Un nouvel envahisseur : Xylella fastidiosa

Marie-Agnès Jacques

Olivier dans la province de Lecce (Pouilles, Italie), en octobre 2013, présentant des symptômes sévères de déclin rapide du à Xylella fastidiosa. Noter les nombreux rejets à la base du tronc qui sont très contaminés bien qu’encore asymptomatiques - © M.-A. Jacques
Olivier dans la province de Lecce (Pouilles, Italie), en octobre 2013, présentant des symptômes sévères de déclin rapide du à Xylella fastidiosa. Noter les nombreux rejets à la base du tronc qui sont très contaminés bien qu’encore asymptomatiques – © M.-A. Jacques

Une bactérie vient tout récemment d’émerger en Asie et en Europe : Xylella fastidiosa (Xf). Jusqu’alors limitée aux Amériques, elle est repérée en 1993 à Taiwan sur nashi (Pyrus pyrifolia), puis sur vigne (Vitis vinifera) 10 ans plus tard. En 2013, elle est identifiée sur olivier (Olea europaea) dans les Pouilles (Italie), puis en 2014 en Iran sur vigne et amandier (Prunus dulcis) et en 2015 en France sur des plantes ornementales.

Au niveau mondial, les dégâts dus à Xf sont économiquement dommageables sur vigne en Californie, agrumes (Citrus spp.) au Brésil et olivier dans les Pouilles ; l’impact sur amandier, myrtillier (Vaccinium spp.) et caféier (Coffea spp.) n’étant cependant pas non plus négligeable.

Les symptômes associés à Xf sont assez peu caractéristiques, car liés à la perturbation de la circulation de sève brute. Les plus représentatifs sont des brûlures foliaires qui vont de quelques dessèchements de feuilles jusqu’au dépérissement complet de la plante. Sur oranger et caféiers on note des chloroses foliaires. Les pêchers (Prunus persica) et la luzerne (Medicago sativa) présentent un port ramassé suite au raccourcissement de la taille des entre-nœuds. Sur vigne, des défauts de lignification des rameaux (aoûtement) et la persistance des pétioles après la chute des limbes desséchés sont observés. La majorité des végétaux contaminés sont asymptomatiques. La contamination peut ainsi passer inaperçue à l’occasion de contrôles visuels.

Transmise par l’homme et les insectes

Xf se transmet naturellement entre plantes par l’intermédiaire d’insectes piqueurs-suceurs qui jouent le rôle de vecteurs. Il s’agit de cicadelles, cercopes, aphrophorides et cigales. En Italie, c’est le cercope des prés, Philaenus spumarius, qui dissémine cette bactérie. L’homme peut également disséminer Xf via le transport de matériel végétal (plants) ou d’insectes vecteurs contaminés. La transmission de la bactérie par les outils de taille ou les opérations de greffage serait assez peu efficace. Chez les agrumes, la transmission entre plantes pourrait aussi se faire par greffe racinaire naturelle, mais par contre la bactérie n’est pas transmise aux plants par les semences contaminées.

Plusieurs pistes de lutte

Les mesures prises pour lutter contre Xf se résument actuellement à des mesures d’éradication des plantes contaminées, de surveillance et de prophylaxie. Xf est un organisme[1] de lutte obligatoire et permanente. Aucune méthode de lutte chimique n’est efficace ou autorisée pour lutter contre Xf.  Des solutions basées sur l’utilisation de molécules désagrégeant les biofilms, ou l’apport de peptides antimicrobiens, et la confusion sont toutefois à l’étude, de même que l’utilisation de cocktails phagiques[2] qui donnent des résultats prometteurs. La lutte génétique est également une option car des différences de sensibilité variétale sont rapportées entre cépages de vigne, cultivars d’agrumes et d’oliviers. Une partie importante de la lutte concerne également les insectes vecteurs.

