Sous les pavés, les potagers

Eric Prédine

La cité possède de beaux potentiels pour la croissance des végétaux : un peu plus de gaz carbonique qu’en campagne, une disponibilité importante de matière fermentescible qui garnit nos poubelles, une chaleur rémanente liée aux pertes énergétiques de nos bâtiments... Une aubaine pour les jardiniers qui savent profiter de ces opportunités !

Croque Trottoirs LyonDes inquiets pensent que la ville n'est guère adaptée au jardinage : la pollution,le confinement, l’absence de sol,la promiscuité, les incivilités seraientdes contraintes insurmontables. La difficulté ne réside probablement pas dans l’adaptation technique du jardinage au milieu urbain, mais à celle de la sociologie moderne du citadin. Le citadin moderne est multitâche : le bureau, le transport, le papotage sur réseau social, le stade, le théâtre. Bref, le jardinage doit être court, efficace, productif et constituer une alternative aux séances de yoga et aux cours de feng-shui, sans se prendre le « chou ».
C’est pourquoi de nouvelles techniques agronomiques sont nées, tels l’art du potager en carré, le jardin en lasagne ou les jardisacs, mais aussi de nouvelles pratiques d’organisation à l’instar des jardins partagés, des parcs publics potagers qui sont adaptés aux conditions environnementales, sociologiques et économiques des urbains. C’est également une affaire de tendance, le tout minéral est passé de mode. Les jardins aux allées larges, quasi « haussmanniennes », tirées aux cordeaux, « bien dégagées derrière les oreilles », sont ringards. Le fouillis, la biodiversité tous azimut, le bric-à-brac des cabanons d’antan sont devenus les muses des créateurs paysagistes branchés.

 

Les jardiniers urbains et… civils

Les MIF (Micro-Implantation Florale), initiées par Bernard Maret, germent sur les trottoirs de Lyon. Dans les années 80, les Anges Gardins Ch’timi lancent les premières bombes à graines pour fleurir les friches par dessus les clôtures. Aujourd'hui, ils forment les ambassadeurs du jardinage et du bien vivre alimentaire.
Les amateurs de jardinage moins activistes préfèrent adhérer au jardin partagé de leur quartier. Il s’agit de jardins conçus, aménagés et gérés écologiquement avec les jardiniers. Ils peuvent être collectifs ou individuels, ou les deux. Cette implication des habitants permet de bouleverser le paysage des jardins en l’adaptant aux besoins et aux personnalités que rassemble le collectif de jardiniers.

 

Potagers dans les parcs publics

C’est ainsi qu’est né le concept récent de parc public potager, au détour d’une concertation avec les habitants sur l’initiative d’une proposition de collectivité territoriale. Ainsi, à Cugnaux, au Haillan, au parc Monlong à Toulouse, à la Crapaudine à Nantes, bientôt à Villenave d’Ornon et à Bitche, des parcs jardinés se créent. L’ensemble des habitants peuvent déambuler, se poser, papoter par dessus les clôtures, se griller quelques saucisses, composter sur les parties communes, qu’ils soient jardiniers ou non.
En densifiant les fonctions d’un parc public entre détente, éveil à la nature, promenade, mais aussi jardinage, sa fréquentation augmente. Cela contribue à la sécurisation des sites (la simple présence d’un promeneur éloigne les fauteurs d’incivilité). L’argent public est ainsi mieux utilisé en adéquation avec la nécessité d’un bien vivre alimentaire. Un parc public potager est un outil d’éducation populaire qui renoue avec l’origine des jardins ouvriers en l’adaptant aux modernismes de notre société. Toutefois, ils sont conçus comme un équipement public en partageant les rôles : aux jardiniers d’animer et d’entretenir les espaces cultivés, à la collectivité ou au bailleur d’assurer l’intérêt général, la sécurité des personnes et de l’environnement, l’ouverture à tous les publics afin que ces espaces, trop rares en ville, ne deviennent pas le terrain de quelques privilégiés.

 

Jardiner peu mais efficace

C’est l’apanage du citadin en réseau. Le jardinage en carré est une méthode de gestion très aboutie de la rotation descultures sur une case de 30 cm de côté, rassemblée par 9 ou 16 pour former des carrés d’un ou d’un mètre vingt de côté. Chacune des cases produit de quoi préparer un plat de légumes frais pour 3 ou 4 personnes, selon les variétés, 3 à 5 récoltes sont possibles par an. Nous sommes loin des 5 ares de nos grands-parents.
Le jardin en lasagne constitue même sur une surface stérile, un sol fertile par couches successives de matière riche en azote et en cellulose. La tonte de gazon, les épluchures, le carton, le broyat de haie, les feuilles mortes sont autant de potentiel de fertilité.
Les mêmes ressources peuvent être utilisées dans le cadre des aires de compostage de proximité qui surgissent dans des EHPAD[1] (Bergerac), des villes (Bordeaux) ou des collèges (Charente).

 

PermacultureS’adapter et transmettre…

Sur les balcons de France, mais aussi les trottoirs de Nairobi s’installent des jardisacs, micro jardins ultra productifs en légumes feuilles.
Ce n’est plus à l’habitant de s’adapter au jardin, mais l’inverse. Une plante avec de l’attention, de l’énergie lumineuse, de l’eau ( et du CO2 ) et un sol vivant s’adapte. Le plus diffi cile pour les jardiniers expérimentés est de désapprendre pour revenir à ces fondamentaux.
Il s’agit alors de transmettre au plus grand nombre ces bases de jardinage qu’elles soient intégrées dans la ville sur un balcon, une terrasse, un toit ou dans le square du quartier. Vivre avec un jardin aussi petit soit-il, c’est s’ouvrir à un comportement plus respectueux de soi-même, à ses voisins et à la planète. Autant partager ce bonheur.

 

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savoir plus

- Les jardins partagés : www.jardinons.com
- Jardin en partage, Jean-Paul Collaert et Eric Prédine (Rue de l'Échiquier)
- Jardins partagés, Laurence Baudelet, Frédérique Basset et Alice Le Roy (Terre Vivante).
- Les Anges Gardins et le mouvement des ambassadeurs du jardinage et du bien vivre alimentaire
http://terredopale.fr/angesgardins/formation/ambassadeurs
- Les parcs publics potagers : SCOP SaluTerre, Tél. 05 57 46 04 37,
contact@saluterre.com - www.saluterre.com

 

[1] EHPAD, Établissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes.