Théâtres de verdure : Mise en scène d’un patrimoine vert

Les théâtres de verdure constituent un patrimoine vert original, utilisant largement l’art topiaire.
Déjà plaisants lorsqu’ils sont vides, ils assurent au public une expérience
inédite lorsqu’ils mêlent l’art de la scène à celui du paysage. Une jeune association, dénommée Resthever, accompagne aujourd’hui leur renouveau.

Théâtre du château de Mivoisin
Le théâtre du château de Mivoisin dans le Loiret, créé par Russel Page à la demande de Marcel Boussac © Resthever

Les théâtres de verdure sont des scènes architecturées par la verdure, dans lesquelles l’élément topiaire est de première importance, explique Nathalie Deguen, fondatrice et présidente du Réseau européen des théâtres de verdure, dont l’abréviation, très évocatrice, est « Resthever ». Celui-ci a entrepris une démarche scientifique et historique sur ces sites, qui étaient jusqu’ici très peu étudiés de manière systématique.

Un réseau de connaissance et d’échanges

Créé en 2010 au sein de « Théâtre à Saint-Marcel », l’association culturelle du château de Saint-Marcel-de-Félines dans la Loire, Resthever est devenu indépendant en 2018. Né du constat que ces figures de l’art des jardins étaient particulièrement négligées en France, ce réseau dédié à la sauvegarde, la promotion et l’animation des théâtres de verdure s’attache à pallier cette méconnaissance et à protéger ces sites fragiles.

Son champ d’actions porte sur plusieurs axes : recenser ces figures du patrimoine paysager et culturel, réaliser des publications scientifiques et de prestige et diffuser des informations sur leur actualité, restaurer des sites en péril, mais aussi susciter la création de nouveaux théâtres de verdure, avec une dimension internationale. L’association se veut aussi un lieu d’échanges et de partage des compétences, permettant à ses membres de mettre en commun leurs préoccupations, leurs ressources et leurs projets, en bénéficiant de l’appui de spécialistes et de différents acteurs de ces sites : architectes, paysagistes, conservateurs, historiens de l’art, artistes, auteurs, metteurs en scène…

L’inventaire entrepris par l’association recense aujourd’hui près de 80 sites en France et une quarantaine à l’étranger, chacun faisant l’objet d’une fiche détaillée, avec son histoire et sa description, accessible sur son site internet. Cette démarche a contribué à enrichir Mérimée, la base de données sur le patrimoine français créée par le ministère de la Culture. Le site internet, régulièrement mis à jour, donne des conseils pour la réalisation de spectacles et permet de suivre l’actualité des manifestations organisées.

Château
Scène et gradins enherbés du Manoir du Catel, en Seine-Maritime, création de son propriétaire Frédéric Toussaint © Restheve

Une histoire d’hier à aujourd’hui

Dans cette forme paysagère unique qu’est le théâtre de verdure, explique Marie-Caroline Thuillier, historienne de l’art des jardins et du paysage, responsable scientifique pour le Resthever, « le végétal est devenu, à l’instar de la pierre ou du bois, le matériau de base d’une composition architecturale reprenant tous les codes d’aménagement classique du théâtre à l’italienne ». Ce glissement et cette transposition du monde minéral vers le monde végétal ont vu leurs premières réalisations dans l’Italie baroque du XVIIe siècle. Ces théâtres à ciel ouvert, structurés par l’art topiaire, vont connaître un succès retentissant dans le monde du jardin et se répandre à travers l’Europe très rapidement.

