantes-fixatrices-dazote/
(2*) Voir aussi www.jardinsdefrance.org/category/les-numeros/mycorhizes-auxiliaires-discretes-du-jardinier/

QUELQUES CONSEILS D’ASSOCIATION OU CELLES À ÉVITER

Les légumineuses sont assez généreuses et sociables, elles se prêtent bien aux associations avec d’autres légumes.

Voici quelques idées d’associations réussies :
– Semez les radis ou plantez quelques laitues entre les rangs de haricots, pois ou fèves. Ils profiteront de l’azote mais aussi de l’ombre ;
– Réservez des espaces libres sur les rangs de légumineuses pour y planter des pieds de cucurbitacées, tomates ou poivrons ;
– Plantez des légumes-fruits ou des choux entre les rangs de légumineuses, que vous aurez pris le soin d’espacer un peu plus qu’à l’accoutumée. Ceux-ci pourront jouer le rôle de barrière contre le vent et le froid.

En revanche, les légumes de la famille des liliacées, tels l’ail, le poireau, l’échalote… ne tolèrent pas les sols trop riches en azote, il vaut donc mieux éviter d’en cultiver après une légumineuse.

RHIZOBIUM, NITROGÉNASE ET BIOSTIMULANTS

Dans la fixation symbiotique des légumineuses, le rôle de la nitrogénase est connu depuis longtemps. Dans les années 2000, on a réussi à mettre en évidence le dialogue moléculaire plante-bactérie qui permet l’installation de la symbiose. Ce serait l’émission de flavonoïdes par la plante qui attire les bactéries. Et c’est la libération de « facteurs Nod » par la bactérie qui va conduire à la formation des nodules dans les racines de la plante, dans lesquels la bactérie s’installe. En parallèle, les chercheurs ont isolé des « facteurs Myc », synthétisés par des champignons du sol. Plus récemment, des procédés de synthèse de ces molécules ont été mis au point, des
brevets ont été déposés. L’idée est d’utiliser ces molécules naturelles et biodégradables comme « inoculant » ou biostimulant. Le sol et ses
micro-organismes n’ont pas fini de révéler tous leurs secrets !

Modélisation de la molécule de nitrogénase © Jjsjjsjjs- CC BY-SA 3.0