Énorme surprise en Italie

Xylella fastidiosa (Xf) est une bactérie endémique des Amériques où plus de 350 espèces de plantes hébergeraient cette bactérie. La souche responsable du désastre sur olivier en Italie appartient à la sous-espèce pauca (Xfp). Celle-ci était auparavant principalement connue pour infecter les agrumes et les caféiers en Amérique du Sud. L’émergence sur olivier en Italie a été une énorme surprise, à la fois à cause de l’ampleur des dégâts mais aussi car l’olivier n’était pas un hôte connu de Xf. L’hypothèse la plus probable serait l’introduction d’une souche par du matériel végétal contaminé (plants de laurier-rose ou caféier) en provenance du Costa-Rica, où le même type de souche a été identifié. Après introduction en Italie, cette souche aurait trouvé dans son nouvel écosystème, des plantes sensibles qui lui étaient jusqu’alors inconnues.

Une très vaste gamme de plantes concernées

La sous-espèce multiplex (Xfm), bien connue aux États-Unis, affecte une très vaste gamme de plantes, essentiellement des arbres et arbustes d’ornement, mas aussi des arbres fruitiers et des arbres forestiers. C’est cette sous-espèce qui a été introduite en France et détectée pour la première fois en milieu naturel en juillet 2015 en Corse puis en Octobre 2015 dans la région PACA. Aux USA, l’impact économique lié à cette sous-espèce semble relativement limité, sauf localement sur amandier en Californie. Une souche de cette sous-espèce a été introduite en Amérique du Sud à la fin des années 1930 par des plants de pruniers contaminés. Cette souche se serait installée dans une zone limitrophe entre le Brésil, le Paraguay et l’Argentine. Elle aurait alors recombiné génétiquement avec une souche de la sous-espèce pauca native de cette zone. Ainsi le clone recombinant aurait acquis la capacité à infecter les agrumes et le caféier, ce qui expliquerait la soudaine émergence du chancre des agrumes au Brésil dans les années 80 alors que ces deux espèces de plantes y ont été introduites il y a plus de 300 ans.

Vignes arrachées

Aux États-Unis, le principal problème économique lié à Xf est consécutif à la Maladie de Pierce due à la sous-espèce fastidiosa (Xff) sur la vigne. Cette maladie avait à la fin du XIX siècle entraîné l’arrachage de nombreux vignobles (16 000 ha) aux alentours de Los Angeles. Actuellement cette maladie limite l’extension du vignoble en Californie, et ce depuis l’introduction vers la fin des années 1980, d’un vecteur polyphage, Homalodisca vitripenis. Un seul clone de  Xff aurait été introduit aux USA via un caféier contaminé vers les années 1880. A Taiwan, c’est le clone de Xff présent en Californie qui a été identifié sur vigne en 2013, indiquant son introduction très probable depuis les USA.

La France aussi

En Europe, l’émergence de Xf est sans doute assez récente. Elle n’a été officiellement déclarée présente qu’en 2013 dans la région des Pouilles en Italie du Sud sur l’olivier, et quelques autres espèces telles que laurier-rose ou amandier. En France, une maladie due à Xfm a été détectée en Corse, puis en France métropolitaine depuis juillet 2015 essentiellement sur un arbuste ornemental, Polygala myrtifolia, mais également sur une vingtaine d’autres espèces de plantes ornementales.

Conséquences agro-économiques désastreuses

L’introduction par des activités humaines (transport par du matériel végétal contaminé) de Xf dans de nouveaux territoires a des conséquences agro-économiques désastreuses et imprévisibles. La bactérie se multipliant lentement, sa détection peut être tardive par rapport à son introduction et l’invasion peut résulter en l’infection de plantes jusque-là inconnues comme hôte de cette bactérie. Les dégâts semblent par ailleurs fortement liés à la culture sur de relatives grandes surfaces d’un matériel végétal génétiquement homogène et à la présence d’insectes vecteurs en grande quantité ou particulièrement efficaces. La gamme de climats favorables à Xf est relativement large allant de tempéré, à tropical en passant par le climat méditerranéen, seules les températures hivernales fraiches limiteraient son développement. Ces caractéristiques sont finalement assez banales, mais représentent bien les systèmes agricoles de nos pays, qui en font des cibles potentielles pour de futures épidémies.

[1] Xf est listée dans l’annexe 1, partie A, chapitre 1 de la directive 2000/29/CE.

[2] Mélange de plusieurs virus infectant spécifiquement X. fastidiosa

 

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