Théâtre de verdure
Le théâtre de verdure de la Villa Rizzardi est le plus grand d’Italie. Ses contours sont dessinés par des murs de verdure © Resthever

Le XVIIIe siècle voit s’intensifier encore davantage l’engouement et l’attrait pour les théâtres de verdure. Peu subsistent aujourd’hui en France, mais nombre d’entre eux sont encore conservés hors de nos frontières : à Salzbourg en Autriche, en Allemagne au château de Rheinsberg, en Belgique, en Angleterre, en Lettonie, mais surtout en Italie, où les exemples sont nombreux. Le théâtre de verdure de la Villa Rizzardi en Vénétie est le plus grand de la péninsule : des haies de buis y forment le décor de fond et les coulisses côté scène, et sept rangées semi-circulaires de banquettes de buis taillées dessinent les gradins côté spectateurs. Celui de la Villa Reale di Marlia à Lucques, considéré comme le plus vieux d’Europe, a été récemment restauré.

Aux XIXe et XXe siècles, l’art topiaire a pu s’estomper, analyse Marie-Caroline Thuillier, voire disparaître de certains modèles au profit de variantes plus minérales ou sylvestres, mais les interactions n’ont jamais cessé entre ces deux univers. L’art topiaire a ainsi façonné de nouvelles compositions durant la période Art déco, comme au château de Mivoisin dans le Loiret, sous l’impulsion du paysagiste Russell Page, ou au château de Groussay dans les Yvelines, avec le concepteur Emilio Terry. Cette mode s’est étendue en Europe, mais aussi plus loin, en Australie ou aux États-Unis.

Théâtre des jardins royaux
Le théâtre de verdure des Jardins royaux d’Herrenhausen en Allemagne, de style baroque, accueille de nombreuses représentations, pièces et comédies musicales © J. G. Schaeffer

Un site paysager animé par des actions culturelles

Le théâtre de verdure du château de La Ballue, en Ille-et-Vilaine, réalisé en 1973 par Claude Arthaud et Paul Maymont, a marqué une étape dans le renouvellement du genre.

Son architecture géométrique a fait l’objet d’une véritable scénographie autour de l’utilisation du hêtre et de l’if.

« Toute l’architecture du théâtre se prête à la possibilité du spectacle, détaille Marie-Françoise Mathiot-Mathon, directrice des jardins de La Ballue.

Une légère surélévation du sol engazonné définit l’espace scénique, des montants latéraux en hêtres constituent le fond de scène, les plantations d’ifs formant des murs circulaires dessinent les coulisses, enfin le vaste arboretum entourant le théâtre constitue une excellente barrière acoustique. »

Théâtre de Saint-Marcel
Le théâtre de Saint Marcel-de-Félines, dans le département de la Loire, propose des représentations depuis 2009 © Resthever

 

D’autres théâtres de verdure ont été intégrés dans des réalisations remarquables de la fin du XXe siècle, comme celui aménagé dans les années 1980 par le chef d’orchestre William Christie, dans son domaine de Thiré en Vendée, entièrement composé d’ifs, ou encore la grandiose réinterprétation du décorateur Jacques Garcia dans son château du Champ-de-Bataille dans l’Eure, datant des années 1990.

En juin 2021, le château de La Ballue a accueilli une manifestation intitulée « Les Arts au jardin: art topiaire, théâtre de verdure et spectacle vivant ». Ces deux journées ont été rythmées par différentes animations – spectacles lyriques, chorégraphiques, conférences – qui ont illustré, entre autres, les liens forts unissant l’univers du spectacle et celui du jardin. Cette année, les 19 et 20 août, le théâtre a accueilli Contes du temps passé : trois contes de Perrault, mis en scène par Alexandra Rübner. Des lieux très différents, dans leur structure et leur esthétique, mais chacun est « un lieu dans le lieu » apprécie Marie-Françoise Mathiot-Mathon: à la beauté du jardin, ils apportent ce supplément d’âme, rare, précieux, exceptionnel…

 

 

Marie-Hélène Rocher-Loaëc
Journaliste horticole membre du comité de rédaction de Jardins de France

avec Marie-Caroline Thuillier
Historienne de l’art des jardins et du paysage, responsable scientifique pour le Resthever

www.reseautheatreverdure.com